(Anthologie) Les Choses Les Gens, de Federigo Tozzi

Par Florence Trocmé

On peut lire cette note de lecture de Marc Blanchet sur Les choses les gens de Federigo Tozzi
[Les choses]
« Entre les étoiles et nous, il y a une amitié qui, lorsque nous nous en apercevons, paraît se rapprocher de Dieu. Alors, notre âme s'ouvre à toute l'immensité de l'univers, et les choses les plus lointaines sont également plus intimes que les plus proches. À l'évidence, les montagnes sont également là pour nous tenir compagnie ; et nous en éprouvons une violente émotion. Il semble aussi que, pour parcourir son chemin, le printemps traverse le milieu de notre âme et que ses ombres elles-mêmes sont douces. Si, au contraire, à certaines heures, nos yeux se fermaient et que nous ne voyions plus rien, nous serions assaillis par on ne sait quelle peur ; car notre âme a besoin de tout ; et il est des états d'âme qui ne sont constitués ni par des pensées ni par des rêves, mais par des choses mystérieuses, dont la sensation indéfinissable seule nous parvient. Nous avons en nous une existence faite de musiques silencieuses qui donnent à nos mots la sonorité de notre humanité individuelle ; de la même façon, chaque chose possède une voix qui découle de sa matière et de ses formes. » (Fragment 1)
«  Les fleurs n’étaient pas celles que je voyais ; mais celles du temps passé ; celles qui avaient toujours leur odeur dans mon âme ; celles dont je peux seulement rêver ; celles que je vois seulement quand je pleure. Mais le vent continuait à souffler et ne les trouvait plus. Les collines étaient toutes vertes, et il n’y avait aucun pétale qui en fût le signe. Et le vent et moi sommes restés seulement l’un contre l’autre. » (Fragment 24)
J’ai constaté qu’il est des pensées plus légères que les rêves, qui naissent et meurent comme la rosée. Et il y a, au contraire, des rêves qui peuvent se ficher en travers de la réalité comme des clous qui se brisent plutôt qu’ils ne se laissent arracher. Je ne sais laquelle des ces deux choses préférer ; parce que parfois la musique ne suffit plus à mon besoin de voir. Mais j’ai tendance à donner aux rêves tout ce que je soustrais à la vie quotidienne. » (Fragment 49)
« Au soleil, les papillons semblaient être les flammèches de choses qui brûlent. » (Fragment 93)
*
[Les gens]
Je voudrais savoir si, lorsque j’étais un jeune garçon, un vieil homme m’accompagnait lors de mes promenades ou si c’est moi qui l’imagine.
D’autant plus qu’il n’est pas le seul de ces personnages qui appartiennent peut-être seulement à la mémoire de l’imagination ; parce que, certes, il est une vie à laquelle seule notre âme participe ; comme si nous avions le temps de véritablement participer à tout ce qui existe dans notre âme. Ce vieillard peut, cependant, avoir véritablement existé ; parce que je me souviens même de son prénom. Mais il est si loin de moi que je parviens seulement à le revoir sur un bout de route ensoleillée, sans la reconnaître et sans même comprendre où elle commençait.
Une bonne part de notre vie disparaît ainsi ou s’égare dans une ambiguïté indéfinissable ; à l’instar de ces vieilles croûtes dont le sens s’est perdu. Et ainsi, cette cendre de nous-mêmes nous sert le long de notre chemin quotidien !
Sur ce vieil homme, je suis sûre que je ne parviendrai jamais à en savoir davantage. » (Fragment 26)
Federigo Tozzi, Les Choses Les Gens, traduit de l’italien par Philippe di Meo, Éditions La Baconnière, 2019, 205 p., 19 €
« Peu avant de disparaitre, Federigo Tozzi avait conçu une trilogie dont seul le premier volet, intitulé Les Bêtes, fut publié de son vivant. Les choses et Les gens suivaient. Mal connus, ces deux derniers pans ont été publiés à titre posthume en 1981. Récits, raccourcis ou fines décalcomanies, ces courts fragments d’une fraicheur de style et de langue inégalée se nouent subtilement autour d’un thème annoncé dès le titre, d’apposition en apposition. Inspirée par la lecture des prosateurs et nouvellistes médiévaux, dont Boccace et Sacchetti, la forme brève et précise est gage d’authenticité́ car elle interdit toute généralisation. Elle se borne à attester un fait, un événement ou un trait de caractère. Tozzi entendait inventer un nouveau genre littéraire. Sa trilogie témoigne à cet égard de son éclatante réussite.
« L'œuvre de Federigo Tozzi se situe à mi-chemin de la ville de Sienne et de la névrose »
Giorgio Manganelli » (Site de l'éditeur)
Deux petites notes biographiques :
Federigo Tozzi est né à Sienne en 1883 dans une famille de la petite bourgeoisie. Il vit une adolescence torturée. La mort précoce de sa mère, des rapports anguleux avec un père autoritaire n’y sont pas pour rien. Collaborateur de diverses revues et journaux, ses écrits furent publiés chez Treves, un des éditeurs les plus prestigieux de l’entre-deux-guerres. La rencontre du romancier et critique Giuseppe Antonio Borgese et l’aide désintéressée de Pirandello lui permettent de trouver sa place. Il publie son œuvre maitresse, Les yeux fermés en 1919. Il meurt prématurément à l’âge de 37 ans de la grippe espagnole. Longtemps méconnu du grand public, il est aujourd’hui tenu, avec Italo Svevo et Luigi Pirandello, pour l’un des écrivains les plus orignaux et novateurs du XXe siècle italien. (site de La Baconnière)
Federigo Tozzi (1883-1920) est un auteur italien sorti tardivement et progressivement de l’ombre. Natif de Sienne et autodidacte, il passa son adolescence à lire à la Biblioteca Comunale avant de devenir journaliste à Rome, de rencontrer Pirandello et de fonder la revue La Torre. D’abord auteur de poèmes (La zampogna verde puis La città della Vergine), il se tourne vers le roman (Tre Croci, Il Podere) après la Grande Guerre où il sert comme journaliste auprès de la Croix Rouge. Datant de cette charnière existentielle comme générique (1915-1917), Bestie est un recueil de textes fragmentaires où les animaux entrent en scène. (site de l’Université d’Angers)

Bibliographie en français
Federigo Tozzi , Les Bêtes (Bestie), traduit de l’italien par Philippe Di Méo, Collection Biophilia, José Corti, Paris, 2012, 111 pages.
Federigo Tozzi, Les Choses Les Gens, traduit de l’italien par Philippe Di Meo, Éditions La Baconnière, 2019, 205 p.
Pour des éléments bibliographiques plus complets, avec d’autres traductions en français, voir le site de la BNF