Voici l’épisode 4 des femmes dans l’Ancien Testament et leurs représentations dans l’art ! Pour mieux comprendre ce qui suit, voici les liens des premiers articles :
Épisode 1 : Sara
Épisode 2 : Les filles de Loth
Épisode 3 : Rébecca
Rachel, ou comment être à la disposition du sexe masculin
Isaac le patriarche, décide qu’il est temps que son fiston Jacob épouse une jouvencelle. Il lui ordonne d’aller trouver son oncle Laban (frère de la maman de Jacob) pour qu’il lui cède l’une de ses filles ; Jacob doit donc se marier avec l’une de ses cousines. Le jeune homme part pour le territoire d’Aram où réside son oncle. Arrivé sur place, un groupe de bergers l’aborde et lui annonce que sa cousine Rachel va se présenter à lui. Cette dernière s’avance et là, Jacob se met à chialer comme jamais tellement il est content, et qu’elle est « belle de taille et belle de visage. » Gen. 29 : 17 (dans ces cas là, faut pas hésiter). Ne pouvant plus se contenir, le jeune mâle entreprend l’assaut final et se précipite sur elle pour l’embrasser. MAIS le texte n’indique pas si Rachel est d’accord avec tout ce tintouin…
Charles-Joseph Natoire (1700-1777) a représenté ci-dessus cette scène de façon très « tendance ». En effet, au XVIIIe siècle, la mode est aux scènes galantes, c’est-à-dire des scènes courtoises qui représentent des hommes et des femmes qui passent ensemble un moment agréable, le plus souvent dans un cadre naturel. L’ensemble paraît « précieux », tout droit sorti d’un rêve. Quel est le sujet de ce tableau déjà ? Le moment où Jacob s’approche de Rachel, pleurant et lui sautant dessus pour l’embrasser. Natoire a représenté leur premier contact d’une façon déformée, Jacob s’agenouillant de façon galante, Rachel tenant pudiquement sa tunique contre elle de la main gauche, tendant timidement la droite vers lui. Point de morve, point d’agression, la scène est joliment empaquetée et est agréable à regarder.
De même avec ce tableau de Gustave H. Naecke, datant de 1823. La scène est très romantique : Jacob et Rachel se rapprochent l’un de l’autre, dans un pudique élan, tout en retenue, le jeune homme prenant délicatement entre ses mains celle de Rachel, leurs lèvres prêtes à se sceller en un chaste baiser. Le ciel est bleu, les bergers autour se reposent tranquilles, de même pour les moutons qui ont l’air de passer un excellent moment.
Ce tableau de William Dyce (1806-1864) nous montre un peu plus la réalité de la situation. Jacob paraît se précipiter sur Rachel, lui tenant une main, l’autre étant posée sur la nuque de la jeune femme. La position de cette main nous informe sur ce qui se passera à la seconde suivante : le baiser forcé. Rachel a les yeux rivés au sol, appuyée sur la margelle du puits pour résister un tant soit peu à l’élan de Jacob. Néanmoins, il est plus probable que le peintre ait voulu symboliser la pudeur et la virginité de la jeune femme. En effet, la cruche d’eau symbolise sa virginité intacte, posée sur le rebord solide du puits sur lequel Rachel s’appuie (= ses convictions/principes ?).
Ci-dessus, le tableau de Tanzio da Varallo (1575-1633) nous montre une scène forte. Jacob, branché en ligne directe avec le divin, lève les yeux au ciel. Ses mains, notamment celle de gauche, s’apparentent à des serres qui se referment sur le corps de Rachel. Cette dernière paraît le repousser de ses mains, celle de droite montrant par sa posture un net refus. Mais c’est surtout son regard qui est frappant. Elle nous fixe, comme nous prenant à témoin, l’air déterminé.
De la valeur marchande tu auras
Après cette magnifique entrée en matière, Jacob court chez son oncle pour lui demander la main de sa fille. Laban, qui ne perd pas le Nord, lui dit qu’il lui donnera son accord à condition qu’il travaille pour lui durant 7 ans. Donc l’oncle et le neveu traitent Rachel comme une monnaie d’échange, une vulgaire marchandise, pour arranger leurs petites affaires.
Hendrick Ter Brugghen (1588-1629) a représenté ci-dessus la rencontre entre Jacob et Laban. Les deux hommes sont en plein marchandage alors que Rachel, qui se tient debout près de son père, attend patiemment que l’échange se termine. La jeune femme, le visage fermé, regardant dans le vague, paraît extrêmement blasée. Son épaule gauche est dénudée, rappelant son statut de femme désirée par Jacob.
