- Une Parisienne à Bruxelles (1875), de Caroline Gravière
- L’invisible (1892), de Jeanne de Tallenay
- Modeste Autome (1911), de Marguerite Baulu
- L’intelligence du bien (1915), de Jeanne de Vietinghoff
- Âme blanche (1929), de Marguerite Van de Wiele
- Loremendi (1943), de France Adine
- Le Beaucaron (1949), de Nelly Kristink
- Dora (1951), de Marianne Pierson-Pierard
- À la poursuite de Sandra (1963), de Louis Dubrau
- L’odeur du père (1972), de Marie Denis
- Nu-tête (1991), d’Anne François
- Mantoue est trop loin (inédit), de Madeleine Bourdouxhe
Névrosée. On retourne les stigmates, comme le dit avec une fierté bien placée le dossier de presse de la maison d'édition baptisée ainsi et qui sort aujourd'hui ses douze premiers titres. Une belle manière de s'affirmer avec force dans un projet qui n'est pas resté au stade de rêve caressé et dont voici donc la concrétisation avec la collection Femmes de lettres oubliées. Femmes de lettres belges, je le précise pour nos amies et amis d'ailleurs, et leurs ouvrages publiés, à l'origine, entre 1875 et 1991, auxquels s'ajoute un inédit de Madeleine Bourdouxhe.
Voici d'ailleurs la liste des douze titres disponibles:
Nu-tête révèle
d’emblée un tempérament hors du commun, un écrivain qui ne craint pas de puiser
dans son histoire personnelle la matière première d’un roman où la réalité se
trouve évidemment transposée, et même transcendée par un récit qui s’y intègre
sans s’y superposer.
Pour dire, dans un premier temps au moins, les choses
simplement, ce roman raconte comment s’établissent, dans le cadre d’une maladie
grave – la maladie de Hodgkin –, des relations ambiguës entre un médecin (Vanardois)
et sa malade (Cécile). Le thème principal est donné d’emblée, comme dans une
pièce musicale, et les variations suivent, altérées par la chronologie,
celle-ci inévitablement liée à la progression de la maladie : le médecin,
visiblement séduit par sa patiente, décide de la placer complètement en son
pouvoir. Il a en effet sur elle, davantage même qu’un seigneur du Moyen Âge,
droit de vie et de mort. Et il dit, dès la première page, réconciliant ainsi sa
vocation et son désir : « Je
l’aime. Ou plutôt non, pas encore. Pas avant de l’avoir arrachée à la
mort. » On ne sortira pas de là : d’un côté, un homme sûr de
dominer, à défaut de la situation – la maladie peut avoir des sursauts
inattendus –, au moins celle qui la subit ; de l’autre, une malade qui dira,
elle (mais c’est à la fin du roman, et entre les deux la situation a été plus
clairement exposée) : « Il va
de soi que je ne suis pour Vanardois qu’un cas parmi tant d’autres, destiné à
illustrer des statistiques... »
Et si l’un des sujets du roman était là ? Entre le
médecin et la patiente, il y a deux manières à ce point différentes
d’appréhender la même réalité qu’elles ne peuvent pas se rencontrer vraiment.
Vanardois se préoccupe surtout d’être celui qui tiendra Cécile par la main, ou
celui qui lui fera connaître la plus grande souffrance, pour son bien
évidemment, afin d’être l’indispensable barre à laquelle s’accroche la danseuse
qui s’exerce – puisque Cécile, de plus, a avec son corps le rapport privilégié
de quelqu’un qui l’entraîne souvent : « Il
lui fallait quelqu’un qui l’aimât assez pour la mener au pied de ce mur qui
l’attirait comme un aimant. Le mur de la douleur, du souffle précaire, des
frontières de la mort. » Car il interprète l’attitude de Cécile comme
un désir de dépassement des limites davantage que comme une acceptation des
inévitables inconvénients de la maladie. Cécile, en revanche, dont la voix
alterne dans le roman avec celle du médecin, vit les choses au plus près de son
corps et ne peut qu’enregistrer comment celui-ci réagit, bien ou mal – plus
souvent mal que bien, hélas ! – aux traitements qu’on lui fait subir.
Une troisième voix trouve place dans le livre. Elle est la
froideur même, le suivi strictement médical de l’état de santé de Cécile. Elle
est en contrepoint avec tout le reste, puisqu’elle est totalement dépourvue de
sentiments et retrace, avec les mots qui sont en usage dans le milieu médical –
langage codé, bien sûr ! –, l’évolution de la maladie et des
interventions.
Tout cela, monté avec beaucoup de talent (qui doit peut-être
quelque chose au métier d’Anne François, réalisatrice à la télévision), nous raconte
l’histoire d’une inévitable possession, à laquelle Cécile ne peut échapper. À
une époque où les médecins, quelle que soit leur spécialité, interviennent
d’abondance dans la littérature, il n’est pas mauvais que le point de vue se
retourne et permette à d’autres personnes de donner de la voix.
