deuxième souffle

Publié le 23 novembre 2019 par Modotcom


je ne suis pas morte
en traversant la rue
malgré mes trente-deux ans
passés en ville
à jaywalker les plus grandes avenues
et boulevards de montréal
avec un relent de rébellion juvénile
qui ne se tarit pas
et qui n'a pas trouvé la voix
dans la créativité trop tôt abandonnée
mais plutôt dans ce geste futile
mais non moins dangereux
je ne suis pas morte non plus
mercredi soir
en me faisant fendre le crâne
par une tôle de cinquante livres
jetée à bout de bras
par un employé de couverture rené perron
du toit d'un duplex sur st-vallier
directement sur le trottoir non balisé
dans la noirceur de l'heure de pointe
sans crier gare
je ne l'ai pas engueulé
parce que son collègue en bas
lui a dit
attends
et m'a fait passer
et aussi parce que c'était cette compagnie
qui venait de refaire le toit du palace
deux semaines plus tôt
au coût de vingt-quatre mille piastres
et que je faisais de l'aveuglement volontaire
quant à leur possible incompétence
je ne suis pas plus morte
frappée par le wagon de tête du métro
malgré les nombreuses années
à me tenir sur le bord de la ligne jaune du quai
à l'heure de pointe avec de nombreux concitoyens
je ne suis pas encore morte électrocutée
malgré toutes les fois où j'ai rebranché
le néon de la cuisine
en faisant la vaisselle
ou que j'ai tâté dans le noir avec mes doigts
les trous de la prise de courant de la chambre
pour savoir si la branche du ground
était en haut ou en bas
je ne suis donc pas morte par accident
la vie m'ordonnant de vivre encore
et je ne suis pas encore malade
malgré mes hypochondries sporadiques
et ma tendance à l'auto-diagnostic virtuel
ainsi je mourrai probablement de vieillesse
comme le promet
l'âge vénérable de ha' ma' plus que centenaire
et la vivacité légendaire de ma propre ma'
en même temps
tant de choses me font peur de vieillir
je crains de sûrir et pourrir
plutôt que de m'affiner et d'embellir
je suis déjà irritée par les gens qui parlent
ceux qui ne cessent de crier entre eux
ou au téléphone
dans tous les transports en commun du monde
ceux qui parlent plus que la moyenne
quand on soupe au restaurant
ceux qui prennent toujours la parole
pour résumer les mots des autres
dans des meetings au travail
djieu que je me retiens à quatre mains
pour ne pas les bâillonner définitivement
je suis tannée de ceux qui écrivent incessamment
pour se plaindre de tout et de rien
et pour s'indigner
comme s'ils y avaient droit
par quelque procuration qui soit
je suis déjà intolérante
en plus d'être sauvage
j'ai envie de m'acheter une terre
et rénover une grande maison
puis me partir un jardin maraîcher
comme jean-martin fortier
et de vivre en gang de 'tits vieux actifs
à l'auberge espagnole
mais je n'aime ni les vers de terre
ni les gens
et encore moins les 'tits vieux
ça sera insupportable
j'ai commencé une petite série d'entraînements
avec une coach de mouvement spinal
et je l'ai vue lundi soir tard
après son cours de groupe
j'ai croisé en arrivant ceux qui descendaient les marches
des quinquagénaires tous gris
pas du tout comme geneviève ni kathleen
qui sont mes exemples de vitalité rayonnante
non
ils étaient tous gris des cheveux
de la coiffure plate
du linge ignoble
du teint mort
de la dégaine molle
comme des gens qui avaient abandonné l'idée
qu'ils pouvaient aussi se mettre beaux
être sexy et pimpés pour la vie
je mène une très bonne vie
et je suis magnifiquement accompagnée
par l'homme-chat
par le clan lo
par les amis
par les charlots
mais djieu sait comme le temps peut être long
si je perds mon souffle et mon inspiration
si je ne gère pas comme il faut mes énergies
si je ne trouve pas un moyen pérenne de les renouveler
si je cesse d'être curieuse par épuisement
si l'entrain s'éteint
si j'arrête de respirer
si je ne mets plus les efforts pour vivre.
mes inspirations féminines fictives
sont la générale leia organa
et la guerrière yu shu lien
y a pas à dire j'ai du pain sur la planche
mes inspirations féminines vivantes
sont nombreuses et bienheureuses.