Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 328

Publié le 16 novembre 2019 par Antropologia

Amours anciennes

Rendez-vous face à la mer. Avant de m’asseoir, je jette machinalement un bref regard en arrière sur la terrasse. Quoi ? Il est là, lui ? Oh non ! Pas lui, pas aujourd’hui ! Est-ce bien lui ? Je ne l’ai pas revu depuis vingt ans au moins. Mais parfois, au détour d’un journal parisien j’ai de ses nouvelles en littérature et surtout des photos de lui qui me l’actualisent. Oui, c’est bien lui. Grand, altier. Le port de tête conquérant, le regard prédateur de l’homme qui se sait beau, car il est encore très beau, peut-être plus encore avec ses magnifiques cheveux gris et son visage parfait. Irrésistible. Dangereux. L’archétype de l’homme à femmes. Toujours et encore.
S’il m’a reconnue, il va penser à elle. Et donc à elle aussi. Je suis liée avec toutes les deux. Et c’est avec la seconde que j’ai rendez-vous ici. Est-ce qu’il sait pour la première ? Aurait-il du chagrin ? Pourvu que celle que j’attends ne le voie pas. Pas d’ombre sur son cœur de colombe. Surtout pas maintenant.
La voilà. Toute occupée à me saluer. Tout sourire. Apparemment elle n’a rien vu, pourvu qu’elle ne se retourne pas. Que rien ne la rembrunisse. Qu’il n’y ait que la mer, que le café, que la douceur de cet automne, que la beauté du monde, que l’amitié, que le plaisir de se revoir et de se parler.
Je l’oublie là-derrière. Je ne sais même pas à quel moment il s’est esquivé car il s’est esquivé. Un séducteur de ce style travaille ses sorties, là il l’a joué moderato. Il l’a donc vue. Il a compris. Toujours si charmante. Changée à peine. Visiblement dans la plénitude. Désormais toute occupée à d’autres choses que lui,  tellement plus importantes pour elle.
Sic transit gloria mundi…

Thérèse Marsan