L'escrime, c'est ma passion et je ne peux pas m'en passer ! J'en deviens malade si je ne pratique pas (rires). Pourquoi l'escrime ? Déjà car c'est une histoire de famille. Ma mère était escrimeuse, championne nationale mais aussi d'Afrique, et c'est grâce à elle que j'ai commencé. Malheureusement, elle n'a pas eu les mêmes moyens que moi pour réaliser son rêve qui était de participer à des championnats du monde. Néanmoins, elle s'était qualifiée aux JO 1996 d'Atlanta, et s'était arrêtée au premier tour mais c'était tout de même la première escrimeuse tunisienne à le faire.
J'ai commencé à rêver à travers elle car c'est vraiment une mordue d'escrime, plus que moi. D'ailleurs, aujourd'hui, elle entraîne l'équipe nationale du Qatar à Doha et elle parle d'escrime 24/24 ce qui est parfois un peu ennuyant. J'ai débuté l'escrime très très jeune car je la suivais aux entraînements donc je ne pourrais même pas donner l'âge auquel j'ai commencé. Elle faisait du fleuret comme moi et j'ai fait de l'escrime en Tunisie jusqu'à 18 ans. L'escrime m'a permis de vivre des moments incroyables comme par exemple voyager, de rencontrer des gens, de me contrôler car je suis un peu une folle sur la piste (rires).
J'ai la rage de vaincre et je criais après chaque touche ce qui m'a coûté plusieurs matchs lorsque j'étais plus jeune. Je m'énervais souvent contre l'arbitre et comme au tennis, je sortais de la partie. Au fur et à mesure des années et également grâce à l'expérience, j'ai mûri à ce niveau-là. Je dois également remercier ma psychologue Myriam Selmi et je n'ai pas honte d'en parler car cela m'a énormément aidé.
Ce que j'aime lorsque je suis sur la piste, c'est de jouer avec mon adversaire, de le piéger...tu fais croire que tu vas enclencher telle action et en fait elle tombe dans tes filets. Ce que j'apprécie aussi dans l'escrime, c'est le respect que l'on a envers l'arbitre mais aussi son adversaire. On doit saluer l'arbitre avant et après la rencontre et également serrer la main de l'adversaire après la partie.
C'est mon pays, mon enfance et je suis très fière d'être tunisienne. Venant d'un petit pays africain, j'ai réussi à le mettre sur la carte de l'escrime. Quand j'ai commencé et que je partais en coupe du Monde, les gens ne voyaient qu'une petite tunisienne. Avant les filles, elles étaient soulagées de tomber face à une tunisienne par rapport à une française ou une italienne. Désormais, elles ne veulent surtout pas tirer contre la petite tunisienne (rires). J'ai réussi à inverser la tendance. Mon entraîneur m'a toujours expliqué que pour moi, l'escrime, ce n'est pas 15 touches, c'est plutôt 20 ou 25. C'est pour cela que plus jeune, je m'énervais facilement contre l'arbitre car j'avais un sentiment d'injustice.
Aujourd'hui, j'habite en France mais dès que je peux, je prends un billet d'avion car ce n'est qu'à 2 heures de vol. La Tunisie, cela représente énormément de choses pour moi, déjà la famille, ensuite mes copines et surtout cela me fait du bien d'avoir du soleil, de voir la mer. Parfois, cela m'arrive d'avoir le " blues " quand il ne fait pas beau à Paris et mon entraîneur me dit de rentrer le plus vite possible (rires).
On s'est rencontré lors d'une compétition d'escrime mais avant que je m'installe en France. Deux ans avant mon arrivée en France, je faisais un stage et lors du weekend de repos, je suis allée voir une compétition à Melun. En 2005, Erwann était numéro 1 français et même numéro 1 mondial et il a cru que j'étais fan de lui alors que je ne savais même pas qui c'était (rires). Je m'intéressais à l'escrime féminine mais pas du tout aux hommes. Je connaissais seulement Brice Guyart car j'avais regardé sa finale de 2004 à Athènes chez moi en Tunisie avec toute ma famille.
Et du coup, il est venu nous parler avec ma copine et il nous a dit que l'on parlait très bien français pour des tunisiennes, ce qui n'était pas tellement vrai (rires). Ce que j'ai tout de suite beaucoup apprécié, c'est qu'il nous a respecté...et honnêtement, ce n'était absolument pas le cas des autres français qui étaient très hautains. Il avait l'esprit du sud, s'intéressait à notre culture...mais j'étais encore jeune (rires).
Niveau qualités, Erwann est très généreux et très patient surtout avec moi qui ait le sang chaud, je suis Arabe quand même (rires). Et niveau défauts, il en a quelques uns mais celui qui me vient en tête, c'est qu'il procrastine beaucoup.
Déjà, il y a la manière de se mettre en garde et cela se matérialise aussi par le fait que l'on n'ait pas de coups brusques ou violents. On n'a pas de contacts avec l'adversaire et dès qu'il y a du corps-à-corps, on est sanctionné. C'est un sport très fin, très délicat, il faut jouer avec le fer de l'adversaire. Même quand tu mets la tenue blanche, c'est beau, c'est propre. Je trouve qu'avec la danse classique, ce sont les deux disciplines sportives les plus élégantes.
Cela fait beaucoup de choses ! Déjà je suis fière et très contente car j'ai marqué l'histoire. Au début, je ne réalisais pas car je ne m'en rendais pas compte de l'effet de cette médaille sur moi, sur mon pays et sur ma discipline. Au fur et à mesure du temps et à la vue du regard des gens, j'ai bien compris que j'avais accompli quelque chose. Quand je suis montée sur le podium, je me suis dis, ça y est, je l'ai, mais ensuite je ne me rendais pas compte de l'impact qu'elle allait avoir sur moi, sur les autres et même sur ma famille. Je voyais la fierté dans leurs yeux car ils ont reçu de nombreux appels. Aujourd'hui, je suis un tout petit peu reconnue en Tunisie. Quand je suis rentrée après les JO en 2016, je me baladais à la plage et les gens me demandaient des selfies,...C'était étrange d'avoir une telle reconnaissance !
