Dunhuang : au zénith de l'art bouddhique
Véritable trésor de l'héritage culturel chinois, l'ensemble des grottes de Dunhuang est également un symbole des relations culturelles entre l'Inde et la Chine via l'influence du bouddhisme. L'art de Dunhuang représente un précieux témoignage sur les différentes pratiques artistiques antérieures aux Song, aussi bien au niveau de le peinture que de la sculpture. On y décèle de multiples influences dues à la localisation même du site : à l'est du désert de Taklamakan, cette ville est un carrefour important pour différentes routes commerciales en provenance de l'Asie Centrale. Bien que l'existence des grottes, dépendances du monastère de Dunhuang, soit attestée depuis le IVe siècle, c'est principalement sous la dynastie Tang que va se développer le complexe troglodytique. Les grottes de Mogao, qui constituent l'ensemble le plus important au sein du site de Dunhuang, comptent pas moins de 492 cavités dont la plupart sont richement décorées de peintures murales et de sculptures. Le site fut également une source importante de manuscrits bouddhiques dont différents chercheurs occidentaux, comme Paul Pelliot ou Aurel Stein, se sont portés acquéreurs au début du 20e siècle. Le texte sur lequel nous allons principalement nous baser est issu d'une publication de l'Ecole Française d'Extrème-Orient publié en 1978, notamment adaptée en français par Pierre Ryckmans.
Les techniques des peintres de Dunhuang
Outils des artistes à Dunhuang
Afin de mieux comprendre les différentes formes de représentation des thèmes peints à Dunhuang, il est important, dans un premier temps, de connaître les outils utilisés par les artistes.
Dans le texte, il est écrit : « Les pinceaux utilisés pour la peinture murale semblent avoir été d'une fabrication spéciale [....] les pinceaux de fresquistes étaient caractérisés par leur pointe dure et effilée qui les rendaient particulièrement adaptés aux tracés propres à la peinture de figures ».
Ainsi, le pinceau est un élément très important dans la peinture chinoise. C'est lui qui donne la forme du trait, son épaisseur et sa vigueur. Il est fait de diverses couches de poils concentriques divisés en plusieurs parties. Les poils de pinceau du fresquiste devaient être plus durs que ceux utilisés pour la peinture sur rouleaux de soie : le coeur, le ventre et le manteau - les trois parties principales du pinceau - étaient plus raides afin de convenir à l'utilisation de la peinture sur les parois des grottes. Grâce à sa grande capacité d'absorption, due à sa structure particulière, ce type de pinceau chinois se prête particulièrement à la réalisation de longs tracés continus, que l'on retrouve abondamment dans la peinture monochrome de Dunhuang.
Ce style est également à mettre en relation avec l'art de la calligraphie. En effet, il semble que le geste utilisé pour effectuer ces monochromes soit très proche de celui pratiqué par les calligraphes. Dans les deux cas, c'est le mouvement de l'artiste et la pression qu'il effectue sur le pinceau qui permettent d'insuffler la vitalité, aussi bien dans les représentations iconographiques que pour le tracé des caractères.
Le second élément indispensable est l'encre. Dans le texte, l'auteur écrit : « [...] Les éléments monochromes interviennent dans un contexte de peinture en couleurs. [...] Les artistes utilisaient la couleur de la même façon que leurs successeurs utiliseront l'encre. [...] Cette notion que la couleur, c'était l'encre des anciens. »
On se rend compte, grâce à ces extraits, que l'évolution des compositions a également déterminé une certaine hiérarchie, principalement mise en place sous les Tang, entre la couleur et l'encre. L'importance est donné au trait de contour qui suggère la forme. La qualité du trait passe notamment par la qualité de l'encre employée. Présentée sous forme de bâton obtenu à partir de la combustion de certaines essences de bois ou d'huiles végétales, il ne faut pas qu'elle soit trop épaisse ou trop liquide une fois mélangée à l'eau. La qualité de la pierre à encre est également à prendre en compte : son grain doit être fin et régulier, et sa consistance ne doit pas être trop dure afin d'éviter des irrégularités dans la phase de broyage.
