Ces pendants illustrent, de manière binaire, le passage du Temps : quelque fois de manière critique, afin de valoriser un des deux moments ; d’autre fois de manière purement comparative.
D’après un dessin de Dirck Barends, gravure de Johann Sadeler, après 1581
Les deux gravures mettent en parallèle deux bouleversements qui menacent une insouciante compagnie : l’inondation et l’incendie, le Déluge et le Jugement dernier . Le pendant illustre directement un passage de l’Evangile de Matthieu, qui appelle chacun à se tenir prêt, « car c’est à l’heure que vous ne pensez pas que le Fils de l’homme viendra » :
« Tels furent les jours de Noé, tel sera l’avènement du Fils de l’homme. Car de même que dans les jours qui précédèrent le déluge, on mangeait et on buvait, on épousait et on était épousé, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche, et qu’ils ne surent rien, jusqu’à la venue du déluge qui les emporta tous, ainsi sera aussi l’avènement du Fils de l’homme. Alors, de deux (hommes) qui seront dans un champ, l’un sera pris, l’autre laissé; de deux femmes qui seront à moudre à la meule, l’une sera prise, l’autre laissée. » Mathieu 24:37-41
Ainsi s’expliquent les deux antithèses aux convives insouciants : dans la gravure de gauche un paysan qui laboure son champ, dans celle de droite un corps emporté au ciel par un ange. Mais l’idée la plus originale est le contraste entre les convives nus et ceux en costume moderne, auxquels la scène de massacre de l’arrière-plan, en ces temps de guerre contre l’Espagne, rajoute un caractère de brûlante actualité.
Les deux textes en latin paraphrasent et développent le verset de Matthieu.
Côté Déluge :
Tout comme la terre fut submergée par les violentes tempêtes de la mer et bouleversée par des vagues déchaînées, et l’Arche Profonde emportée par les vagues – CE QUI ARRIVA AU TEMPS DE NOE (Matthieu 24) – ainsi les mortels, qui partout et constamment lâchaient la bride à leurs vices, et jouissaient d’agréables plaisirs sur des tables dressées, détruisaient les siècles par leur luxe immoral. Ut quondam tellus rapidis cum mersa procellis /Aequoris, insanis convulsaque fluctibus, atque / Per medias undas delata est Arca Profundi : / SICVT AVTEM ERAT IN DIEBVS NOE. Matt 24 / Mortales turpi frangebant saecula luxu/ Laxantes scelerum passim, et constanter habenas/ Laetaque ad instructas carpentes gaudia mensas.
Côté Jugement :
Ainsi, depuis les plus hauts sommets arrivera le Seigneur faisant tomber les flammes : mais il n’imposera pas à tous la même condition, il arrachera à leurs coupes ceux qui sont joyeusement à table. AINSI SERA l’AVENEMENT DU FILS DE L’HOMME (Matthieu 24) . Un paysan sera enlevé, son corps pris. Et un autre, ignorant, sera laissé dans le champ désolé, et un autre, abandonné, cherchera un compagnon pour la route. Sic Domini adventus descendet ab aethere summo, | Involvens flammas : nec cunctos ille sub una | Conditione premet, hos laete ad pocula mensae | ITA ERIT ET ADVENTVS FILII HOMINIS. Matt 24 | Eripiet, rapto tolletur corpore Arator. | Ignarusque alius vasto linquetur in agro, | Atque alter socium quaeret per strata relictus.
Raoux, 1727, Palais des Beaux Arts, Lille
A gauche six vestales entretiennent le feu éternel devant la statue sévère de leur déesse, arrangent des fleurs ou apportent de l’encens.
A droite, les dieux se sont réfugiés dans le plafond peint, et huit jeunes filles modernes vaquent à des occupations moins sévères : faire une couronne de fleurs, arranger la nappe, transporter des boissons et une corbeille de fruit, lire, ou se regarder dans un miroir.
Comme dans tous ses autres tableaux d’adorables vestales, Raoux vise ici tous les publics : les grincheux verront un éloge de la Vertu antique, les amateurs de tendrons un hommage à l’éternel féminin.
Les collections imaginaires de Pannini
Il ne s’agit pas de comparer deux à deux l’état antique et actuel des monuments, mais d’afficher une totalité qui, à la fois dans le temps et dans l’espace, loue la compétence et la richesse du collectionneur – du moins dans le monde virtuel de la peinture.
Pannini, 1753-57, (170 × 245 cm)
Entre 1753 et 1757, le comte Étienne François de Choiseul, ambassadeur de Louis XV à Rome, commande à Pannini ces deux pendants [1], dans l’esprit des caprices architecturaux à l’italienne (voir Pendants architecturaux).
Pannini, 1757, MET New York (172,1 × 233 cm)
En 1757, le comte lui commande une deuxième exécution de ces tableaux (ce n’est pas une copie exacte, mais les tableaux représentés sont quasiment tous les mêmes – sauf une légère réorganisation sur la gauche de la Rome Atiquen pour regrouper les Arcs de Triomphe).
Il se fait représenter au centre de chaque collection :
- debout tenant son carnet de notes, avec Pannini derrière lui (portant la Croix de Cavaliere dello Speron d’Oro) ;
- assis se retournant vers un jeune dessinateur, qui pourrait être Hubert Robert |2].
Pannini, 1758, Louvre (231 × 303 cm)
En 1758-1759, Pannini réalise cette autre version des deux Galeries pour François-Claude de Montboissier, abbé de Canillac et chargé d’affaires à l’ambassade de France à Rome. Elle diffère dans la position des personnages (l’abbé remplaçant le comte) et dans les tableaux accrochés.
Les pendants temporels de Turner
Turner est certainement celui qui a poussé le plus loin la comparaison de l’état ancien et de l’état moderne, devenant même un des premiers grands spécialistes de le reconstruction virtuelle d’architectures antiques.
Voici les quatre pendants, qu’il a dédié à ce thème. Pour l’analyse détaillée, voir Les pendants de Turner : 1797-1828 et Les pendants de Turner : 1831-1843
Emancipation, The past and the future
Thomas Nast, Harper’s Weekly, January 24, 1863
Le premier Janvier 1863, Lincoln avait émis la Proclamation d’Emancipation. Cette illustration la commémore :
- en bas, un enfant porté par le Temps (symbolisant la Nouvelle Année) brise les chaînes d’un esclave :
- les scènes de gauche et de droite comparent l’Avant et l’Après.
Otho Cushing, ouverture de Life Magazine, décembre 1914
En imaginant, en 1914, la couverture de Life telle qu’elle serait en 1950, ce remarquable pendant temporel prévoit la victoire définitive du dénudé et du sauvage, ainsi que la mode de la pipe pour dames. Le couple du futur reste néanmoins conventionnel : la femme se tient toujours à gauche de l’homme, qui garde sa canne et son chapeau.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Galerie_de_vues_de_la_Rome_moderne |2] https://www.metmuseum.org/art/collection/search/437245