Être ou ne pas être gréviste ? Pas évident de faire grève vis-à-vis de mon employeur, envers lequel, satisfaite de mes conditions de travail, je n'ai pas de grief… Je me sens pourtant solidaire des grévistes, dont le nombre grossit progressivement en mouvement national.
Je réalise que je n'ai jamais fait grève. Je ne sais tout bonnement pas comment faire. Le droit de grève est reconnu à tout·e salarié·e. C'est cool. Dans le privé, pas besoin de préavis. Il faut être au moins deux et faire connaître ses revendications à l'employeur. Sauf en cas d'appel national [*] : il suffit de ne pas venir travailler. Ce sera un congés sans solde. Autour de moi, dans l'entreprise, sur les réseaux sociaux, des salarié·es s'interrogent. Chose rare, le secteur privé se mobilise aussi.
Mais cesser de travailler pour quoi faire ? Aller manifester ? Trop peur des policiers qui frappent sans plus de discernement. Et une certaine pudeur, ou peut-être un complexe de classe, me retient d'aller — parmi les travailleurs et les gilets jaunes qui ont tellement plus de raisons que moi de faire doléance — promener mon statut de cadre privilégiée (qui étonne encore la petite-fille d'ouvrier que je suis). Ma retraite sera minable, à plus forte raison en tant que femme, mais mon salaire actuel est correct et je ne crains plus les fins de mois. Combien mon TJM peut-il payer de jours à d'autres ? Mon soutien sera plus efficace sous la forme d'une cotisation à une caisse de grève, qui aidera à compenser la perte de revenu des grévistes. Il en existe plusieurs : à vous de trouver celle que vous souhaitez soutenir. Solidaire pour vrai. Pas qu'avec de belles paroles.
Et puis, dans nos métiers de l'informatique où nous sommes souvent cachés derrière nos écrans, indépendant·e, télétravailleur/euse ou consultant·e… à quoi servirait que je fasse grève, puisque personne ne s'en rendrait compte ? Chacun de mes collaborateurs/trices, collègues ou client·es, pensera simplement que je suis absente parce qu'en mission ailleurs. Comment rendre la grève perceptible ? Comme d'autres porteraient un brassard sur leur lieu de travail, je peux expliciter ce motif d'absence dans le message de mes répondeurs téléphonique et courriel. Modifier mes statuts dans les messageries instantanées. L'annoncer en point d'équipe…
Les agriculteurs montent à Paris déverser du foin. Les radios cessent de diffuser leurs programmes. Les cheminots laissent leurs trains au garage. Chacun s'exprime avec ses outils. Puisque je tiens un blog, je peux aussi mettre mon site en grève comme le suggérait récemment un artisan du Web. L'idée fait son chemin et prend la forme d'une bannière prête à l'emploi :
Finalement, je ferai grève. Je mettrai la journée à profit pour mieux m'informer sur mes droits et moyens d'action, mais aussi sur l'histoire des luttes et acquis sociaux. Sortir du confort lénifiant du travail et recommencer à penser un avenir collectif. Suivre les contestations en direct ici et dans le monde. Demain, plutôt que d'aller travailler, j'enverrai mon bulletin d'adhésion à un syndicat. Puis je rejoindrai les collègues grévistes. Être ensemble. Comme d'autres l'on ré-apprit, sur des ronds-points.
[*] Un appel national à la grève est déposé par 5 organisations syndicales interprofessionnelles : CGT, FO, Solidaires, FSU et CFE-CGC.