Le Roi. Histoires de monarchie

Par Balndorn

Résumé : Hal, jeune prince rebelle, tourne le dos à la royauté pour vivre auprès du peuple. Mais à la mort de son père, le tyrannique Henry IV d'Angleterre, Hal ne peut plus échapper au destin qu'il tentait de fuir et est couronné roi à son tour. Le jeune Henry V doit désormais affronter le désordre politique et la guerre que son père a laissés derrière lui, mais aussi le passé qui resurgit, notamment sa relation avec son ami et mentor John Falstaff, un chevalier alcoolique.
Deux films sur Netflix, deux rois historiques, un même motif : la bataille finale dans la boue. Et pourtant, Outlaw King (David Mackenzie, 2018) et Le Roi diffèrent du tout au tout dans leur représentation du pouvoir politique.
(Re)naître de la glaise
Pour mieux comprendre leur opposition, détaillons tout d’abord la figure du roi guerroyant dans la glaise, commune aux deux œuvres. Dans Outlaw King, Robert de Bruce (Chris Pine), le roi des Écossais en rébellion contre le roi d’Angleterre, remporte la victoire contre les cavaliers anglais dans le bourbier de Loudoun Hill. Dans Le Roi, changement de personnel mais même stratégie : face à la suprématie militaire et la supériorité numérique des chevaliers français menés par le dauphin Louis de Guyenne (Robert Pattinson), le jeune Henry V (Timothée Chalamet) préfère, sur les conseils de Falstaff (Joel Edgerton), les attendre embusqués dans la cuvette marécageuse d’Azincourt, où les archers anglais massacrent la noblesse de France. Comme l’homme né de la glaise, les deux souverains tirent leur légitimité de la matière au plus proche de la terre. Cependant, leur posture diffère, et par conséquent leur conception du pouvoir monarchique. Peu avant le combat, un groupe d’Écossais venus rallier Robert de Bruce le confond, tout occupé qu’il est à creuser une tranchée, avec la soldatesque ordinaire ; indistinction dont le roi en quête d’un peuple se flatte. À l’inverse, Henry V a beau se couvrir de boue et rouler au sol en poignardant des chevaliers français, gros plans, ralentis et centralité de son corps au milieu d’un plan-séquence l’isolent du reste de l’armée anglaise. Une aura de majesté sacralise chacun de ses gestes et le distingue de la piétaille, à laquelle il s’adresse comme un monarque, et non comme l’un de ses membres.
Histoire par le haut, histoire par le bas
Je terminais mon analyse d’Outlaw King par ces mots : « pour être un roi debout, il faut avoir été un roi de boue ». Malgré tous ses défauts, la monarchie que construit Robert de Bruce naît d’abord d’une expérience d’immixtion et d’immersion au sein du peuple des Highlands. Elle est l’exemple typique d’une construction par le bas : sans le soutien des classes populaires, parmi lesquelles renaît le souverain, la monarchie écossaise ne serait pas. Inversement, Henry V est debout avant même qu’il n’engage son expédition outre-Manche. Celle-ci n’a pas pour but de construire la monarchie, que son défunt père a déjà mise en place, mais de l’empêcher de s’effondrer en lui offrant un puissant outil de cohésion interne. La boue représente une épreuve initiatique propre au monarque, et non l’expérience fondatrice de l’édifice politique tout entier. Et c’est pourquoi, dans Le Roi, le peuple n’apparaît que si peu et si mal. Ses rares résurgences le figurent soit comme une masse anonyme, destinée à accomplir le destin royal à Azincourt, soit, de manière encore plus parlante, comme un spectre relégué dans le hors-champ, dont on n’entend que les vivats et les acclamations après la victoire en France.Entendons-nous : Le Roi est certes un bon film, sans doute, d’un point de vue formel, meilleur qu’Outlaw King – si l’on excepte la pitoyable performance de Robert Pattinson en un dauphin français plus que caricatural. Mais sa facture bien léchée sert un projet politique qui, lui, est absolument hors d’âge : une conception aristo-viriliste du pouvoir politique, bien loin du vent de démocratisation et d’histoire par le bas qui souffle sur le genre depuis quelques années (citons pêle-mêle Jackie, Un Peuple et son roi,La Favorite et Mary Stuart, reine d’Écosse).

Le Roi, David Michôd, 2h20, 2019  
Maxime
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