Ter Brugghen a peint cette scène une deuxième fois (ci-dessous). Cette fois-ci, Rachel est près de Jacob qui la montre de sa main en s’adressant à Laban. Ce dernier désigne sa fille également d’un geste, les deux hommes la traitant bel et bien comme une vulgaire marchandise. Rachel dévoile ici bien plus qu’une épaule, puisque sa poitrine est apparente, débordant de son corsage. Les yeux baissés vers le sol, elle est réduite au silence et subit la transaction dont elle est l’objet.
Malgré le long délai imposé, Jacob accepte d’être le larbin de Laban durant 7 ans pour obtenir la main de Rachel.
La course à la fertilité
Les 7 ans écoulés, Laban organise un festin pour célébrer la future union de sa fille Rachel avec Jacob. Mais la nuit venue, Laban fait emmener sa fille Lea dans la chambre de Jacob dans le noir complet. Croyant que c’est sa promise Rachel, Jacob n’en pouvant plus, s’accouple avec elle. Le lendemain, patatras, à la lumière du jour il se rend compte que ce n’est pas sa future épouse ! Jacob pète son scandale, furieux d’être pris pour un jambon. Mais Laban lui rappelle que Lea est l’aînée, et qu’elle doit donc se marier la première. Et on ne discute pas avec tonton : Jacob se marie à Lea. Puis Laban (décidément très blagueur !) l’autorise 7 jours plus tard à également épouser Rachel. Jacob est moyennement content car, ok, il a deux épouses pour le prix d’une mais c’est Rachel la plus belle et la plus parfaite, Lea, bof bof.
Et là, c’est le début d’un bourbier sans nom. Rachel et Lea entrent en compétition pour concevoir un hériter (mâle bien entendu) à Jacob. Rachel étant la favorite de ce dernier, Dieu décide d’aider Lea, et pas qu’à moitié : il rend Rachel stérile. Lea conçoit par la suite 4 fils avec Jacob. Alors que le récit est déjà bien avancé, Rachel prend enfin la parole, s’adressant à son époux : « Apporte-moi des enfants, sinon j’en mourrai. » (Gen. 30 : 1). La jeune femme se définit donc par le prisme de sa capacité à enfanter ou non, la stérilité étant ici associée à la mort. De plus, grosse pression, elle se doit de perpétuer la lignée du peuple hébreux, débutée avec le 1er patriarche (Isaac, grand-père de notre Jacob) après qu’il ait passé une alliance avec Dieu.
Ci-dessus, Dante Gabriel Rossetti (1828-1882) a représenté sur la gauche Rachel. Elle est vêtue d’une robe pourpre, symbolisant la mort, l’inactivité et donc sa stérilité. À droite se tient Lea, vêtue d’une robe verte, couleur qui évoque la vie, sa fertilité. Elle tresse du chèvrefeuille et une rose est piquée dans ses cheveux ; pour Rossetti, ces deux fleurs symbolisent l’attirance sexuelle.
Rachel prend alors la décision de céder à son époux sa servante Biha qui elle, peut concevoir sans problème. Biha accouchera successivement de deux petits garçons : Dan et Nephtali, nommés ainsi par Rachel. Cette dernière est soulagée mais en remet une couche au sujet de sa rivalité avec sa soeur « C’est une lutte que j’ai entreprise contre ma soeur, et aussi je triomphe. » (Gen. 30 : 8). Ainsi, que ce soit Lea, Rachel, ou bien la servante Biha, les femmes de ce récit n’existent qu’à travers leur capacité à enfanter (ou a trouver d’autres moyens pour sauver l’honneur). Rachel se sert de Biha, de par sa position de maîtresse qui contrôle sa servante. Cette dernière n’a pas son mot à dire ; elle est réduite à être un utérus sur pattes, à s’accoupler avec un homme qui ne lui plaît peut-être pas (aucune mention à ce sujet) et à céder les enfants qu’elle a portés. Et la compet’ reprend de plus belle… Lea ne veut pas être en reste et pour augmenter le rendement, elle jette elle aussi en pâture à Jacob sa servante Zilpa qui accouchera de deux garçons. Lea remet ensuite sa propre machine à procréer en route et accouche d’une fille (Zut !) et d’un garçon. Et ça nous fait un 8-2 pour Lea qui remporte haut la main cette course pour multiplier comme des petits pains la descendance de Jacob !
Maîtriser le père, combler l’époux et mourir
Cependant, Dieu finit par avoir pitié de Rachel et il appuya sur le bouton « fertile » de son tableau de bord divin. Rachel accouche de son véritable premier enfant, « Joseph ». Suite à ce miracle, Jacob qui s’est enrichi avec le commerce très lucratif des moutons – en le dissimulant à tonton-beau-papa – décide de partir. Il prévient alors ses deux épouses qu’ils vont se casser en douce.
