EN COURS DE REDACTION
Turner 1831, Tate Gallery, Londres
Turner, 1831, Tate Gallery, Londres
L’atelier de Watteau
« Watteau apparaît au centre, entouré d’admirateurs et d’oeuvres que Turner connaissait, dont « Les Plaisirs du Bal » (la grande peinture à gauche, maintenant à Dulwich College Gallery) et La Lorgneuse (‘The Flirt’ ) qui appartenait à son ami, le poète Samuel Rogers. » Notice du site de la Tate Gallery.
La visite à Lord Percy
« La peinture montre l’un des ancêtres d’Egremont (le patron de Turner), Henry Percy (assis) et ses filles Lucy (à gauche) et Dorothy (à droite). Elles avaient obtenu sa libération de la Tour de Londres, où il était emprisonné, sous le soupçon d’être impliqué dans la Conspiration des Poudres. L’histoire est rappelée par les peintures sur le mur: une vue de la tour et un grand tableau de l’Ange libérant saint Pierre de prison ». Notice du site de la Tate Gallery.
La logique du pendant
Un personnage principal, masculin, occupe la centre de chaque composition : Watteau debout contre un fauteuil et regardant vers la droite fait écho à Henry Percy assis regardant vers la gauche.
Le décor est conforme aux règles empiriques des Pendants architecturaux :
- deux murs-frontons ferment les bords externes : ici, ils servent à exposer des tableaux dans le tableau ;
- une forme de continuité existe entre les bords internes : ici , elle est assurée par les couples assis près de la fenêtre et les femmes debout près de la porte ;
- une source centrale de lumière éclaire les deux panneaux.
Les « tableaux dans le tableau » rendent hommage aux maîtres que Turner avait ou admiré chez ses amis ou chez son patron : Watteau, représentant la peinture du XVIIIème siècle et Van Dyck celle du XVIIème. Le pendant est également un hommage à la couleur blanche et à la couleur rouge.
Turner avait accompagné le pendant de gauche d’un texte du théoricien de l’Art Charles-Alphonse du Fresnoy, édictant la « règle » suivante :
« Le Blanc tout pur avance ou recule indifféremment : il s’approche avec du Noir,et s’éloigne sans lui. Mais pour le Noir tout pur, il n’y a rien qui s’approche davantage. »
L’art de peinture de Charles-Alphonse Du Fresnoy,traduit en françois par Roger de Piles, 1668
« White, when it shines with unstain’d lustre clear,
May bear an object back or bring it near,
Aided by black it to the front aspires,
That aid withdrawn it distantly retires ;
But Black unmixt, of darkest midnight hue,
Still calls each object nearer to the view. »
La versification anglaise délaye le texte original latin, tandis que la traduction française le rend presque hermétique à force de concision.
Sans doute Turner veut-il nous faire percevoir que la toile blanche, à cause de la silhouette noire à côté, nous apparaît plus proche que le drap blanc, qui pourtant est situé au premier plan.
Seul le titre du premier panneau fait référence à la « règle de Du Fresnoy » : cependant le second panneau pourrait bien illustrer le passage qui le suit immédiatement dans le texte :
« La lumière altérée de quelque couleur ne manque point de la communiquer aux Corps qu’elle frappe, aussi bien que l’air par lequel elle passe. » « Whate’er we spy thro’ color’d light or air, A stain congenial on their surface bear, While neihb’ring forms by joint reflection give, And mutual take the dyes that they receive. »
C’est ainsi que la lumière filtrée par le tissu du rideau teint de rouge tout ce qui l’environne.
Turner, 1842, Tate Gallery, Londres
Turner, 1842, Tate Gallery, Londres
La Guerre
« Le tableau … montre Napoléon en exil sur l’île de Sainte-Hélène. Il a été peint l’année du retour des cendres en France. L’image ne diabolise ni n’héroïcise le personnage, mais suggère la futilité des conflits. La sihouette isolée, en uniforme , apparaît incongrue dans son environnement, tandis que la palette rouge rappelle le traumatisme de la bataille. Dans les vers attachés à la toile, Turner compare le coucher du soleil à une «mer de sang». » Notice du site de la Tate Gallery.
