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Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisode 4-5-6

Par Blackout @blackoutedition
Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisode 4-5-6

Pour les livres de Richard Palachak, c'est par ici : KALACHE, VODKA MAFIA, TOKAREV

Fragments de nuit, inutiles et mal écrits (saison 3), le 43 : épisode 4-5-6

Photo de Simon Woolf

Le 43, épisode 4 : Malti

Sacré nom du foutre de dieu dans le cul d'un chien de voirie letton, j'vais être obligé d'utiliser un qualificatif de bourgeois friand de profondeur et de mièvrerie poétique afin de désigner ce torche-cul de Malti : « méchant ». Malti est méchant, tout bonnement. Du haut de son mètre cinquante-cinq, il arbore incessamment son regard de butteur, genre le gars qu'est sur le point de suriner son homme à chaque instant. Le décrire est un jeu d'enfants bourrés, c'est un mecton statique, en permanence au comptoir, sur ses deux quilles, un demi à la main. Ce tamoul ceylanais, à la peau brune et aux cheveux noirs, porte en permanence un impair beige, un sac à dos sport pour moutards, et une paire d'oreillettes bluetooth dans les loches. Il est fourré au 43 de la fin d'aprèm à la fermeture, et s'aboulerait de la même façon si le troquet se trouvait à Lakoutsk, au fin fond de la Sibérie. Malti béquille dans son trou noir, coupé de la fourmillante, en mode hors-ligne, avalant sa chique en te crachant de fermer ton claque-merde ou le teigneux te saute dedans. Encore puceau du 43, je ne sais plus pour quelle raison merdique de pochard envapé, je décide de payer ma tournée de demis. Fred s'exécute avec enthousiasme et serre la dizaine de caves accoudés au zinc. On s'attend forcément à ce qu'on nous baise au derrière dans ces cas-là. Sauf que Malti, planté juste à ma droite, me balance en fixant sa kro : - J'en veux pas de ta merde. - Hein ? Que j'uis sors, halluciné. Ce manche à couille s'enquille des litres de bibine en pagaille et refuse ma tournée ? Il tourne sa bille vers moi et ponctue : - T'as pas pigé ? J'en veux pas de ta merde. - Eh, j'te paye juste un demi, j'te demande rien en échange. Y a pas de quoi t'exciter. Ha ! que je fais tout en me gondolant, vu sa carrure de Hobbit aztèque. Cette fois, le bas du cul tourne sa carcasse contre moi, me fixe dans le blanc des châsses avec son regard de flingueur et me ressort d'un air menaçant : - J'en veux pas de ta merde ! Forcément, cette fois, j'vois rouge et tout le monde s'attend à ce qu'un taquet fuse et torche du lancer de nain dans le bastringue. Alors Fred accourt, histoire de calmer les esprits. Surtout le mien pour être exact. Il me prend à part et me glisse en loucedé : - Calme-toi, Kalache, Malti se comporte comme ça avec tout le monde. C'est pas contre toi, c'est jamais contre nib en réalité. Vois-le comme un bourru chagrin, qui ne saque personne et ça sert à rien de discuter avec lui, encore moins de le dérouiller. J'pense même qu'il attend que ça. Depuis ce jour, je vois Malti alterner les phases d'autisme et les phases de provocations qui ne doutent de rien. Et ce qui me met sur le cul, c'est qu'aucun client ne lui bourre jamais la gueule. Il s'en faut de peu, certes, parfois... mais ça va jamais jusqu'à la dérouille. En fait, on retrouve toujours plus ou moins les mêmes arsouilles au 43, du coup, je me dis que la maison doit bien connaître l'animal et savoir le dompter. Juste une fois, un fralin me rapporte qu'Émilie, une alcoolo nympho bien connue du bistrot, l'a mis K.O. en lui décochant un coup de tronche. Inutile de transcrire en quoi cette anecdote est doublement désopilante. Un soir, j'ignore pour quelle merde et remerde de nom de dieu de bordel à cons de raison, Malti se met à me tailler une bavette (j'ai dit une bavette, bande d'enfoirés ! Putain, tout de suite...). Sa bouille est détendue et ses lampions se font tendres, à la surprenante. Il m'accouche qu'il est ingénieur dans une société d'info-com-électro je sais plus quoi... Mais un truc qu'envoie du lourd, surtout pour un boit sans soif qui coince sa bulle au 43. Il me fait un dessin de son turbin mais j'y entrave que dalle, à moitié rétamé. Pi Malti se met à glapir, aboyer, rouspéter la même chanson : - Recharge mon putain de godet, Fred ! Il finit par obtenir sa moussante et conclue : - Si t'insistes pas ici, t'as rien ! Faut être un pied pour pas piger qu'ici, c'est la France... et qu'insister consiste à l'avoir à la merde, être une enflure infecte, un gros connard à la gueule morte et aux yeux retirés... tout simplement. La clé pour comprendre un Malti se situe peut-être à cet endroit.

