Lire, c'est choisir d'investir un nouveau monde. C'est s'ouvrir sur de nouvelles avenues. C'est apprendre, comprendre, se questionner, s'émouvoir.
Lire pour moi, ce n'est pas toujours travailler. Bien que je sois traducteur, lire pour moi est tout simplement une autre manière de prendre de l'ampleur, ne serais-ce que mentalement, dans la couleur du jour.
Lire c'est une autre manière de respirer autrement.
Et respirer c'est vivre.
MY SALINGER YEAR de JOANNA SMITH RAKOFF
Pas aussi célébré que les romans du 19ème siècle, le livre de la réalisation personnelle, du coming-of-age comme disent les chinois, est un genre très populaire en soi. Chez l'héroïne, que ce soit la tragique Esther Greenwood chez Sylvia Plath, la presque trash Caroline Bender chez Rona Jaffe, la comique chez Raphaëlle Germain Ou la bohémienne chez Stéphanie Boulay, le genre se multiplie au même rythme que le mouvement #MeToo s'est développé en Amérique du Nord. Holly Golightly, chez Truman Capote, étant le sommet de la "coolitude" dans Breakfast at Tiffany's, un regard un peu voyeur d'une variation sur le même thème, où la transformation de Lulamae Barnes, jeune rebelle du fond du Texas, en étincelante Holly Golightly, ne pouvait se faire qu'à New York.
Il s'agit d'un genre en ton sepia, nostalgique, et typique de la ville de New York, où les gratte-ciels déploient plus de vitres miroirs que de béton. Alors en quoi ce livre de Joanna Rakoff est-il si différent?
Tout d'abord, il s'agit d'un récit, où "la vérité y est écrit aussi bien que possible", racontant l'histoire d'une femme à qui on demandait de suivre une ombre.
Le livre ouvre par un hommage volontaire à Rona Jaffe dans The Best of Everything. Une sorte de longue phrase décrivant les fourmis que sont les femmes les matins de semaine, en direction du boulot, prenant le train #6 jusqu'à la 51ème rue.
Comme les jeunes femmes sortant du metro, l'héroïne de Rakoff émerge toujours sur son 36. Et bien entendu, elle peine à se payer un sandwich ou à payer son loyer à temps. Comme tous ceux qui travaillent dans les agences littéraires, elle voulait aussi écrire. Et on lui interdit bien, en entrée de jeu, de le souhaiter. Elle est sous-payée (ça va de soi, elle a exactement mon âge), et à la merci d'un job absolument humiliant. Récemment sur les bancs d'école à apprendre la poésie, Rakoff ne savait même pas ce qu'était une agence littéraire. La présidente est brusque, et sa supérieure immédiate. Dans la vraie vie, c'était Phyllis Westberg, l'agente de J.D.Salinger depuis 1990. L'agence en question est si vieille école, qu'elle ne possède pas un seul ordinateur. Ils ont des machines à écrire et des-oH! progressisme!-des dictaphones. Il avaient aussi des stencyls et des copies carbones peu de temps avant son arrivée et les photocopies sont encore appelées "carbones".
Toute la connaissance, le savoir sur "Jerome" étant assumé plutôt qu'expliqué, Rakoff tombe souvent des nues. Ça offre bien des cocasseries. Rakoff n'avait jamais lu Salinger. Faulkner, Didion ou Bowles oui, mais pas Salinger. Un week-end où son amoureux marxiste se rend au mariage d'un ami, elle en profite pour passer au travers de toute l'oeuvre de Salinger afin de mieux comprendre les écrits de ses fans.
Il ne faut pas être un connaisseur de Salinger ni même un fan pour apprécier ce livre. Je dirais même que si vous ne savez rien de Salinger ce sera encore plus savoureux et vous deviendrez vous-même Joanna.
C'est un livre sur l'apprentissage de l'irrévérence à New York.
Un maudit bon livre que Philippe Falardeau adapte en ce moment en film mettant en vedette Margaret Qualley, Sigourney Weaver, Douglas Booth, Theodore Pellerin et Colm Feore.