J'ai laissé le temps au portraitistes de vous parler en long et en large de sa carrière de 70 ans,sous nos yeux.
J'absorbais son départ comme tout le monde, et voulais vous en parler différemment.
Parfois nous avions des classes en commun, parfois pas.
Je me rappelle du tout premier cours où elle était tout simplement terrorisée devant la vingtaine de faces qui la dévisageaient et qui voulaient l'entendre parler de sa profession. Elle était catastrophiquement nerveuse. Elle avait bafouillé quelques fois. Nous étions tous très impressionnés de sa présence. Nous bafouillions plus encore dans nos questions. Certains y allant de questions extrêmement malhabiles comme "qui dans la profession est une personnalité terrible,impossible à gérer sur un plateau?". Ce qu'elle avait eu la classe de ne pas répondre.
Après avoir chassé la nervosité, elle avait pris le taureau par les cornes et nous avait tous charmé de ses propos. Elle avait même lancé cette phrase, voulue inspirante pour les jeunes ploucs que nous étions qui allait l'être, vous verrez, allant comme suit: "il faut décrocher la lune!". Répondant probablement à la question plate: "Quel conseil donneriez vous à de jeunes ploucs comme nous?".
Cette première rencontre est restée importante pour moi. Elle nous disait que plus jeune, elle voulait tant tout faire, tout comprendre, tout jouer, que la seule profession qui lui permettait de le faire était de devenir comédienne.
Jouer. C'est ce qu'elle voulait faire toute sa vie.
C'est aussi ce qu'elle a fait. De ses 18 ans à ses 88.
Je me rappelle avoir vu en elle, non pas une femme de soixantequelques années, mais une petite fille. Que j'ai toujours continué de voir par la suite. Dans nos cours. Elle nous enseignait que la vie était un jeu. Dans lequel on pouvait choisir de jouer. Comme un enfant. Elle ne nous le disait pas comme ça, mais elle incarnait ça de toutes ses pores. Elle m'avait même inspiré un court-métrage entier appelé Décrocher La Lune. Racontant l'histoire d'une petite fille, cloîtrée et retirée de l'école trop jeune et trop longtemps par un père veuf qui en avait perdu la raison, jeune fille qui découvrait ses premières menstruations, et qui, se faisant, choisissait de prendre la clé des champs à l'insu de son papa.
Suivant la lune, espérant la décrocher. Ou s'y suspendre pour jouer.
On avait tant aimé l'idée qu'on m'avait aussi choisi pour le projet de troisième année, année optionnelle où seuls deux projets étaient acceptés et développés en projets cinématographiques, avec cette histoire.
La suite ne concerne pas Andrée Lachapelle, je reviens à elle.
Le peu de temps que je l'ai côtoyée, je n'ai jamais vu une aînée. J'étais en présence d'une petite fille. Pleine de candeur. Extraordinairement généreuse. Et jamais plus belle et allumée que lorsqu'elle parlait de Melançon, où que lorsqu'elle était en sa présence. Ses yeux changeaient de couleur. Elle vivait un amour d'adolescent. Passion qu'elle a gardé jusqu'à la mort de Melançon.
Ils étaient grandement inspirants tous les deux. Ils avaient écouté l'enfant en eux toute leur vie. Sans jamais ne l'avoir laissé prendre le dessus de manière non ajustée.
Atteinte d'un cancer, elle a choisi la mort dans la dignité. Ce qu'elle a toujours incarné, la dignité. Son léger accent français, hérité d'années passées en France très jeune, lui donnant un faux air de bourgeoisie. Elle qui n'avait que des amies.
Elle a fini sa carrière à la Bowie. Avec une dernière fiction rappelant la réalité. Avec une performance qu'on dit magistrale dans le film Il Pleuvait Des Oiseaux.
Merci d'être passée parmi nous.
André t'attendais.
Tes yeux redeviendront lumineux là-haut.
Pendant que les nôtres seront tout chose quelques temps.
Comme avec Bowie, la mort a dû elle-même versé une larme en te cueillant.
Il a d'ailleurs plu, dès le lendemain.