Le 43, épisode 5 : Clara

Impossible d'user sa salive sur le 43 sans en ouvrir une à propos de Clara. Le problème en ouvrant les vannes sur elle, c'est qu'on ne peut s'empêcher de passer pour une enflure. Pour commencer, Clara est un violent remède à l'amour : un tonneau crado pas plus haut qu'une botte, avec une tronche à caler les roues d'un corbillard et les cheveux pétés de graisse. Et j'bouscule même pas la voiturette en vous chiant cet affreux portrait. J'vous ai prévenu, j'peux pas m'empêcher de passer pour une enflure... Elle a pas l'air d'avoir mauvais fond, mais à vrai dire, personne ne sait véritablement ce qu'elle a dans le cigare. On a beau tenter de sonder ses méninges, on n'y trouve que du vent. Ses quinquets mirent toujours en direction du néant, pi sa voix monocorde est molle comme du veau. Les passions de Clara sont les kebabs, les jeux de grattage et le peinturlurage. Et comme elle se branle les couilles à longueur de journées, la guenuche est forcée de taxer sans ne jamais débander. Forcément, ça marche qu'avec les vioques, à qui elle arrive à faire du charme. Les autres clients ne grillent même plus qu'il s'agit d'une femelle. Y s'agit de la bonne vieille Clara, tout simplement. Les piliers de la boîte ne lui filent jamais un kopeck, alors elle se contente de bouffer leurs assiettes de chips servies à l'apéro. Par contre, les fossiles imbibés sont tout contents de voir qu'une jeune houri s'intéresse à eux. Ils la rincent volontiers, la tchatchent et lui prêtent du pognon. Un après-midi de poivrade à l'estaminet, je rebecte une chiée de vilaines croûtes accrochées au mur longitudinal du 43. Toutes du même acabit : trois-quatre étrons bruns pastel disposés aléatoirement sur un fond blanc. J'me dis que Linda, la directo du bistrot, s'est pris un coup de matraque sur la citrouille. - C'est quoi ces horreurs que t'as accrochées au murs ? que je lui fais. - Des tableaux de Clara. - Tu lui consacres une expo ? - Comme tu vois, Kalache... - Me dis pas que t'as craqué pour cette atroce partouze de colombins ? - C'est à l'image de Clara, c'est laid mais ça ne fait de mal à personne. Et le côté pastel des boudins confère de la douceur à l'ensemble, à l'image de l'artiste. - De la croûtonneuse tu veux dire ? - (…) Malgré ce qu on peut dire par-ci par-là, Linda est une personne qui a du cœur. Enfin, jusqu'à un certain point. Clara schlingue à crever la peau d'un rat, et ça empire de jour en jour. Elle mouille de plus en plus son gazon et