Ce commentaire consensuel rend bien peu compte des réactions indignées des contemporains et de l’incompréhension des critiques. Pour comprendre les intentions de Turner, il est indispensable de donner la totalité de ses vers, qui imaginent en ces termes le discours que tient Napoléon à la bernacle :
« Ah ! Ta coquille en forme de tente
Est comme le bivouac nocturne d’un soldat
Au milieu d’une mer de sang
– Mais tu peux rejoindre tes camarades. »
« Ah: Thy tent-formed shell is like
A soldier’s nightly bivouac, alone
Amidst a sea of blood –
– But you can join your comrades »
Turner, Fallacies of Love
Donc Napoléon croit voir la tente d’un dernier soldat isolé dans la bataille, et dans sa générosité de vaincu, donne l’autorisation au coquillage de faire retraite vers ses camarades : injonction bien ridicule vu l’obstination naturelle de la bernacle à rester sur son coin de rocher.
Et nous, que voyons nous ?
A droite des châteaux dans les nuages au dessus d’un rivage transformé en champ de bataille. Puis une sentinelle anglaise derrière l’Empereur perdu dans ses chimères – il la dédaigne, mais c’est bien la cruelle réalité. Puis un Napoléon perché sur son propre reflet comme sur des échasses [6]: manière de dire que sa hauteur et sa gloire sont aussi fallacieuses qu’un reflet dans une flaque. Enfin la bernacle, dont la forme triangulaire évoque pour le spectateur non pas une tente imaginaire, mais évidemment le bicorne qui vient compléter le reflet.
Ainsi, la flaque met en évidence un syllogisme spéculaire : si Napoléon est regardé par la sentinelle, et si la bernacle est regardée par Napoléon, alors Napoléon n’est qu’une grande bernacle, incrustée jusqu’à la mort sur son rocher.
La Paix
« La Paix montre la sépulture en mer de l’ami et rival de Turner, le peintre Sir David Wilkie, mort près de Gibraltar à son retour de Terre Sainte sur le vaisseau l’Oriental. « La palette froide et les noirs saturés créent un contraste frappant avec son pendant, Guerre, et traduisent le calme et la dignité de la mort de Wilkie, comparée à la mort en disgrâce de Napoléon. » Notice du site de la Tate Gallery.
Là encore, les vers d’accompagnement ajoutent à la compréhension :
« La torche de minuit luisait sur le côté du steamer
Et la course du mérite fut stoppée sur le bas-côté. »
The midnight torch gleam’d o’er the steamer’s side
And Merit’s corse was yielded to the side. »
La mise à la mer eut lieu à 20h30 [7], mais Turner la place symboliquement à minuit, ce qui autorise ce spectaculaire effet de clair-obscur : dans la lueur puissante de la torche de l’autre vaisseau se découpe en ombre chinoise, derrière la roue à aube du steamer, la plateforme d’où sans doute le cadavre a été jeté.
La logique du pendant
Au delà du contraste jour/nuit et du motif turnérien du ciel mélangé à la mer, ce qui unit en profondeur les deux tableaux est le thème de la mort au loin : tandis que la dépouille de Napoléon a été rapatriée en grande pompe, celle de Wilkie a été escamoté à la sauvette.
L’ironie acide de La Guerre venge cette injustice : tandis que les empires terrestres finissent dans la solitude, sur une île aussi infime qu’une coquille, c’est l’immensité de la mer qui accueille les peintres de mérite, dans la fraternité de deux vaisseaux anglais : ce que glorifie la sobriété austère de La Paix.
Turner, 1843, Tate Gallery, Londres
Dans ce pendant tardif et expérimental, Turner prend le Déluge comme support pour illustrer les théories de Goethe sur le contraste émotionnel entre les couleurs froides et les couleurs chaudes :
- le bleu et tous ses dérivés, violets et violets suggèrent la tristesse et l’abattement ;
- les rouges, les jaunes et les verts sont associées au bonheur, à la gaieté, à la joie .
Ombre et obscurité – Le soir du déluge
Seule est reconnaissable une ligne d’oiseaux noirs, au dessus d’épaves indistinctes, vaguement animales, avec au centre la silhouette presque indiscernable de l’arche.
