(Note de lecture), Etienne Paulin, Là, par Philippe Fumery

Par Florence Trocmé

Dans le recueil d’Étienne Paulin, nous ne sommes pas dans « l’ici et le maintenant », exposés et comme fixés dans un présent tangible. Nous sommes dans le domaine du « là », ou du moins dans le registre du « là » : celui-ci se trouve sous nos yeux, sans doute, mais il reste à préciser, à délimiter. Tout semble bouger au sol, flotter. Tout nous tire vers un ailleurs, à la fois espace et temporalité, celle-ci déplacée du côté de l’enfance. Tout naît à la dérobée, 42.
Nous passons à côté de lieux qui pourraient être ce « là » : une espèce de verrière, 11 ; une véranda grise / dévorée de bruine, 20 ; un square, 28, 36 ; ou encore une rotonde / malléable dans le souvenir, 31 ; au fond d’une piscine, 50.
Ce lieu est sans doute pavé ou carrelé, c’est la seule qualité dont l’auteur se sert pour commencer à le décrire : pavés insignes, 11 et 42 ; dans les masures les tommettes, 11 ; les curieux carreaux noirs au fond d’une piscine, 50. Le carrelage est la matière utilisée pour marquer le lieu, lui donner assise et solidité. Une chose est sûre, cet élément est ancien : je me souviens des carrelages, 39.

« Là » pourrait aussi prendre la forme d’une péniche, d’un navire au hasard, 36, glissant entre les berges, mobile ou parfois amarré contre ce joli coin d’écluse, 64.
Tout le recueil et nous, lecteurs confiants, devons tendre vers le « là » : on essaye on fréquente / on va vers on croit voir, 30 ; un poème doit bondir / ou être rebondi /… / mais son rêve est de tendre vers toi. 40.

L’auteur ne nous abandonne pas cependant, et le « là » sera dit au moment où survient un accident, une fois la stupeur retombée : rendez-vous compte / il faut un accident / là soudain, 54.

Le recueil est sous-tendu par cette question : pourquoi ce lieu / continue tant, 39. Il tient d’un bout à l’autre sur ce fil tendu, au bord de l’équilibre, jusqu’aux « Séquelles » des dernières pages. Ce lien apparaissait dans un recueil précédent, sous la forme de propositions entrant en contradiction (1): ramenez-vous car tout est là, 36 ; rien n’est vraiment là, 37. Cet équilibre à tenir n’est pas la moindre qualité de la délicate poésie d’Étienne Paulin.

Mots feuilles mortes
cet équilibre que je recueille. 13
Philippe Fumery

Étienne Paulin, , Gallimard, octobre 2019, 67 pages, 10,50 euros.
1. 30 poèmes Éditions Henry, Les Écrits du Nord, 2017. Le tout dernier poème de ce recueil est intitulé « .là. »

Extrait choisi : page 30
DE LA FENÊTRE
péniches et balafres et péniches encore
empesées silencieuses
on oublie
s’enfuit par
on essaye on fréquente
on va vers on croit voir
et le motif est l’émotion
du monde effleuré