Par ailleurs, nous devons préciser que les couleurs sont présentes dans des peintures de toutes les époques à Dunhuang. Son rôle a cependant varié au cours des siècles. Lorsque l'auteur parle de la couleur comme de l'encre des anciens, il fait principalement référence à l'époque antérieure aux Tang, comme par exemple les Six Dynasties ou les dynasties des Jin. A cette époque, l'encre n'avait pas encore le statut qu'elle acquerra sous les Tang et la couleur avait une grande importance. Dans le texte, l'auteur fait notamment allusion au vermillon qui était employé à la place de l'encre pour former les lignes principales des compositions. On peut d'ailleurs en prendre conscience en observant les peintures sur rouleau du célèbre peintre Gu Kaizhi qui suggérait diverses textures grâce à ses couleurs. Puis, au fur et mesure, le trait à l'encre va supplanter la couleur dans les compositions. Cette dernière, toujours présente, se révélera une sorte d'accompagnement et de mise en scène pour la peinture monochrome à proprement parler. Dans son traité des Six principes de la peinture, Xie He (VIe siècle) évoque comme quatrième principe l'utilisation de la couleur en rapport avec la nature du sujet représenté. A Dunhuang, à partir de la seconde moitié de la dynastie Tang et notamment à partir de l'occupation du site par les Tibétains, les couleurs se font plus rares. On utilise principalement le bleu et le vert comme couleurs primaires, ainsi que le blanc pour les arrières plans. D'après les données testimoniales que l'on possède à propos de la réalisation de peintures murales à l'époque Tang, on voit que ce n'est pas le maître lui-même qui réalise la coloration des peintures mais plutôt ses élèves ou bien encore ceux que les textes mentionnent comme des « artisans ». On voit qu'il y a donc deux phases bien distinctes qui donnent à la peinture monochrome son nom, relatif à son autonomie vis à vis des couleurs. Malgré cette distinction, l'auteur insiste tout de même sur l'importance de la couleur dans la composition de peintures monochromes : « [...] la peinture monochrome n'est elle jamais plus vivante et plus marquante que lorsqu'elle se combine avec une composition en couleur ».
Techniques de composition
La composition de l'oeuvre est un élément essentiel dans la peinture chinoise. S'il existe de nombreux traités sur le sujet, nous pouvons tout de même discerner plusieurs traits communs et récurrents. Comme nous l'avons vu précédemment, l'utilisation de la couleur, si elle a connu des évolutions, reste un élément important de la composition. Dans le texte, on peut lire « [...] ces fragments monochromes, contrastant avec leurs contextes bariolés, se détachent d'une façon saisissante. » Ce jeu de contraste entre les peintures strictement monochromes et les couleurs dépend non seulement de la composition de la scène peinte, mais également de la grotte entière lorsqu'il s'agit d'une peinture murale. Une fois le dessin de préparation effectué, la couleur était appliquée suivant des règles de proportion bien précises : en accord avec des jeux de symétrie, de répétitions et de rappels. La couleur est également un élément qui permet d'obtenir un effet en trois dimensions des sujets représentés.
Une autre technique qui permettait de donner du relief à la peinture est celle dite du « sfumato de couleur » qui forme une sorte de trompe l'oeil pour le spectateur. Cette technique que l'on connaissait déjà à l'époque des Han occidentaux consiste à souligner d'ombre les différents éléments que l'on veut mettre en relief. Par exemple, dans la cave T83, on a souligné une figure peinte en trait vermillon (qui remplaçait l'encre dans les premières caves) avec une ligne plus sombre. La technique de « peinture sans os » évoquée dans le texte, est également une façon de donner un certain relief à un paysage. On en retrouve notamment des exemples à Dunhuang dans la représentation de paysages de montagne où les différents niveaux de distances sont suggérés par des changements de couleur et non par la structure même du dessin.
L'alternance de monochromes et de couleurs trahit également le concept de vide et de plein, cher à la tradition picturale chinoise. Dans le texte, il est écrit : « Si l'on veut discuter de peinture, il faut d'abord comprendre la corrélation du clairesemé et du dense [...] cette attitude à ménager un vide au milieu du plein ». L'auteur évoque ici le fait que la peinture chinoise s'inspire de la philosophie à l'origine de la culture chinoise. Cela fait notamment référence à Lao Tseu dans le Tao Te King :
« Chapitre XL
Le retour est le mouvement de la Voie ;
La faiblesse est la méthode de la Voie.