Lea et Rachel se réveillent et râlent enfin sur ce que leur père leur a fait subir au début du récit » considérées par lui comme des étrangères puisqu’il nous a vendues » (Gen. 31: 15) (et l’attitude de Jacob envers elles on en parle ? Non.) Avant de partir, Rachel vole des statues d’idoles appartenant à son père ; le méfait accompli, le trio part pour la terre de Canaan. En douce. Je vous laisse constater ci-dessous à quel point leur départ fût discret :
Laban se rend compte de leur disparition ainsi que de celle de ses statues. Il les rattrape sur la route et leur demande RENDS L’ARGENT pourquoi ils se sont cassés et surtout, où sont ses statues ?! Jacob, qui n’est pas au courant du vol, lui dit qu’il débloque un peu et qu’il n’en sait rien. Laban s’approche de sa fille Rachel et lui demande « OÙ SONT MES BIBELOTS ?! ». Rachel les a dissimulés sous la selle de son chameau, sur laquelle elle est assise. Elle répond à son père « Ne sois pas offensé, mon Seigneur, si je ne puis me lever devant toi à cause de l’incommodité habituelle des femmes. » (Gen. 31 : 35). En gros, elle a ses règles.
Giambattista Tiepolo (1696-1770) a représenté cet épisode en une fresque (ci-dessous). Rachel, vêtue de bleu (pureté, Vierge Marie) est assise sur un tissu rouge qui pourrait symboliser le sang de ses règles. Sur la gauche nous avons une scène qui évoque une pastorale, à savoir une scène bucolique où la paysannerie (ici des bergers) est idéalisée. Sur la droite, une représentation « orientalisante », c’est-à-dire qu’elle fait référence à « l’Orient », région fantasmée par les occidentaux (cf les costumes des personnages et la présence de chameaux). On y aperçoit Lea, penchée vers ses enfants.
Ce passage du récit est intéressant pour plusieurs raisons. Des siècles durant – et encore aujourd’hui dans certaines régions du monde – les règles excluaient les femmes de la société. Ici, Rachel informe son père qu’elle ne lèvera pas son popotin car elle est indisposée ; le fait qu’elle ait ses règles lui permet ainsi de prendre le pouvoir sur son père en lui intimant de respecter son état. Mais alors, pourquoi est-ce qu’elle dissimule ces statues d’idoles ? Le texte ne le précise pas mais on peut supposer que c’est par vengeance, ou bien pour détourner son père de l’idolâtrie. Aussi, cela peut être parce qu’elle reprend le flambeau de la famille (en se mariant et en procréant) ainsi que celui de Dieu. En effet, – pour rappel – en épousant Jacob, elle s’unit au 3ème patriarche et perpétue ainsi la lignée du peuple hébreux. Laban renonce à ses bibelots, à l’argent que s’est fait Jacob derrière son dos, et leur donne sa bénédiction
La petite famille reprend la route, et c’est entre les villes de Bethel et d’Efrath que Rachel accouche d’un second enfant. L’accouchement se passe mal mais la sage-femme précise à la maman que tout va bien, puisque c’est un garçon.
Rachel le baptise « Ben-Omi » ce qui signifie « fils de ma douleur » ou bien « fils de ma force ». Mais non, ça ne va pas si bien puisque Rachel meurt des suites de son accouchement. Jacob re-nomme alors son fils « Benjamin », c’est-à-dire « fils de la droite ». Rachel décédée, Jacob est au fond du sceau et l’enterre à Bethléem ; il l’aimera toute sa vie durant, délaissant Lea qui restera pourtant à ses côtés.
Rachel est donc la troisième matriarche (après Sara et Rébecca) a être malmenée selon le bon vouloir divin et celui des hommes de son entourage dont elle est sous la tutelle. Traitée comme du bétail, rongée par une jalousie qui gangrène sa relation avec sa soeur, fertile, stérile, puis fertile, pour finir par mourir en couches. Du côté des artistes, dès le XVIe siècle, les scènes représentant Rachel la montre la grande majorité du temps comme une belle jeune femme, docile et attirante. Elle évolue dans un décor fantasmé, idéalisé, tel un écrin qui minimise – voire masque complètement – la violence de ce qu’elle subit tout le long du récit.
La suite au prochain épisode, pour découvrir les autres figures féminines de l’Ancien Testament dans l’art !
Les épisodes précédents :
Épisode 1 : Sara
Épisode 2 : Les filles de Loth
Épisode 3 : Rébecca
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Sources :
- Baladier Charles (dir), Lapierre Jean-Pie (dir), La petite Encyclopédie des Religions, éditions du Regard, Paris, 2000
- Bebe Pauline, Isha, Dictionnaire des femmes et du judaïsme, Calmann-Lévy, 2001
- Debray Régis, L’Ancien Testament à travers 100 chefs-d’oeuvres de la peinture, Presses de la Renaissance, Paris, 2003
- Maës Gaëtane, cours sur : L’introduction à la peinture et aux arts graphiques en Hollande et en Flandres au siècle d’or, Université de Lille 3, 2015