Lecture d’Althusser : Idéologie et Appareils Idéologiques d'Etat - Sur la reproduction des conditions de production
L’idéologie a une existence matérielle.
« Or nous constatons ceci.
Un individu croit en Dieu, ou au Devoir, ou à la Justice, etc. Cette croyance relève (pour tout le monde, c’est-à-dire pour tous ceux qui vivent dans une représentation idéologique de l’idéologie, qui réduit l’idéologie à des idées dotées par définition d’existence spirituelle) des idées dudit individu, donc de lui, comme sujet ayant une conscience, dans laquelle sont contenues les idées de sa croyance. Moyennant quoi, c’est-à-dire moyennant le dispositif « conceptuel » parfaitement idéologique ainsi mis en place, (un sujet doté d’une conscience où il forme librement ou reconnaît librement des idées auxquelles il croit), le comportement (matériel) dudit sujet en découle naturellement.
L’individu en question se conduit de telle ou telle manière, adopte tel ou tel comportement pratique, et, qui plus est, participe à certaines pratiques réglées, qui sont celles de l’appareil idéologique dont « dépendent » les idées qu’il a librement choisies en toute conscience, en tant que sujet. S’il croit à Dieu, il va à l’Eglise pour assister à la Messe, s’agenouille, prie, se confesse, fait pénitence (jadis elle était matérielle au sens courant du terme) et naturellement se repent, et continue, etc. s’il croit au Devoir, il aura les comportements correspondants, inscrits dans les pratiques rituelles, « conformes aux bonnes mœurs ». s’il croità la Justice, il se soumettra sans discuter aux règles du Droit, et pourra même protester quand elles sont violées, signer des pétitions, prendre part à une manifestation, etc.
Dans tout ce schéma nous constatons donc que la représentation idéologique de l’idéologie est elle-même contrainte de reconnaître que tout « sujet », doté d’une « conscience », et croyant aux « idées » que sa « conscience » lui inspire et accepte librement, doit « agir selon ses idées », doit donc inscrire dans les actes de sa pratique matérielle ses propres idées de sujet libre. S’il ne le fait pas, ce n’est pas bien.
En vérité s’il ne fiat pas ce qu’il devrait faire en fonction de ce qu’il croit, c’est qu’il fait autre chose, ce qui, toujours en fonction du même schéma idéaliste, laisse entendre qu’il a d’autres idées que celles qu’il proclame, et qu’il agit selon ces autres idées, en homme soit « inconséquent » (« nul n’est méchant volontairement ») ou cynique, ou pervers.
Dans tous les cas, l’idéologie de l’idéologie reconnaît donc, malgré sa déformation imaginaire, que les « idées » d’un sujet humain existent dans ses actes, et si ce n’est pas le cas, elle lui prête d’autres idées correspondant aux actes (même pervers) qu’il accomplit. Et nous remarquons que ces pratiques sont réglées par des rituels dans lesquels ces pratiques s’inscrivent, au sein de l’existence matérielle de l’appareil idéologique, fût-ce d’une toute petite partie de cet appareil : une petite messe dans une église, un enterrement, un petit match dans une société sportive, une journée de classe dans une école, une réunion ou un meeting d’un parti politique, etc. »
Ce qui amène à concevoir que l
e sujet est agi dans et par l’appareil idéologique.Cela interroge : toute contestation est alors posture adoptée dans un Appareil Idéologique par laquelle elle fait sens, tout en le reproduisant tel quel. Le contestataire réitère ce qu’il dénonce, par cela même qu’il le dénonce. Mais alors, il perd de ce fait l’enjeu de sa contestation, puisqu’il en reproduit l’ordre/l’ordonnancement. La ritualisation de sa posture contestataire l’amène à renoncer à ce qui fut l’objet de sa critique en lui redonnant la force et puissance qu’il pensait vider par sa contestation même. Autrement dit, le mouvement contestataire, dès lors qu’il s’inscrit (même en le refusant) dans cette manifestation ritualisée de l’Appareil Idéologique, s’essouffle dans sa critique elle–même. Il offre par là une fausse radicalité qui le rend incapable de poursuivre sa dénonciation. Quelle contestation alors possible ?
Cynisme : Mépris des conventions sociales, de l'opinion publique, des idées reçues, généralement fondé sur le refus de l'hypocrisie et/ou sur le désabusement, souvent avec une intention de provocation