Quoi qu’il en soit, Anne François n’est pas un écrivain de
tout repos. Certaines de ses pages sont même très dures. Elles n’en sont pas
moins nécessaires puisqu’elles nous parlent d’un corps, d’une personne, et d’une
situation dont il est difficile de parler et dont il est, dans Nu-tête, clairement question, sans fausse pudeur et sans
concessions.
— Le roman pour lequel vous venez de recevoir le prix
Rossel est votre premier livre. S’est-il passé longtemps entre le moment où
vous avez commencé à y penser et celui où il est paru ?
— Ça a pris dix
ans, puisque j’étais malade en 1981. Au moment où j’étais hospitalisée, j’avais
déjà très fort envie d’écrire. Comme je n’avais pas grand-chose à faire, je
prenais des notes, mais sans savoir ce que j’allais en faire et surtout pas
dans l’idée que j’allais écrire un livre sur la maladie. Et puis, un beau jour,
je suis tombée par hasard sur la correspondance médicale – mon père est médecin
et il avait reçu toutes les lettres. J’ai été frappée par le fait qu’elles
disaient sans cesse : « Tout se passe très bien ». Le décalage
entre ce que j’avais vécu et les lettres a provoqué un déclic...
— Quand vous étiez malade, aviez-vous l’impression
qu’une relation comme celle que vous décrivez dans Nu-tête était possible, ou bien est-ce une mise en scène romanesque
qui est venue par après ?
— C’est une mise
en scène, complètement. Je n’avais aucun recul au moment où j’ai traversé cette
maladie. C’est pour cela que le personnage du médecin m’a été très utile dans
la rédaction : il me permettait d’injecter dans le présent un point de vue
que la malade n’a pas. Je ne trouvais pas intéressant du tout d’être malade,
c’était très ennuyeux.
— Le temps qui s’est passé était donc nécessaire aussi
pour permettre ce recul ?
— Il était
nécessaire à trois niveaux. D’abord pour accepter ma maladie, ensuite pour
faire un travail psychologique qui est un peu le travail relaté là-dedans, et
enfin pour apprendre à écrire. Au début, on commence à faire des nouvelles et
puis on cale, on sent qu’on n’a pas la maturité pour aller plus loin. Je
sentais que je devais apprendre.
— Apprendre quoi, précisément ? L’écriture
elle-même, la structure du récit ?
— Ce qui est
difficile, c’est de trouver une constance. Quand on écrit, il y a des moments
qui sont bons, des parties de phrases qui sont bonnes, des parties de
situation, mais c’est inégal. Avoir de petites intuitions, je crois que c’est
donné à tout le monde, peut-être pas dans l’écriture mais dans l’un ou l’autre
domaine. Mais maîtriser ça sur une certaine longueur, encore que mon livre soit
assez court...
— Vous disiez que vous aviez écrit d’abord des
nouvelles. Votre ambition était-elle de « faire long », d’arriver au
bout d’un vrai livre ?
— Quelque part,
j’ai l’impression de n’avoir pas écrit un vrai livre, parce qu’il a 150 pages.
Pour moi, au-dessous de 300 pages... Mais je n’aime pas non plus cette mode de
vendre la littérature au kilo. Les gens sont obligés de diluer ce qu’ils ont à
dire parce que l’éditeur est rassuré par un gros tas de papier. Je trouve ça
absurde !
— Quand avez-vous eu le sentiment que vous aviez fini
d’écrire votre livre ?
— Quand j’ai eu
la fin. Je trouvais qu’un « happy end » n’avait pas de sens puisque,
pour moi, l’histoire était celle de la maladie et pas un prélude à une histoire
d’amour. D’autre part, je ne voulais pas non plus qu’elle meure. Dans un cas
comme dans l’autre, ce n’était pas intéressant. Alors, une fois que j’avais la
fin, je ne pouvais pas aller plus loin.
— En écrivant un récit pour l’essentiel à deux voix,
n’était-il pas bien plus difficile de vous placer du point de vue du
médecin ?
— Oui, c’était
plus difficile.
— Et comment y parveniez-vous malgré tout ?
— Je me référais
à des modèles, à une série d’hommes qui m’ont fascinée par leur comportement un
peu particulier. Le personnage du médecin était déjà apparu dans une nouvelle
où il n’était d’ailleurs pas médecin, mais c’était ce type d’homme qui cherche
à avoir une emprise très forte sur quelqu’un d’autre, dans une relation de
séduction elle aussi très forte. En outre, ici, j’étais poussée par la
mécanique du récit. Je savais où ça allait.
— Nu-tête a
été très bien reçu dès sa parution. Vous y attendiez-vous ?
— Non.
— Quelle impression cela donne-t-il, de publier un
premier roman et de se trouver immédiatement sous les feux de
l’actualité ?