Les dix mille êtres sous le Ciel
Sont issus du « il y a » (yu) ;
Le « il y a » est issu du « il n'y a pas » (wu) »
Ce concept est également présent dans le symbole du Yin et du Yang, qui doit se comprendre non comme une opposition mais comme une complémentarité. Dans le sujet que nous traitons, la couleur est complémentaire du trait et non en opposition. De plus, les compositions formelles des oeuvres – c'est-à-dire l'agencement des formes dans la composition - sont également en rapport avec cette notion. L'utilisation même de monochrome au milieu de représentations très colorées apporte un « allégement salutaire » et permet à l'oeuvre de respirer. Au sein de la composition, une place importante est aussi faite à la décoration. Les peintures murales de Dunhuang ont contribué à développer cette tradition, puisqu'en règle générale l'ensemble des murs des grottes étaient couverts de motifs. Au delà des éléments figuratifs que nous évoquerons plus tard, une grande partie de ces peintures était constituée de motifs décoratifs qui possédaient un agencement bien précis au sein des différentes caves. Dans le texte, l'auteur parle notamment de « motifs décoratifs interchangeables ». Ces derniers pouvaient également être peints pour donner une impression d'immersion au spectateur lorsqu'il rentre dans une des grottes. Dans la cave n° 61 par exemple, se trouve peinte une carte du Mont Wutai. Grâce à une technique de « vue aérienne » (« Bird's Eye view » en anglais), l'artiste à pu reproduire, dans une espace de 50 m², un site qui en mesure réellement plusieurs centaines. De plus, les détails sont soigneusement peints et l'on peut notamment y apercevoir différents pics montagneux, un sanctuaire ou bien encore des cours d'eau. Cette technique permet de concentrer un grand nombre de détails dans un faible espace en adoptant ce genre de perspective connu depuis l'antiquité chinoise.
Le trait
Afin d'étudier l'évolution de la peinture à Dunhuang, on peut regarder l'évolution du trait comme un marqueur temporel assez précis. Ceux des premières peintures de Dunhuang étaient plutôt fermes, réguliers et assez vigoureux. On trouve de nombreux exemples de ce type de trait dans des représentations de divinités ou bien encore de personnages volants issus du taoisme, notamment dans la période des Wei Occidentaux.
Sous les Tang apparaît un nouveau style de trait « en feuille d'orchidée » (« orchid-leaf line » en anglais) qui s'obtient en maniant le pinceau par son extrémité puis en exécutant des lignes fluides et arrondies. L'aspect particulier de cette technique est idéale pour les portraits, qui se trouvent ainsi bien découpés du support par un trait qui apparaît assez doux à l'extérieur mais plus ferme en son centre. A partir de la période des Cinq Dynasties et simultanément au déclin de l'art bouddhique en Chine, le trait des peintres perd de sa vigueur et cela se ressent notamment dans la représentation des personnages. En effet, les émotions sont moins bien rendues. Durant la dynastie Yuan, on utilisait différents styles de traits selon l'iconographie choisie : des lignes aux angles doux mais au traits sûrs pour réaliser les Boddhisatvas ; des lignes épaisses qui s'affinaient ensuite pour les représentations de guerriers, afin de mettre leur musculature en valeur ; des lignes torsadées pour rendre les plis des vêtements. Autant de caractéristiques différentes pour reproduire des personnages plus authentiques, réalistes. Cette évolution dans les peintures de Dunhuang peut également être transposable à ce qui se passe plus au coeur du pays. On retrouve par exemple la ligne droite et ferme avec Gu Kaizhi (344 – 406). Lui succède Wu Daozi (680 – 740), qui utilisait le trait « en feuille d'orchidée » décrit précédemment. Enfin des artistes plus tardifs comme Liang Kai (fin XIIe, début XIIIe siècle) qui utilisait notamment ces lignes torsadées que l'on a pu voir dans les représentations vestimentaires de Dunhuang. Cependant, les peintres de Dunhuang ne se contentent pas d'imiter ce qui se fait dans le centre de la Chine. On peut noter plusieurs créations de la part des artistes du site ; comme par exemple des traits de poudre blanche. En ce sens, Dunhuang acquiert également un statut de lieu de création et non seulement de miroir de ce qui se passe dans les principaux centres d'innovation artistique chinois.