Des vers de Turner explicitent le tableau :
« La lune faisait son signe de malheur sans réponse ; Mais la désobéissance dormait; Le déluge sombre se refermait autour Et le dernier signe est venu: le bâtiment géant a flotté, Les oiseaux réveillés abandonnèrent leurs abris nocturnes en criant, Et les bêtes se dirigèrent vers l’arche. » Turner, les Faussetés de l’Espérance
« The moon put forth her sign of woe unheeded;
But disobedience slept; the dark’ning Deluge closed around
And the last token came: the giant framework floated,
The roused birds forsook their nightly shelters screaming,
And the beasts waded to the ark ».
Turner – The Fallacies of Hope
Lumière et couleur (Théorie de Goethe)- Le matin après le déluge – Moïse écrivant le livre de la Genèse
Ici, l’explosion triomphale de lumière célèbre l’alliance de Dieu avec l’homme. Au centre, sous la silhouette de Moïse écrivant, on distingue le serpent d’airain qu’il avait élevé dans le désert pour guérir les Hébreux des morsures des serpents. Au dessous, d’innombrables têtes humaines flottent, prises dans des bulles brillantes. Tandis que l’ensemble du tableau forme également une grande bulle irisée.
Cependant l’opposition entre les deux tableaux est loin d’être manichéenne, comme le montre le poème qui accompagne celui-ci, et sa conclusion pessimiste sur la transience des êtres :
Les époux Arnolfini
Van Eyck, 1434, National Gallery, Londres
Portait de sa mère
Whistler, 1872, Musée d’Orsay, Paris
L’arche s’était fixée sur Ararat; Le soleil revenu Faisait s’exhaler de la terre des bulles humides, et émule de la lumière, Reflètait ses formes perdues, chacune en forme prismatique Précurseur de l’espoir, éphémère comme la mouche d’été Qui naît, volette, croît et meurt.
Turner, les Faussetés de l’Espérance
The ark stood firm on Ararat; th’ returning sun Exhaled earth’s humid bubbles, and emulous of light, Reflected her lost forms, each in prismatic guise Hope’s harbinger, ephemeral as the summer fly Which rises, flits, expands, and dies.Turner – The Fallacies of Hope
Par ailleurs, le titre fait explicitement référence aux expériences optiques de Goethe dans sa « Théorie des couleurs », en particulier aux « post-images », tâches colorées qui se produisent si on ferme l’oeil après avoir été ébloui par le soleil, et qui prouvent que celui-ci n’est pas un simple récepteur passif. [7a]
« La vision du soleil qui avait dominé tant de tableaux de Turner, devient maintenant une fusion de l’oeil et du soleil. Par la post-image, le soleil s’intègre au corps, et c’est le corps qui agit comme la source de ses effets. » [8].
Ainsi ce tableau inaugure un renversement de la conception du réel, non plus donné externe mais construction par le regard.
La logique du pendant
La complexité du pendant tient à la superposition de deux thèmes, dont l’un crée une opposition et l’autre une solidarité entre les deux tableaux :
- opposition des effets optiques de l’ombre et de la lumière, du noir et des couleurs ;
- composition et message similaires :
- au centre un symbole d’espérance (l’arche ou le serpent d’airain, tous deux précurseurs de la Croix et du Salut),
- au dessous des cadavres et des bulles qui dénient cette espérance religieuse, et renvoient au grand cycle naturel de la la création et de la destruction.
https://books.google.fr/books?id=YT1FbAVI59AC&dq=Ah!+Thy+tent-formed+shell+is+like+A+soldier%27s+nightly+bivouac,+alone+Amidst+a+sea+of+blood+-+-butyou+can&hl=fr&source=gbs_navlinks_s [7] http://nonsite.org/article/how-orientalist-painters-die [7a] Pour une discussion très détaillée sur l’influence de Goethe sur Turner, voir Angel in the Sun: Turner’s Vision of History, Gerald Finley, p 201-209
https://books.google.fr/books?id=uxroHjm2QAIC&pg=PA206&lpg=PA206&dq=The+moon+put+forth+her+sign+of+woe,+unheeded&source=bl&ots=ZNkqCATzt_&sig=R2o9vOVMwYd5Ey_a-J0LKtQFSJ8&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjcyq2tkqfRAhWLvxQKHRznBAQQ6AEIMDAD#v=onepage&q=The%20moon%20put%20forth%20her%20sign%20of%20woe%2C%20unheeded&f=false [8] Jonathan Crary, Techniques of the Observer: On Vision and Modernity in the Nineteenth Century. Cité dans http://www.tate.org.uk/context-comment/articles/sun-god