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Beata Umubyeyi Mairesse : Tous tes enfants dispersés

Par Gangoueus @lareus
Beata Umubyeyi Mairesse : Tous tes enfants dispersés
Ce texte a été abondamment commenté en cette rentrée littéraire 2019. Des critiques emballées, positives. La mienne ira également dans ce sens et j’aurais pu me passer de la produire. Pourtant, je ne peux m’empêcher de donner mon avis. 
Ce premier roman de Beata Umubyeyi Mairesse est une réussite dans trois registres : les personnages, les thèmes traités et l'écriture. Dans chacun de ces domaines, l’écrivaine franco-rwandaise explore avec minutie, finesse, profondeur ses personnages, leurs fragilités, leurs puissances.

Les personnages :

Nous sommes entre le Rwanda et la France. Immaculata. Blanche. Bosco. Samora. Stokely. Samora est une pièce rapportée. Mais nous aurons l’occasion de revenir sur lui. 
Immaculata est la mère de Blanche et de Bosco. La grand mère de Stokely. La belle-mère de Samora. Elle a toujours vécu au Rwanda. Tutsi, elle a survécu au génocide perpétré par les Hutu contre les Tutsi. C’est une femme forte à l’histoire singulière que le lecteur va découvrir par bribes ou s’efforcer à capter les éléments que lui fournit l’écrivaine. Parce que la narration n’est pas linéaire. Parce que Immaculata, nous la découvrons à différentes étapes de sa vie. Son enfance sous la colonisation, avec la rencontre du Blanc au coeur de ce pays. Nous la découvrons dans sa vie de femme partiellement décrite pour les besoins de la construction complexe de ce roman. Elle parle. Puis ne parle plus, à la mort de son fils Bosco. Le silence. Porte-t-il une charge ? 
Blanche est la fille métisse d’Imaculata. Métisse. Mère de Stokely. De Blanche à Stokely par Samora. Cette question, «  comment nomme-t-on ? ». C’est le personnage le plus intéressant par la qualité de ses questions et la force avec laquelle elle construit sa personnalité. Comme son frère, elle a grandi sans son père français qui a quitté le Rwanda et n’a plus jamais donné signe de vie. Elle écrit des lettres à son père qu’elle n’envoie pas. Et déjà, là, règne un silence de la mère. Sur cet éloignement. Sur les raisons du départ du père. Comme Immaculata, on accède à la complexité de Blanche par les flashbacks qui nous fournissent des éléments de son enfance. Son départ du Rwanda quand commence le génocide. Le conflit qu’elle vit à distance sans avoir aucun élément. Les retrouvailles avec son frère et sa mère. Sa part d’identité française qui l’a protégé de la folie de ces cent jours. Cette France si impliquée dans l’armement des milices Hutu… Blanche, c’est aussi une rencontre, une naissance, une éducation. C’est le Rwanda qu’on porte en soi quand on est loin. Quand la culture est un moteur pour rester debout.
Bosco, c’est le petit frère qui a rejoint les troupes du FPR trois années avant les massacres de 1994. Il est noir. Ces nuances de couleur sont importantes dans la fratrie. Même si le point de convergence est la mère. Les retrouvailles sont complexes avec sa soeur. Bosco a survécu à la guerre. Il a traqué les milices Hutu jusqu’au coeur de la RDC. Mais comment a-t-il survécu après toutes les atrocités endurées ? Et Blanche qui porte en elle, cette identité française qu'il rattache à ceux qui ont participé à l'armement des hutu... Amour, colère et folie ?

Les thèmes :

Le génocide naturellement. Mais, Beata Umubyeyi Mairesse l’aborde de différentes manières. Comme lorsque Blanche se vide d’elle-même alors qu’on est entrain d’étriper sa cousine de coeur, sa jumelle restée au Rwanda. Comme lorsque Bosco raconte dans quel état ii a retrouvé sa mère qui se terrait depuis trois mois dans la cave d’une librairie belge, entourée de cafards. Inyenzi. Comme lorsque Bosco se suicide quelques années après. Les choses sont dites. Elles sont suggérées. Elle en parle sans vraiment en parler. Il y a une certaine puissance à procéder de la sorte.
Le métissage. Je devrai dire les métissages. Et je dois dire que son traitement est d’une très grande profondeur. Ce thème est récurrent en littérature africaine. Mais, rarement, je l’ai vu pris à bras le corps, sans que ce soit une complainte. Blanche rencontre Samora dans des cours de salsa. Samora est métis comme elle, de père antillais, inconnu au bataillon. Il a grandi dans le Medoc quand Blanche a vécu au Rwanda jusqu’en 1994. Elle explore son identité par son rapport à ses deux langues le français et le kinyarwanda. Un frottement aux langues plein et total. Elle les habite et dans l’écriture d’Umubyeyi Mairesse cette dualité est claire. Si la quête du père absent est nécessaire, elle n’est pas une fin. Et on ne peut pas dire qu’elle choisit une culture plus qu’une autre ou alors, comme me l’a dit une fois une de mes cousines que j’aime beaucoup, elle n’est pas une sans continent. A cela, on a la posture de Samora diamétralement opposée, superficielle, « militante ». Porter le prénom de Samora Machel, héros de l’indépendance mozambicaine s’inscrit dans sa démarche. Il y a un reproche de légèreté et de superficialité comme dans l’anecdote suivante :
Tu avais proposé Kanuma, la petite colombe, en disant : « il sera un symbole de paix retrouvée » […] « C’est court, c’est simple, facile à retenir », avait-il versé dans la liste des arguments favorables » pour Kanuma. Samora avait parfois l’assurance démesurée de ceux qui ont trop longtemps douté de leur identité. […] Je sursautai en découvrant qu’une lettre avait été modifiée pour le deuxième prénom. En lieu et place de la petite colombe Kanuma, je lus et relus, pour m’assurer que mes yeux ne me trompaient pas, « Kunuma » . Puis éclatai d’un rire nerveux. […] «  Kunuma. Ca veut dire tout autre chose. » Son regard perplexe. Je m’en souviendrai toujours. « C’est un verbe à l’infinitif qui signifie : se taire d’un silence absolu, devenir muet. » 
P.60-61

L'écriture

Ce « a » remplacé par « u » symbolise pour moi la profondeur avec laquelle Beata Umubyeyi mène son roman. Il y a plein d’extraits que je pourrai vous proposer. Mais dans ces quelques mots, ces quelques phrases, il y a les prémisses des incompréhensions entre Samora et Blanche, il y a le poids des noms ou prénoms dans une famille. Il y a la reconstruction du Rwanda. Il y a les variations de discours en fonction des interlocuteurs. La narration naviguant en effet entre "Tu" exclusif et incantatoire entre Blanche et sa mère qui s'est enfermée dans un mutisme à la mort de Bosco. La polyphonie se développe de manière passionnante et porte les voix et surtout les périodes différentes suivant le profil qui s'exprime. Par exemple, le propos autour de Stokely commence par une voix extérieure qui nous explique le contexte de sa naissance, son éducation, puis une prise de parole qui se démarquera des autres lorsque Stokely va s'exprimer.Mon point de vue est simple : ce livre est une merveille. 
Beata Umubyeyi Mairesse, Tous tes enfants dispersés
Editions Autrement, première parution en 2019, 243 pages.

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