ne prend pas la peine de se garnir. Du coup, les relents pestilentiels qu'elle renvoie font fuir les clients, si bien que Linda se voit contrainte de la tricarder. Mais la pisseuse n'est pas une mono-maniaque du 43, contrairement à Malti. Elle a plus d'un zinc dans son sac à tacos. Un soir, qu'on fête l'anniversaire de Dédé en enchaînant les shots avec mes amis Karl, Enora, Le Kitsch et quelques autres, on se retrouve à la rue à minuit, parce que Fred se met dans le toupet de remballer les gaules une heure avant la fermeture réglementaire. Il en a plein le derche, il a déjà fait le triple du chiffre habituel de Jacques et y veut rentrer chez lui retrouver sa cop's. Alors on s'rabat sur le « Poème », un café bobo pour faux-nantis qui se la racontent avec leur touche de poseurs. À cette heure tardive en début de semaine, le rade est vide. Et quand les serveurs voient débagouler nos sales gueules bien connues d'abonnés au 43, ils en rotent des oursins. L'accueil est aussi froid qu'un esturgeon vendu sur un étal du marché de Lakoutsk. Ah pi rien à carrer, je réclame une tournée de shooters et remarque soudainement la présence de Clara au sein de notre mauvaise troupe. Alors, je recommande un shot pour elle et ni une ni deux, la barmaid brésilienne décarre en pétaradant pour je ne sais quelle foutue raison (à l'époque). La meuf embarque avec elle une valoche à roulettes et se dirige d'un pas contrarié vers la sortie, quand elle se voit stoppée net par ce con de Kitsch, qui chevauche l'arrière-train de la valtouse et se met à l'endauffer tel un clébard en pleine levrette. Pour la sud-américaine, c'est la goutte de rhum qui fait déborder le punch. Elle crache aux yeux du Kitsch toute sa haingrerie contre le 43 et ses pouillards empaffés que nous sommes. Ça dure bien dix broquilles, durant lesquelles Le Kitsch essaie de lui expliquer calmement qu'il s'agit d'une farce innocente. Enfin la nana me fait face et continue de débiter son chapelet sans que j' y pige wallou, jusqu'à ce qu'elle n'en puisse plus et qu'elle finisse par se barrer. Le serveur de garde m'explique le coup de la pourav de mort qui s'échappe du bénard de Clara, me faisant comprendre indirectement qu'on est tous tricards dorénavant. Pour finir, on chie un pacson d'injures et on décanille. Une fois dehors, je demande à mon ami Dédé pourquoi ces cons de hipsters s'en sont pris à moi en particulier. Ce torche-cul me répond : « parce que j'ai dit que t'étais en couple avec Clara. » L'enfoiré !