Les différentes formes de représentations
Les représentations du divin
Dans la peinture de Dunhuang, les représentations de divinités venues du bouddhisme et du taoïsme sont très nombreuses. Introduit à partir du Ier siècle de notre ère, le bouddhisme devient un courant majeur de la pensée chinoise à partir du IIIe siècle. Les grottes de Dunhuang, dépendances d'un monastère bouddhique, vont concentrer un grand nombre de manuscrits ainsi que de peintures à caractère religieux. La création de telles oeuvres en si grand nombre et dans un tel contexte peut sembler surprenante. Cependant, en y regardant de plus près, on s'aperçoit que ces grottes étaient réellement propices à ce genre de représentation ; elles créent un univers quasi mystique autour du visiteur qui est totalement enveloppé par les illustrations religieuses, aussi bien peintes que sculptées. Cette reproduction tangible du divin engendre une proximité, un lien entre les deux mondes. Bien que le bouddhisme ne se définisse pas à la base comme une religion nécessitant un culte particulier, le syncrétisme qui a opéré en Chine a donné naissance à ces pratiques cultuelles représentées dans les manuscrits et sur les parois des grottes de Dunhuang. En ce qui concerne les scènes figurées, l'auteur du texte nous précise que l'on a affaire d'une part à « un jeu interchangeable d'invariable stéréotypes », et d'autre part que, pour les éléments iconographiques des monastères « [...] les artisans utilisaient des cahiers de modèles qu'ils se contentaient de reproduire », comme par exemple le Sutra du Lotus. Ce texte est l'un des plus importants dans le bouddhisme Mahayana, courant majoritaire en Chine, en raison des nouveaux principes qu'il prône. En effet, son objectif ultime est de montrer la valeur universelle et cosmique de l'enseignement de Bouddha. Le terme même de Mahayana « unique » doit être compris comme « universel ». Tous les êtres vivants ont accès à la boddhéité, ce qui n'était pas le cas des femmes par exemple avant l'apparition du Sutra du Lotus. L'impact culturel d'un tel texte fut très important et le fait que l'on en retrouve de nombreuses représentations, notamment à Dunhuang, n'est donc guère surprenant. En outre, le Sutra du Guanyin (homologue féminine du boddhisatva indien Avalokiteshvara), qui était à la base une partie du Sutra du Lotus, a par la suite circulé de manière indépendante et contribué à la popularité de Guanyin. Ce boddhisatva protecteur a le pouvoir d'abolir les dangers et d'apporter le salut à quiconque lui adresse des prières sincères. La simplicité de la formule incantatoire à notamment favorisé la popularité de Guanyin.
Cela explique donc pourquoi, dans les parchemins et sur les parois des grottes de Dunhuang, nous avons retrouvé de nombreuses représentations du Bouddha assis sur un lotus (représentation classique du Sutra du lotus) ainsi que Guanyin sous différentes formes. Par ailleurs, dans le rouleau P3958 une effigie de Guanyin à onze faces (forme la plus souvent représentée de la déesse) tient des perles - symbole de bons augures, éloignant les influences néfastes - dans deux de ses mains et un rameau de saule - fort symbole d'humilité dans la tradition bouddhique (mais aussi de longévité dans la taoisme) - dans son autre main droite. Il existe ainsi, comme le fait remarquer l'auteur du texte, tout un éventail de figures représentées avec différents attributs. De plus, bien d'autres sutras ont été représentés dans les grottes de Dunhuang, la palette des possibilités s'en trouve ainsi considérablement étendue. Parmi les scènes les plus fréquemment représentées, on peut notamment citer les différentes « étapes » de la vie du bouddha Sakyamuni (du personnage historique), les représentations du Trikaya, doctrine du mahayana qui consiste en la ré-interprétation du bouddha qui serait divisé en trois corps hierarchisés : Sakyamuni, Avalokiteshvara et Amithaba. On voit aussi de nombreuses représentations des Fables de Jatakas qui représentent les naissances du bouddha avant Sakyamuni, ou bien encore les Histoires Hetuprataya, qui exaltent les pouvoirs magiques du bouddha.
Cependant, le grand nombre de thèmes pouvant illustrer la piété bouddhique fait pâle figure en comparaison au nombre de peintures existantes dans les manuscrits et sur les parois des grottes de Dunhuang. Ainsi on en arrive à y voir, comme le souligne l'auteur dans le texte, « [...] variations sur les mêmes thèmes tout faits ».
Cependant, outre les représentations issues de « scènes » bouddhiques, on retrouve également des représentations de divinités taoistes comme le prince Dongwanggong, la reine mère de l'Ouest Xiwangmu ou bien encore les Quatre Anges Gardiens ou bien encore le guerrier Wuhuo. Mais l'influence taoiste apparaît également dans l'iconographie bouddhique où certains détails, vestimentaires par exemple, lui sont empruntés. Cela permet en outre des variations sur, comme nous l'avons dit, des scènes à la structure narrative plutôt figée.
