vanité

Publié le 16 novembre 2019 par Modotcom


ma crinière n'est pas que parure
elle fait partie intégrante de mon identité
elle est outil de séduction 
comme pour aphrodite et ariane
et symbole de force
comme pour samson
j'ai teint mes cheveux au henné
au début de la trentaine
dans la cuisine sur saint-joseph
en mélangeant à l'eau cette poudre
à l'odeur d'humus de thé et de cannelle
pour l'appliquer comme un masque
sur mes cheveux longs et jamais peignés
j'avais alors de jolis reflets roux
dans ma toison de brunette
puis dès que j'ai eu des petits cheveux blancs
je me suis mis à choisir des boîtes
dans les rayons du jean coutu
en magasinant les couleurs
sur des petites boucles de cheveux synthétiques
passant du brun roux au noir de jais
j'appliquais ces magiques pâtes blanches
qui devenaient foncées une fois mélangées
du bout de mes doigts gantés
en calculant mes temps de coloration
à l'aide de la minuterie de la cuisinière
j'étais minutieuse comme la chimiste
mais bien en herbe car inévitablement chaque fois
je salissais un morceau de papier peint
de carrelage
de serviette ou de chandail
dans la quarantaine
forte de meilleurs moyens financiers
je me suis présentée pour la première fois
dans un salon de coiffure
et je n'en suis plus jamais ressortie
j'ai tout aimé de l'équipe de catherine
au salon influence du métro beaubien
du piaillement de filles qui ne vivent que de parure et de mode
aux massages revigorants
aux petits soins des verres d'eau de jus et de café
des conversations qu'elles savent avoir avec chacun
des shampoings doux et moins doux
et de la fantastique expertise en matière capillaire
j'aimais y passer une à deux heures par mois
et j'en sortais toujours heureuse
avec les plus beaux cheveux du monde
brillants comme la toison d'une jeune femme
et avec l'estime gonflée à bloc
au trois semaines
me scrutant dans le miroir
j'apercevais un matin
l'horrible repousse de sept millimètres
qui n'existait pas la veille
et qui soudainement
me donnait une couronne blanche
tout autour du visage
cette repousse avait exactement cet effet-là
sur moi
repoussant
j'ai haï les cheveux blancs de manière viscérale
une tête blanche me faisant penser à ma'
à qui je ne voulais pas encore ressembler
et une repousse me faisait penser
aux racines disgracieuses des cheveux teints
et des ongles vernis dont on n'a pas pris soin
ce trois novembre
en voyant ma repousse blanche apparue dans la nuit
qui était d'une heure plus longue que les mois précédents
je n'ai pas eu l'accablante panique menstruelle
qui me faisait calculer mentalement
la date de mon prochain rendez-vous avec catherine
ce trois novembre
je n'ai pas capitulé
j'ai été heureuse
le temps avait fait son travail
toutes ces années à me battre contre la blancheur
à me penser plus belle en noiraude
à me sentir bien dans ma peau
m'ont permis de grandir encore
ont enfin fait de moi une grande fille
qui n'a plus l'excuse de reporter après l'entrevue
de reporter après l'université
de reporter après la fête de l'homme-chat
de reporter après le voyage
le laisser-aller vers la douceur
toutes ces années à me tenir du côté noir de la force
m'ont finalement attendire
j'ai dit oui
et depuis
je ne veux rien d'autre que mes cheveux blancs
je tire dessus afin qu'ils poussent plus vite
j'aurais l'air un peu sloppy
dans les prochaines semaines et dans les prochains mois
mais vous me trouverez quand même belle
si je deviens impatiente à force de grisonner
plutôt que blanchir
j'irai voir catherine
qui me fera un blanchiment graduel
un jour je serai aussi blanche
qu'alexandra grant
et mon chum est plus jeune que le sien
bref j'aurai encore les outils de séduction et de force
qui m'assureront une vie excitante
pour les cinquante prochaines années.

vanité
représentation allégorique
de la mort
du passage du temps
de la vacuité.