Aujourd'hui, je ne pense qu'à la médaille d'or à Tokyo sinon j'aurais arrêté. C'est mon unique motivation alors que j'ai des petites douleurs au genou et que j'ai eu des médailles mondiales, une médaille olympique et que je suis la sportive tunisienne la plus titrée. Mais je ne suis ni championne du monde, ni championne olympique, cela me manque et c'est pour cela que je me bâts tous les jours. J'ai un sentiment d'inachevé notamment lors de certaines demi-finales mondiales où je me suis un peu loupée.
Concernant Erwann, il a eu sa médaille olympique par équipes deux jours après la mienne. Il avait perdu au deuxième tour lors de son épreuve individuelle et je lui ai dit, imagine on repart tous les deux avec une médaille. Lui me regarde et me dit : " j'espère ". Alors il a eu la médaille mais ils menaient largement contre la Russie et du coup, il a un goût d'inachevé aussi. Sur le podium, il était effondré et dans la salle, j'ai crié : "Erwann, souris ! " et il l'a fait.
Cette photo, j'en étais assez fière car j'étais sur le site en ligne de Nike en 2017. Sinon, avant la préparation physique, on la négligeait vraiment et on ne faisait qu'escrime, escrime, escrime. Mais plus le sport s'est professionnalisé, plus on a commencé à réfléchir avec mon entraîneur sur le fait de prendre un préparateur physique par exemple. Aujourd'hui, c'est indispensable lorsque l'on voit les russes ou les américaines qui sont 100 % professionnelles. Avant, cela arrivait souvent en compétition que je sois un peu fatiguée en fin de journée et forcément j'avais des hauts et des bas dans mes matchs. Depuis, je ne regrette pas du tout car cela m'a permis de connaître mon corps, de développer ma force physique même si j'avoue sans gêne que ce n'est pas toujours une partie de plaisir...c'est de la bonne fatigue !
C'est mon petit neveu d'amour !
Je n'ai jamais parlé de cela mais après les Jeux de Rio, que cela soit avec ou sans médaille, je voulais faire une pause " bébé ". Mais en fait, à Rio, je ne sais pas si vous vous souvenez, il y avait le problème de Zika. D'ailleurs ma belle-soeur qui devait venir nous voir avec mon frère a annulé son voyage car elle était enceinte. Mais moi qui était sur place, on nous avait demandé de décaler le fait d'avoir un enfant pour qu'il n'y ait pas de risques. Entretemps, je me suis fait opérer du genou donc tout s'est décalé et il devenait très compliqué de faire l'enfant et de repartir sur la préparation pour la prochaine olympiade. Le projet " bébé " était déjà dans les tuyaux et je pense qu'après Tokyo, ça sera le moment. Je n'arrêterais pas l'escrime car Paris 2024 n'est absolument pas rayé de mon calendrier...et avec un enfant pourquoi pas.
De plus, une des choses qui me tient à coeur, c'est de montrer aux autres femmes arabes que c'est possible. Les européennes l'ont fait comme par exemple l'escrimeuse italienne Di Francesca contre qui j'ai perdu aux Jeux de Rio. Elle a fait un bébé après 2016 et là, elle est de retour au plus haut niveau avec un titre de vice championne du monde. Et puis montrer à la Tunisie ou dans le monde arabe en général que l'on peut faire un enfant et revenir au sommet ensuite. J'aimerais bien porter ce message !
J'adore être belle et coquette ! Je passe ma vie en jogging et en tenue d'escrime et même les gens se font de fausses idées sur mon physique. Beaucoup pensent que je suis très musclée et imposante ce qui me fait dire que la tenue me donne une ou deux couches en plus. La tenue d'escrime peut nous mettre en valeur autant que l'inverse . Concernant la mode, j'aime tout et surtout lorsque c'est sport/chic. Je ne cherche pas quelque chose qui sort du lot mais j'aime bien être sobre et élégante.
Les sports collectifs prennent une énorme place en Tunisie notamment le football mais c'est en train d'un peu changer. Je pensais qu'après ma médaille, cela serait suffisant pour inverser la donne mais malheureusement non, cela n'a pas changé grand chose. En plus, on est le sport le plus médaillé en Tunisie. Je passe à la télé, je me bâts mais c'est très dur de changer les moeurs. Désormais, je me dis qu'il n'y a que la médaille d'or olympique qui pourrait changer quelque chose !
Question Insta : Apprécies-tu ce réseau social ? Quel est ton but sur Insta et l'image que tu souhaites dégager ?Déjà ce que j'en pense, c'est que cela prend énormément de temps ! Après cela fait partie de notre boulot même si Erwann trouve que je passe trop de temps sur Instagram surtout que lui n'aime pas trop ce réseau. Moi j'aime bien regarder les choses qui m'intéressent comme la mode ou encore voir les stories de mes copines et de mon côté, partager mes entraînements et garder un lien avec mes followers. Je le fais avec plaisir et je ne me force pas car il faut poster absolument.
Je sais que l'escrime n'est pas un sport professionnel et donc on a besoin de soutien, ne serait-ce qu'avoir un équipementier. On sait que le nombre de followers, le physique, ce que tu montres, tout cela est important pour attirer les sponsors. Et l'image que je veux véhiculer, c'est celle d'une fille sportive et qui fait attention à elle !