Il est évident que les styles de représentations ont également connu de nombreuses évolutions au cours de l'histoire, ce que nous avons évoqué précédemment tient lieu de généralisation. De plus, suivant les époques, on a tenté de faire passer des messages différents au travers de peintures qui représentaient le bouddha ; on pense par exemple à certaines scènes de piété filiale, qui mettent également en exergue les vertus du confucianisme.
Les représentations laïques
Outre les figurations religieuses, les peintures des grottes de Dunhuang sont également des supports pour de nombreux sujets laïcs. Dans le texte, l'auteur fait référence à « Des figures comme celles des donateurs dans une grotte de Dunhuang [...] ». En effet, la peinture de portraits des donateurs pourrait être considérée comme un style de représentation à lui tout seul. En règle générale, les donateurs sont identifiés par un texte que l'on retrouve en dessous de leurs portraits. Ces éloges panégyriques qui les accompagnaient existaient dès l'époque des Jin comme nous en avons la preuve dans L'Histoire des Jin. Ces textes qui faisaient l'éloge des vertus de la personnalité représentée était, semble-t-il, une facette complémentaire mais indispensable de l'art des portraits. La grande quantité de ses panégyriques trouvée dans les manuscrits de Dunhuang associée à des portraits d'une assez faible qualité, montre qu'il s'agissait d'un style vulgarisé par le grand nombre de compositions engendrées.
En effet, jusqu'à l'époque des Tang, ces portraits étaient assez similaires les uns des autres et l'iconographie représentait plus une classe sociale qu'une personne en particulier. Cependant, comme le nom de la personne apparaissait dans l'épitaphe, cela suffisait sans doute pour faire passer le généreux donateur pour un fidèle du culte bouddhique. Cette tradition que l'on retrouve dans les premières peintures de Dunhuang peut être également mise en relation avec le culte des ancêtres cher au confucianisme. Si, à la base, ces représentations concernaient des individus seuls, on a vu apparaître des peintures représentant des familles entières et devenir ainsi de véritables lieux de cultes pour les ancêtres. Cette tendance, qui avait débuté avec les Wei Occidentaux, connut son apogée sous les Tang avec quelques célèbres exemples à Dunhuang. Dans la grotte n°220 sont représentées 10 générations successives de la famille Zhai. Le mur de la cave illustre un arbre généalogique qui s'étend sur 280 ans. Ce genre de cave apparaît comme des halls familiaux. Dans la grotte n°98, dites « Grotte de la famille Cao », ce n'est pas moins de 169 portraits qui sont représentés, tous faisant partie de différentes lignées en rapport avec les Cao. Ce genre de regroupement peut être qualifié de clanique. Tandis que la tradition picturale des déités restait figée par un certain traditionalisme que nous avons déjà évoqué, la peinture des donateurs a quant à elle considérablement évoluée à l'époque Tang. Simultanément au développement de ces véritables halls familiaux, les représentations des portraits de donateurs furent peints plus grand que nature et avec plus de détails. Cette peinture profita véritablement des évolutions du centre de la Chine. La représentation des vêtements devient un style plus chinois qu'indien : les personnages ont d'avantage l'air « bien portant » que les divinités, ce qui reflète le goût de l'époque Tang pour les formes rebondies. On retrouve également d'autres types de reproductions laïques que le portrait de donateurs. On compte notamment plusieurs scènes historiques, parfois en rapport avec les aléas politiques de la région, ou bien encore des personnalités légendaires, comme par exemple le général Zhang Qian qui fut le premier chargé par l'Empereur Wu d'explorer la route de la Soie. Ce genre d'histoires donnent notamment lieu à la figuration de nombreuses scènes de batailles et de cavaliers. On a également retrouvé de nombreuses représentations d'animaux ou bien encore plus simplement des scènes de la vie quotidienne de la population, comme par exemple des marchés ou bien encore la présence d'un étal de boucher.
