(Anthologie permanente) Valerio Magrelli, traductions inédites de Jean-Charles Vegliante

Par Florence Trocmé


Valerio Magrelli
Après Pavese, Saba, Campana, la nouvelle collection de poche Einaudi (ET POESIA) publie l'ensemble des recueils poétiques de Valerio Magrelli, enrichis d'un extrait de Geologia d'un padre - présenté ici même en 2016 - et de quelques inédits. Nous en proposons un mince échantillon, centré sur la figure aimée-haïe de la mère, ou comme disait aussi Proust, maman. Le titre collectif, Le cavie, est explicité dans ce texte que nous ne pouvions que donner ici en guise d'introduction : "Les cobayes // Ou peut-être sont cobayes / ces poèmes que j'écris, / pour quelque expérimentation conçus, / que toutefois j'ignore. // J'ignore pourquoi ils se forment, / et pourtant je m'y attache et les appelle par leur nom, / souriceaux très vifs, en alarme / de quoi ?".
Poèmes récents
I.
Ceci est ma prière du matin

Ceci est ma prière du matin :
j'ouvre mon pc mais comme password
chaque fois je retrouve ta date
de naissance.
Jamais de tout le jour je ne pense à toi,
mais il n'est pas une aube où dolente
tu ne viennes à ma rencontre,
pendant que je fais un virement,
comme un Lazare sortant de sa tombe.
Tu te lèves du sépulcre de l'ordinateur
et me salues pour m'adresser des reproches
avec l'amertume, avec cette rancœur des morts
dont tu portais en toi la graine profonde
déjà quand tu vivais. Que veulent les morts ?
Que voulons-nous des morts, pour les appeler,
avec un immonde cynisme mnémotechnique ?
J'exploite ton souvenir pour régler mes comptes
alors que tu reviens à moi, ta dure figure,
pour faire les comptes avec ma torture.
II.
Maman 2 : la vengeance

Comme revins de la Madon' de l'Orto [...]
G. G. BELLI

Même si je voulais t'oublier,
ce brusque éclair d'une ombre sur la plage
projette ton profil dans le mien,
qui porte ton profil, crâne caché,
dedans moi.
Chacun porte en sa tête une tête de mort,
mais pas une quelconque :
moi je cache la tienne
qui, où que j'aille, s'avance.
Reproche et faute - matrice.
Encore maman
1.
Je deviens vieux comme si je devenais
japonais. Ces yeux en amande,
ce prolapsus, à qui appartiennent-ils ?
Et le teint jaune, l'envie
De soja et de seppuku ?
Qu'ai-je à y faire, moi ?
2.
Autocorrection.
En vieillissant je deviens ma mère.
Bizarres oscillations de la structure osseuse.
Le visage était un triangle ; à présent carré.
Raison de plus pour me détester.
Heureusement, en changeant, je ressemble à un ami,
et ça, au moins, me remplit d'allégresse.
Déménagements. Je parais tout le monde, sauf moi.
V. Magrelli, Le cavie [Les cobayes], Turin, Einaudi, 2019
Trad. Jean-Charles Vegliante
(choix pour prolonger celui que nous avions présenté ici