Ne rien dire, rien faire, marquer un temps d’arrêt, ployer, se redresser, se faire un reproche, être debout, aller à la fenêtre, dans le mouvement changer d’avis, retourner à sa chaise, encore être debout, aller à la salle de bain, fermer la porte, ouvrir ensuite la porte, aller à la cuisine, ni manger ni boire, retourner à la table, être lasse, tenter quelques pas sur le tapis, se rapprocher de la cheminée, la regarder, la trouver terne, tourner à gauche jusqu’à la porte principale, revenir à la pièce, hésiter, continuer, juste un peu, un brin, s’arrêter, tirer le côté droit du rideau, puis l’autre côté, regarder le mur.
Se réveiller, s’étirer, sortir du lit, s’habiller, tituber vers la fenêtre, s’extasier sur la beauté du jardin, observer la qualité de la lumière, distinguer les roses des jacinthes, se demander s’il a plu dans la nuit, établir un contact avec la montagne, remarquer sa couleur, regarder si les nuages se déplacent, arrêter, aller à la cuisine, moudre du café, allumer le gaz, faire chauffer de l’eau, l’entendre bouillir, préparer le café, éteindre le gaz, verser le café, décider d’y ajouter du lait, retirer la bouteille, verser le lait dans la casserole en aluminium, le faire chauffer, être attentive, verser, mélanger le café avec le lait, sentir la chaleur, porter la tasse à sa bouche, boire, reboire, faire face aux corvées du jour, être debout et aller dans la cuisine, revenir et allumer la radio, monter le volume, entendre que la guerre contre l’Irak a commencé.
Source : Etel Adnan : (2005) dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008. Traduit de l’anglais par Jean-René Lassalle.
To be in a time of war (extraits)
To say nothing, do nothing, mark time, to bend, to straighten up, to blame oneself, to stand, to go toward the window, to change one’s mind in the process, to return to one’s chair, to stand again, to go to the bathroom, to close the door, to then open the door, to go to the kitchen, to not eat nor drink, to return to the table, to be bored, to take a few steps on the rug, to come close to the chimney, to look at it, to find it dull, to turn left until the main door, to come back to the room, to hesitate, to go on, just a bit, a trifle, to stop, to pull the right side of the curtain, then the other side, to stare at the wall.
To wake up, to stretch, to get out of bed, to dress, to stagger towards the window, to be ecstatic about the garden’s beauty, to observe the quality of the light, to distinguish the roses from the hyacinths, to wonder if it rained in the night, to establish contact with the mountain, to notice its color, to see if the clouds are moving, to stop, to go to the kitchen, to grind some coffee, to lit the gas, to heat water, hear it boiling, to make the coffee, to put off the gas, to pour the coffee, to decide to have some milk with it, to bring out the bottle, to pour the milk in the aluminum pan, to heat it, to be careful, to pour, to mix the coffee with the milk, to feel the heat, to bring the cup to one’s mouth, to drink, to drink again, to face the day’s chores, to stand and go to the kitchen, to come back and put the radio on, to bring the volume up, to hear that the war against Iraq has started.
Source : Etel Adnan : (2005) dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008.
*
In/somnie XIX
1. Nuit qui tombe. encore. Pas encore non.
ligne/longue sans secours / sans défense
terreur stopper la terr…
terrible couvre tout / ouvrant
quoi ?
2. chocs chahutant chavirant
papier et portes et quoi
d’autre ? Est est-ce cela ? cela surgit ?
Oui. ins/temps. Dernier instant
3. durant instamment à jamais-jamais
ronflant crochemar marchand
marchande les cartes et des fumées
tictac/ sans sans fin
4. chhh – psss – bzzz
abuzz pell-mell
garde tenu tiens-le ! retiens
follement in/sensé le droit
d’attendre attends ! attendu juste
juste une minute attendre / l’ /
obscure/lumière du matin
5. compactables
Source : Etel Adnan : In/somnia, Post-Apollo Press 2003. Traduit de l’anglais par Jean-René Lassalle.
In/somnia XIX
1. Night falling. again. Not again.
long/line no help help/less
terror stop the terr . . .
terribly all over/ over
what?
2. blows bellowing blowing
paper and doors and what
else? Is is it? is it coming?
Yes. time. Last time
3. lasting timing ever-ever
snoring orderal or deal
dealer of cards of smoke
tick/ no no end
4. shhh—weee—buzzz
buzing pele-mele
keep held hold-it! keep
insane in/sane the right
to wait wait! waited for
for wait a minute for/the/
dark/light of morning
5. collapsibles
Source : Etel Adnan : In/somnia, Post-Apollo Press 2003.
*
In/somnie XX
1. Eschyle nihil
néant ist enceint de nuage
combat voûtant / couchés sur
fond ppuits
2. bateau-vapeur où est la Grèce ?
l’objet ab/ject. Pan divin
plein / les oreilles / d’espace
3. par tour. arrache
cacophone – téléph –
(messages) traversent cette
mesure – jusqu’au
lever de jardin ///
4. suspension : plus longtemps qu’…
est l’usage. usuellement. pénètre
pousse / dedans reste / là en
charbonneux korridor – porche –
doors – jusqu’à ce que cœur
(du sujet) fasse défaut
là____haut.
5. ubiquité est
nuit/amment
mort est ????????? psycho-
divan ::::::: plaisir éteint
extinction respir
spire de feuilles
sur l’Ephéméride der/nière
à dur/er…
Source : Etel Adnan : In/somnia, Post-Apollo Press 2003. Traduit de l’anglais par Jean-René Lassalle.