— C’est difficile
à dire. C’est gratifiant, évidemment. Écrire un roman est un effort énorme, et
je vois autour de moi que les gens qui écrivent sont obligés de faire un
parcours du combattant extrêmement pénible. Ils s’épuisent, ils se découragent,
ils dépriment. Donc je suis contente d’avoir échappé à ça. Une série de choses
y ont contribué. C’est vrai que je travaille à la télévision. Et, il n’y a rien
à faire, je croise dans les couloirs des gens qui connaissent des gens qui font
des émissions. L’attachée de presse a immédiatement aimé le roman, le
représentant, des librairies où j’ai travaillé...
— Vous avez dû rencontrer des lecteurs qui vous ont
parlé de Nu-tête. Comment
recevez-vous leurs lectures ?
— Ça dépend. Il y
a des lectures que je trouve décevantes et d’autres que je trouve
extraordinaires.
— Qu’est-ce qui vous a déçue, par exemple ?
— Quand on me
dit : C’est trop court, vous auriez quand même pu faire quelques pages en
plus, ça m’énerve parce que, pour moi, c’est complet. Et quand on me dit :
Oui, mais elle l’épouse, son médecin, à la fin ? Je comprends qu’on puisse
se le demander, mais, pour moi, ce n’est pas le propos du livre. Je n’aime pas trop
non plus ce que j’appelle la lecture de détective : Tiens, Untel, ce n’est
pas ton petit copain de telle année ? Et les gens qui essaient de savoir
qui est le médecin et si, vraiment, j’ai eu une relation de ce genre avec le
médecin, c’est délirant ! Par contre, j’aime bien lire les critiques qui
ont apprécié, parce que leur lecture va assez loin. Il est toujours plus
agréable de lire les critiques positives, bien entendu...
— Le succès de votre premier livre vous pousse-t-il à
en écrire un deuxième ?
— J’aimerais
bien. Mais le succès d’un premier livre a un côté écrasant. On se dit que, si
on en fait un deuxième, ce n’est pas pour qu’il soit moins bon ou moins bien
accueilli.
— En outre, vous avez débuté avec un sujet qui vous
touchait de près. Pour un deuxième livre, il faut une autre idée.
L’avez-vous ?
— Je pars souvent
d’un point de vue sur une situation. J’ai un point de vue que je suis en train
de développer, mais je n’arrive pas à cerner suffisamment la situation. Toute
la difficulté est de rentrer dans la peau des gens. Il faudra que je trouve
quelque chose de plus proche de moi que ce que j’ai essayé de faire. Ça m’épate
quand je lis Dostoïevski, Flaubert, ou d’autres comme eux, qui peuvent parler
de tout et de tout le monde comme s’ils étaient à l’intérieur et qu’ils
savaient tout.
— Est-ce un don ou une question de travail ?
Pensez-vous que vous y arriverez ?
— Ça ne me semble
pas hors d’atteinte, mais il me semble qu’il faut des années et des années pour
y arriver. Ce qui me pose le plus de problèmes, c’est de trouver le temps, la
disponibilité. C’est difficile quand on a, comme moi, un contrat pour quatre
mois, et puis pour cinq, six mois...
— Vous disiez que vous aviez d’abord écrit des
nouvelles. N’avez-vous pas cherché à les publier ?
— Non, je n’ai
jamais voulu.
— C’était vraiment un exercice ?
— Oui, mais il y
en a que j’aime bien et que j’aimerais adapter pour la radio. L’une d’elles,
notamment, est fort axée sur la musique contemporaine. Ça m’intéresserait de
faire un travail à la fois littéraire et musical.
— Vous avez aussi écrit une pièce de théâtre...
— Oui,
mais c’était une catastrophe. J’avais accepté de retravailler les dialogues
avec les comédiens. Et, quand je suis arrivée à la répétition, ils faisaient
des impros tout le temps. Ils ne jouaient plus rien de mon texte et je ne
voyais pas dans quelle mesure je pouvais intervenir. Ce qu’ils voulaient, en
fait, c’était prendre la situation, faire des impros, et que, moi, je réécrive
leurs impros. Mais ce n’était plus mon histoire et, en même temps, ils
l’avaient prise. Donc je n’avais pas le plaisir d’entendre ce que j’avais
écrit, et je ne pouvais plus utiliser cette situation. Mais, par ailleurs, le
fait de travailler avec des comédiens m’a beaucoup appris. Ils repassent une
scène trente fois, ils enlèvent une virgule, ils enlèvent un point... Je
trouvais ça mortel, mais je me rends compte que ça m’a aidée pour l’écriture.
Anne François a, comme elle le souhaitait, écrit et publié un deuxième livre, Ce que l'image ne dit pas (1995). Puis je me souviens du chagrin qui m'a habité quand elle est morte, en 2006. Elle avait 47 ans.