Les motifs décoratifs
Au début du texte, l'auteur de la conclusion écrit : « Il n'y a pas de différences de nature entre la peinture de scènes et le tracé des motifs décoratifs ». Cette phrase nous indique, non pas que la peinture de Dunhuang crée un amalgame total entre la peinture de scène et la peinture de motifs (en effet, l'auteur semble encore les différencier, même s'il leur reconnaît une nature commune), mais que la nature de leur traitement est identique. A l'instar des scènes principales représentées, les motifs décoratifs font partis d'un agencement global qui respecte les mêmes lois de géométrie et de disposition dans l'espace. De plus, à l'instar du catalogue de scènes proposées dans la peinture de Dunhuang, on retrouve également un éventail de motifs, souvent d'inspiration religieuse, déclinés suivant de nombreux plans.
Cette peinture décorative joue un rôle très important car elle est souvent très colorée et vient donc compléter les peintures monochromes dont nous avons déjà parlé. Elles représentent un plein qui met en scène le vide représenté par les peintures au trait dont l'auteur parle comme « des joyaux dispersés dans la masse des peintures de Dunhuang, comme de l'or dans le sable ». On remarque ici le paradoxe de la comparaison entre les peintures monochromes et les joyaux évoqués dans la citation. La qualité et le caractère exceptionnel des ces oeuvres sont dus à leur simplicité au milieu d'un ensemble de décor très chargé en couleur.
Parmi les motifs décoratifs les plus souvent représentés à la fin de la période Tang, on trouve un grand nombre de personnages en rapport avec le culte bouddhique, comme par exemple les Apsara. Courtisans célestes issus de l'hindouisme, ces figures, qui possédaient un forte connotation érotique en Inde, ont été transformées par leur passage dans une Chine confucianiste plus conservatrice afin d'être « assagies ». Ces représentations étaient souvent utilisées pour orner de larges bandes de mur ou bien encore les plafonds. A l'opposé de ces courtisans célestes, le bas des murs se trouvait fréquemment orné de guerriers Vajra. Ces gardiens du dharma sont souvent peints dans des positions offensives avec une arme à la main. Comme nous l'avons déjà évoqué, ils subirent une modification de représentation à partir des Tang où leur musculature fut davantage mise en valeur par l'utilisation d'une technique de trait spécifique.
D'autres figures étaient également souvent représentées, comme par exemple des musiciens ou bien encore des serviteurs. Mais à partir de la dynastie Tang, l'iconographie de l'ornementation va peu à peu évoluer vers des formes moins figuratives. On retrouve de plus en plus de motifs végétaux comme des lotus ou bien encore des feuilles d'orchidée, on voit également apparaître à nouveau d'anciens motifs issus des symboles auspicieux chinois comme par des carapaces de tortues et particulièrement des dragons à la structure circulaire ainsi que différentes formes de phénix. Toute cette iconographie de l'ornementation est également à mettre en relation avec son contexte de présentation. En effet, en ce qui concerne les caves, les fresques recouvraient généralement l'ensemble des murs à l'exception de celui où se déroulait la scène principale. De plus le plafond était décoré d'un motif à damier également nommé dessin en caisson. Les caissons étaient évidemment eux aussi des cadres de différents motifs décoratifs. Il faut voir dans cette profusion de motifs l'importance de la notion de plénitude.
Les différentes influences stylistiques
L'importance du statuaire
Si les peintures forment l'essentiel de l'art de Dunhuang, il ne faut pas pour autant négliger l'importance du statuaire en stuc peint, et son influence sur les représentations picturales. Dans le texte, l'auteur précise que « la sculpture bouddhique est venu agir comme un stimulant sur l'activité des peintres ».
Tout d'abord, étudions rapidement l'évolution de la sculpture au sein même des grottes : les premières sculptures représentaient souvent Bouddha entouré de ses boddhisatvas. Souvent assis en position méditative ou de prière, l'agencement de composition rappelle la formation qui prenait place autour de l'empereur avec ses ministres à sa droite et sa gauche. Durant la dynastie des Wei, deux nouveaux disciples sont apparus au coté du trio déjà formé : Ananda, le cousin du prince Siddartha (le bouddha Sakyamuni), et Kasyapa, un fervent disciple. Dans les premières périodes des grottes, à l'instar de la peinture, il y avait des canons respectés pour la représentation des statues. On remarque par exemple la grande importance accordée à la tête des personnages aussi bien dans la peinture que dans le statuaire où les têtes étaient moulées séparément du reste du corps. Bien que cela entraîne des similitudes fréquentes, on ne peut qu'admirer le travail de finition ensuite effectué sur ces pièces. Dans le texte, l'auteur précise qu' « [...] à l'époque Tang, la sculpture, le modelage et la peinture entretenaient des relations étroites et s'influençaient mutuellement ». En effet, lorsque l'on regarde l'évolution des compositions à l'époque Tang, on comprend que les artistes ont voulu faire interagir entre eux ces différentes expressions artistiques.
