« Il demande à trente-sept étudiants en psychologie de répondre individuellement à une même tâche créative. Il s’agit d’imaginer que l’on se trouve dans une autre galaxie, sur une planète très différente de la Terre. Sur cette planète étrangère, on rencontre un animal extraterrestre. La tâche consiste alors à en dessiner le portrait. Si le cœur vous en dit, prenez quelques minutes pour vous prêter à l’exercice…
Dans les propositions dessinées par les étudiants, on trouvait notamment des animaux étranges ressemblant à des lamas, des ptérodactyles ou encore des cellules. Au sein de cet échantillon, la proposition la plus curieuse était sans doute un amas de tentacules, qui n’était pas sans évoquer la branchiflore d’Harry Potter. Mais, outre les propositions des étudiants, il est intéressant de regarder comment Ward avait prévu de noter l’originalité des réponses proposées. Le chercheur s’intéressait à la présence de symétrie de la forme, de membres habituels (comme des bras ou des jambes) et d’organes sensoriels connus (comme des yeux ou des oreilles). L’animal dessiné était considéré comme original s’il contenait au contraire des membres ou organes sensoriels non habituels. Une proposition créative était donc un extraterrestre qui ne présentait aucune propriété classique des animaux terrestres (corps symétrique, bras, jambes, yeux, bouche, ails ou encore trompe) et qui introduisait par ailleurs des caractéristiques inédites.
Or, dans les solutions proposées, on pouvait aisément remarquer que ces extraterrestres imaginaires présentaient tous une parfaite symétrie de la forme, ainsi que des bras, des jambes, des yeux et des oreilles. Et même lorsque l’on considérait la proposition qui semblait la plus originale – la fameuse branchiflore -, on pouvait remarquer qu’elle présentait elle-aussi des organes sensoriels classiques à l’extrémité de ses différentes tentacules, notamment des yeux ainsi que des orifices pouvant s’apparenter à des bouches ou des oreilles. Cette expérience montre ainsi que lorsqu’on nous demande d’être très créatifs et d’imaginer quelque chose de radicalement différent de ce que l’on connaît (comme un animal qui n’existerait pas sur Terre), nous avons systématiquement tendance à proposer des solutions familières et peu originales. Nous serions donc naturellement fixés par ce que nous connaissons. »
« Se libérer de la fixation demande ainsi de fournir un effort visant à éviter d’emprunter les raccourcis de pensée qui nous amènent de façon presque automatique vers les solutions classiques. Pour être créatif, il faut ainsi faire appel à l’inhibition (couper le pilotage automatique), et enclencher un ré-aiguillage du cerveau pour le sortir de la voie de la fixation. Heureusement, il existe plusieurs astuces de défixation aidant à booster notre créativité : jouer sur les exemples en est une. Si les exemples de solutions classiques renforcent la fixation, l’introduction d’un exemple original produira l’effet inverse et aidera le cerveau à se défixer.
(…) La capacité de notre cerveau à générer de bonnes idées est ainsi façonnée, à court terme comme à long terme, par nos expériences, notre formation et notre acquisition de nouvelles connaissances. La créativité n’est donc pas une qualité immuable et innée : elle peut s’apprendre et s’entretenir. Mais, si on ne fait rien, le cerveau restera dans son état naturellement fixé, et il sera difficile de générer des idées innovantes. »
Qu’en est-il de votre dessin de cet animal extraterrestre, maintenant que vous connaissez quelques critères d’évaluation ? Est-il réellement original ou présente-t-il des similitudes avec des critères d’animaux existants sur notre la Terre ?
Cette expérience vient aussi éclairer différemment l’idée de lâcher-prise en créativité : on pense souvent que le lâcher prise nous aide à être plus créatifs, mais en réalité, il est parfois le plus court chemin vers des propositions relativement convenues. En revanche, un effort délibéré d’originalité peut s’avérer plus fructueux.