Le 43, épisode 6 : Karl et Layla

Je dois te présenter la « piache », me sort Dédé un soir qu'on fait le tour de Besançon dans son pot de yaourt azuré. « Piache » en franc-comtois, ça désigne un sac à vin doté d'un boyau pour soiffer. Depuis l'asphalte de la rue de Lons-le-Saunier, j'vois qu'une lanterne ouverte au premier étage de l'immeuble, avec un matou noir qui braille à s'en faire péter la jugulaire. Entre le pinard et les croquettes, le budget du propriétaire a tranché. Vient le jour où j'mets les pieds dans son antre éclusier. Karl est maigre au point qu'il pourrait passer derrière une affiche sans la décoller. Sinon le mec est bonne pâte, en père pénard, tout sourire et parasité par tous les soûlards du quartier qui se prétendent encyclopédistes. En bref, y a toujours du poivrot faussement spirituel à la maison, de jour comme de nuit, par amitié, pour refaire le monde, envoyer du son, toucher deux mots sur l'art et la géopolitique. En réalité, toutes les attentions sont focalisées sur la schnick, et comme par hasard, depuis qu'il a levé le pied sur la picole, y a plus de renard échinoccosé qui traîne son coulis chez Karl. On en vient à oublier la première chose qui saute aux yeux quand on met les pinceaux dans son salon : son immense piano à queue noir. Karl est un pianiste à deux doigts pro, qui a fait le conservatoire des croque-notes chevronnés, qui a bénéficié de l'initiation d'un mentor soviétique, et qui a même composé des musiques de film à Toronto. Sauf que la brochette de manches à couilles qui l'entoure s'en torche le cul. Pour eux, Karl est juste une « piache ». La seule qui l'aime réellement pour ce qu'il est c'est Layla, sa compagne. Heureusement, les amants ne vivent pas sous le même toit, sinon l'un des deux serait déjà bouclé pour avoir charclé l'autre. Et j'peux témoigner que l'adage qui chie que les opposés s'attirent est une sacrée connerie. Le jupon de Karl est une éruption volcanique, une pépée qu'a du caractère, une nénette aussi speed que la pensée de Kasparov en tournoi contre la supercalculatrice du Deep Blue. Karl est toujours fourré au 43, un verre de pinard ou de ricard à la main. Risette et regard malicieux, le bastringueur tangue à force d'être chaviré par l'ondoiement du tord-boyau. Inutile de préciser que Layla, chaste en picton, ne peut pas blairer le 43, les pochtrons qui le fréquentent et les mufflées sensationnelles de son jules. Et pi y a toutes les nymphos destroy qu'y s'est prétendument tapées durant sa relation, qui font chier des ronds de pendule à Layla. Ça part en vrille quand les amis d'enfance de Karl accostent à Besançon, Franck et Jad en particulier. Un triangle amoureux qui date de l'école primaire à Maîche, et un foutu sac d'embrouilles pour Layla. Le pire dans tout ça, du fait des sentiments non réciproques de Jad, c'est que les deux pélos ne crachent pas sur un paillasson de seconde main. J'ai pu le constater avec Franck, un soir au 43, qui n'a pas tortillé du cul quand il s'agissait de se retirer pour aller bourrer l'insatiable Émilie dans les replis sombres et cachés des vignes du seigneur. En ce qui concerne Karl, pour être franc, j'ai jamais rien vu de chelou, rien qui pourrait révéler son infidélité présumée, rien mis à part des bruits de couloirs empuantis. Du côté de Jad, y a beaucoup d'ambiguïté. La belle semble plus attirée par les filles, mais elle s'en paye à flirter avec des mectons. Et ce doute échauffe les oreilles de Layla, qui connaît le béguin de Karl pour Jad, en sachant que la minette se pieute chez son céladon durant ses bourlingages intoxiqués. Mise au trou dans ces moments-là, elle s'imagine toujours le pire. V'là-t-y pas qu'un soir au logis, ça cherche des crosses jusqu'à la castagne. Jad et Layla se dérouillent tant et si bien qu'on arrive pas à discerner qui l'emporte. En tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'une bonne partie du mobilier vole en éclats. Comme je ne suis pas présent ce soir-là, je ne peux pas trop m'avancer sur les détails de la bastonnade, par contre, je peux témoigner de l'anéantissement du salon quand je pointe ma bille le lendemain chez Karl. À peine le temps de me déballer la scène de l'ouragan carnassier de la veille que mon ami musico reçoit un coup de fil du 43. C'est Jacques qui crie au casse-cou dans son établissement. Jad et Layla en remettent une couche et les chaises de la terrasse volent dans tous les sens. Alors on trace illico et rapplique au moment où Jacques saisit Layla par l'épaule. La miss réagit en lui mordant la main jusqu'à ce que le mastard la soulève pour qu'elle décroche son bout de bergougnon. Jad en profite pour foutre le camp, Layla finit tricard, Jacques se plaint comme un œuf de cent ans. À l'heure où j'écris ces lignes, les deux amants maudits m'affirment qu'ils se sont enfin quittés... ce jour-même... ils se sont quittés... encore... à force de se séparer.

Richard Palachak

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