Dans un premier temps, il est nécessaire d'insister sur l'évolution des statues en elles-mêmes qui mêlent de plus en plus d'éléments sculptés et moulés. La majorité des statues de cette époque sont réalisées en rond de bosse et on trouve peu de relief. Le niveau technique des artistes s'est en outre amélioré dans le rendu des détails et les sculptures tendent vers un nouveau réalisme qui les rendent encore plus imposantes.
L'autre innovation de l'époque Tang se trouve au niveau du mur derrière la statue. Les artistes ont créé un véritable « mur de scène » peint pour les sculptures décorées. Dans ces arrières-plans, la représentation de groupe de personnages venait renforcer cette impression de communauté. Par exemple, derrière les statues qui flanquaient de part et d'autre le bouddha central, on pouvait retrouver huit éminents moines, portant ainsi le nombre de disciple à dix. Derrière certains autels, peintures et sculptures se combinaient pour recréer l'histoire complète de certains sutras comme par exemple dans la cave n°180 où l'on a représenté le sutra de Maitreya.
Contrairement à la peinture des divinités, le carcan de la tradition picturale semble être moins oppressant pour les sculpteurs. En effet, à l'instar de la peinture des laïcs que nous avons déjà évoquée, la représentation des vêtements et même des formes des bouddhas et des boddhisatvas amorcent un changement sous les Sui pour se concrétiser sous les Tang. Ce changement commence par une modification du vêtement : on passe de l'habit traditionnel indien à une robe chinoise colorée qui donne un aspect élégant et plus féminin aux formes. Certains statuts voient même leurs profils se torsader dans une sorte de S à partir de la seconde moitié de l'époque Tang.
Enfin, on ne saurait parler de la sculpture de Duhuang sans évoquer les bouddhas géants qui apparurent au début de la période Tang. La création de gigantesque statues aux dimensions démesurées fait écho au développement socio-économique et politique de la région sous les Tang. Ces figures qui peuvent atteindre jusqu'à 33 mètres de haut sont très bien proportionnées et dégagent une puissance impressionnante.
Les influences de l'art funéraire
Au sein de la sculpture, un autre facteur est également à prendre en compte : celui de l'influence de l'art funéraire. L'auteur de la conclusion mentionne ce mobilier qui accompagnait les morts dans leur dernière demeure : « [...] la peinture [...] est évidemment tributaire des figurines funéraires [...] ». Ces figurines en terre cuite ou plus rarement en bois que l'on nomme Mingqi sont attestées depuis la dynastie Shang mais connaissent un véritable essor à partir des Han. Elles étaient des représentations des possessions du mort destinées à l'accompagner dans la mort. Elles nous ont renseignés sur la manière de vivre au quotidien avec des représentations de personnages mais aussi des maquettes architecturales, qui sont bien souvent les uniques témoignages des constructions des époques reculées. Leurs évolutions stylistiques trouvent également écho dans la peinture et la statuaire que l'on peut observer à Dunhuang. Le changement de style des figures à l'époque Tang que nous avons déjà évoqué, qui consiste en un rendu plus volumineux, plus rebondi des formes, se retrouve également dans les Mingqi. Outre les figurines de terres cuites, on retrouve également certaines similitudes entre les motifs de peintures de Dunhuang et ceux que l'on a pu retrouver sur les murs de certaines tombes. La composition de certaines caves de Mogao comme par exemple la n°249 fait fortement référence à ce que les archéologues ont pu retrouver dans certaines tombes de régions voisines, notamment à l'époque des Jin et des Seizes Royaumes. La similitude est observée au niveau des sujets représentés : souvent issus de la mythologie taoiste avec des personnages comme Dongwanggong, Xiwangmu ou bien encore Fuxi et Nuwa. Cependant, alors qu'a Dunhuang, l'iconographie bouddhique prend peu à peu le pas sur la mythologie taoiste, certaines tombes de la même époque reflètent quant à elles un certain sentiment « nationaliste » mis en valeur par l'intégration des motifs taoistes ou confucionistes dans des scènes bouddhiques On introduisit par exemple des gardiens ailés accompagnés d'animaux comme des tigres ou des dragons, avec des figures bouddhiques volantes.