In/somnia XX
1. Aeschylus nothing
nihil ist cloud-bearing
battle stoop/lie on
ground welll
2. steam-boat where’s Greece?
the object ab/ject. Pan the god
ear/ful of space
3. thru turn. pull up
cacophonus—phone—
(messages) cross that
measure—until
the garden’s rise ///
4. suspension: longer than . . .
is usual. usually. penetrate
push/in stay/there in
obscured korridor—door—
dors—till the heart
(of the matter) gives up
up —— there.
5. ubiquitous is
night/ness
dead is ????????? on
couch ::::::: lust extinction
extinct breathing
thing of leaves,
of Kalendar’s last
last/ing . . .
Source : Etel Adnan : In/somnia, Post-Apollo Press 2003.
*
L’Indien n’avait jamais eu de cheval (extrait)
La certitude de l’Espace est entraînée
vers moi par un envol d’oiseaux. Il
fait gris dehors et s’y trouve un tremblement :
brouillard est un mot trop lourd
Le gardien de zoo envoie son amour
par lettres à la maire de
San Diego
la lionne en sa tanière s’évanouit
un premier avril de folies
l’homme s’est pendu dans
sa cage à elle.
Sur un pêcher une abeille tomba amoureuse
d’une fleur. Shakespeare écrivit
là-dessus une histoire.
Aucun bateau ne flotte sur la
rivière et la beauté du monde
est éblouissante. Trois astronautes
sur leur chemin de retour. Dans le
jardin une feuille solitaire frissonne.
Il fit assembler les os de sa mère
en un collier parce que les chevaux
arrivaient d’Espagne. Il parcourait
le pays tel un sabre.
Un jour même les étoiles
devinrent soldats
Isis pleurait sur le vide
du ciel
Les galaxies agissent en narcotiques
tu ne savais pas le danger
qu’il y aurait d’aller à Mexico…
tu pousses des gens à courir à l’abri
tu portes, en ton intérieur,
un ange
qui déborde
Sous de vieux chandeliers
tu embrasses tes parents jusqu’à la mort.
N’aie pas peur des
toiles d’araignée
elles scrutent seulement
des théâtres, ainsi que ton
âme.
J’ai une histoire d’amour
avec Albuquerque
à cause des danseurs
indiens et des constructeurs
arabes
je possède le ciel.
Source : Etel Adnan : (1995) dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008. Traduit de l’anglais par Jean-René Lassalle.
The Indian never had a horse (extrait)
The certitude of Space is brought
to me by a flight of birds. It
is grey outside and there is a trembling:
fog is too heavy a word
The zookeeper sends his love
letters to the female mayor of
San Diego
The lioness in her den fainted
on April Fool’s day
the man hanged himself in
her cage.
A bee fell in love with a peach
blossom. Shakespeare wrote a
story about it.
There are no boats on the
river and the world’s beauty
is blinding. Three astronauts
are on their way back. In the
garden a single leaf is shaking.
He had his mother’s bones made
into a necklace because horses
came from Spain. He moved about
the country like a sword.
One day even the stars
became soldiers
Isis wept over the empty
sky
Galaxies work as narcotics
you didn’t know how dangerous
it was to go to Mexico . . .
you make people run for shelter
you carry, within,
an angel
that overflows
Under old chandeliers
you kiss your parents to death.
Don’t be afraid of
cobwebs
they only scan
theatres, and your
soul.
I have a love affair
with Albuquerque
because of the Indian
dancers and the Arab
builders
I own the sky.
Source : Etel Adnan : (1995) dans American Hybrid, édité par Cole Swensen, Norton 2008.
Ceci est un hommage à Etel Adnan, une des grandes artistes de notre temps, poète polyglotte et représentante de la modernité arabe.
Rappelons deux excellents livres de sa poésie récente parus aux Editions de l’Attente : Nuit (traduit par Françoise Despalles, 2017) et Surgir (traduit par Pascal Poyet, 2019).
Sans oublier L’Apocalypse arabe (écrit directement en français, avec des incrustations de signes graphiques, L’Harmattan 2000), Au cœur du cœur d’un autre pays (trad. par Eric Giraud, Tamyras 2010), Le Cycle des tilleuls (trad. par Martin Richet, Al Manar 2012).
De même : le roman Sitt Marie Rose (Des Femmes 1978) devenu un classique de la littérature de guerre, étudié à l’université, dans sa perspective de complexité, féminisme et pacifisme.
Et pour les anglophones les jolis livres édités par sa compagne de Post-Apollo Press comme l’expérimental In/Somnia (2003)
Etel Adnan dans Poezibao :
Adnan Etel, (A Paris), extrait 1, (Anthologie permanente) Etel Adnan, "Nuit", (Anthologie permanente) Etel Adnan, Surgir
Ajoutons quelques vidéos pour mieux apprécier l’œuvre d’Etel Adnan :
. une lecture de 10 minutes en français de son « Voyage au mont Tamalpaïs » par Etel Adnan elle-même et quelques amis (dont la poète Gabrielle Althen) :
. une chanson ou lied extraite du Adnan Songbook mis en musique par le compositeur anglais Gavin Bryars sur des poèmes d’Etel Adnan, avec le texte original dépliable sous la vidéo
. une petite présentation de ses peintures et livres en accordéon (leporellos) à la télévision libanaise (en français sous-titré en arabe)
Dossier de Jean-René Lassalle