Les influences de l'art étranger
La peinture de Duhuang, principalement d'influence bouddhique au moins à ses débuts, a été très marquée par l'emprunte de la culture artistique indienne. Dans la conclusion du texte, l'auteur nous indique : « Un bon peintre fait farine de tout blé : tout l'inspire, rien ne saurait être exclu du champ de ce qui peut alimenter son art ». Cet extrait sous-entend l'existence de nombreuses influences qui n'ont pas été clairement évoquées dans le reste du texte. Parmi celles-ci on peut notamment compter celle des pays occidentaux. Cette désignation vaste regroupe en réalité divers courants assez différents.
Afin d'expliquer ce phénomène, prenons exemple d'un autre cas de peintures murales que celles de Dunhuang. Dans les peintures murales des tombes de l'époque des Seize Royaumes, situées en Chine orientale, contemporaines à certaines peintures des grottes de Mogao, on remarque que les représentations sont très différentes. En effet, au niveau de la forme des corps, on retrouve une esthétique chinoise assez pudique issue du confucianisme. La forme des figures est donnée par celles des vêtements qui suggèrent seulement le physique des êtres. En conséquence, les détails de l'anatomie n'étaient pas très détaillés. Ce système de représentation symbolique du corps va se retrouver dans certaines peintures murales des tombes des Wei ou des Jin.
A Dunhuang cependant, on retrouve une représentation plus réaliste des figures humaines qui va même s'accroître au fur et à mesure du temps pour la peinture laïque par exemple. De plus, plusieurs peintures des grottes de Mogao représentent des personnes à moitiés nues, voire parfois complètement nues. L'anatomie est plus précisément détaillée, et on compte de nombreux détails du corps humain qui visent à rendre les personnes plus vivantes.
Pour expliquer cette différence de style entre les peintures de deux sites chinois, il faut approfondir l'étude des origines des peintures de Dunhuang. Comme nous l'avons dit, la nature religieuse des compositions fait remonter les influences picturales à l'Inde, berceau du bouddhisme, mais aussi à d'autre pays possédant une forte tradition iconographique religieuse comme par exemple l'Afghanistan. En regardant de plus près les influences artistiques qu'ont subi ces pays, on peut voir nettement l'empreinte laissée par la culture gréco-romaine. La sculpture indienne en a d'ailleurs gardé une trace importante avec les différentes sculptures de style hellénistique retrouvées dans la province du Ghandara. L'importation de ces nouvelles données dans l'art chinois va être petit à petit assimilée pour donner naissance à des évolutions notables comme par exemple une représentation plus précise de l'anatomie dans certaines peintures. L'influence des pays occidentaux et de l'Inde se fait également ressentir dans l'utilisation de la couleur. La méthode dont nous avons parlé de mise en relief des sujets grâce aux couleurs s'est diffusée dans plusieurs pays à l'ouest de la Chine à partir de l'Inde. Après avoir Dunhuang, cette technique fut encore améliorée et s'inséra au fur et à mesure dans la tradition picturale chinoise.
Dunhuang a donc une place particulière dans l'évolution de l'art en Chine. Ce site tient lieu à la fois de vitrine pour l'évolution des formes, aussi bien peintes que sculptées que l'on peut y observer, mais également d'exception pour certain procédés de représentation. En effet c'est un site qui a subi de multiple influences de la part de ses voisins directs mais également, dans une certaine mesure, du monde hellénistique. Son caractère religieux met également en relief un jeu de mise en scène du divin qui donne une atmosphère assez mystique à ces grottes recouvertes de peintures. Ces peintures, témoins de leurs époques, nous renseignent sur l'état des croyances à certaines époques et nous offrent également de précieux témoignages iconographiques sur l'évolution technique de la peinture et notamment l'utilisation de la couleur et du monochrome, qui sont ici complémentaires l'un à l'autre.
Tenaka
Légendes des images (grottes de Mogao, Dunhuang) :
Image spe : Scène de chasse avec un élément monochrome
Illustration 1 : élément monochrome (tête) au milieu d'une composition en couleur
Illustration 2 : peinture de Wu Daozi
Illustration 3 : peinture murale de Mogao (détails d'un boddhistava)
Illustration 4 : détails d'un décor représentant des Apsaras
Illustration 5 : Guangin assise sur un lotus, partiellement dénudée