TXT est devenu depuis lors objet d'étude. Affirmé au tournant des années 2000, cet intérêt de quelques-uns a permis de redécouvrir - lectures fécondes à rebours de pleurnicheries sur la fin des avant-gardes - les problématiques avant-gardistes des années soixante-dix, la défense des " grandes irrégularités du langage " (Bataille), la revendication d'une modernité " résolument moderne " à l'âge de la Restauration post-moderne, une certaine expérience du " présent ". Colloques et publications dites savantes ont ainsi relayé et disséminé cette parole, individuelle ou collective, qui s'employait à contredire et à contrefaire " l'ordre des discours " autant que leur déconstruction. Cette forme d'actualisation incessante, par le biais universitaire, des manifestes et des expériences passés souligna l'importance de cette aventure. TXT a compté, quoi qu'on en dise. C'est pourquoi ses déclarations, ses propositions et ses expérimentations méritent et requièrent encore notre attention critique.
Ce n'est pourtant pas sans surprise qu'on apprit à l'automne 2017, soit vingt-cinq ans après la parution du conclusif " Languelais, Fatrasies & Lotharingites " (n° 31, 1993), la parution imminente d'un nouveau numéro de la revue défunte, intitulé comme il se doit : " Le retour ". Composé des " historiques ", le comité de cette trente-deuxième livraison signait un éditorial, " À fond la forme ! ", qui levait d'emblée les doutes qu'on pouvait avoir sur la vitalité de cette " communauté dormante " et sur ses intentions. Rappelant en effet à celles et ceux qui l'avaient oublié le " programme " (" le travail des langues ") et la " conviction " (" le poétique est dans la poéticité matérielle ", " la poéticité fait le sens du texte ") du TXT de naguère, l'Éditorial, magistral, n'entendait rien retrancher de cette " haine de la poésie " qui avait commandé ses engagements, dégagements et langagements. " Vider la poésie de la poésie qui bave de l'ego, naturalise et mysticise, rêve d'amour et d'union, dénie obscurités, chaos et cruautés, décore le monde et marche à son pas " : à qui donc, se demandait-on songeur, pouvaient bien s'adresser les auteurs de ce coup de balai vindicatif ? " Rien ne lia davantage ceux qui firent TXT que la "haine de la poésie". [...] Rien ne prouve qu'il faille aujourd'hui haïr moins ", lisait-on encore...
Suivaient quelques considérations sur le " bel aujourd'hui " poétique : ses trucages, ses complaisances, ses mollesses, ses recyclages attendus, ses renoncements intermédiaux, ses montages et ses démontages, collages et bricolages... Bref, le vent du large soufflait sur ce numéro inattendu qui s'inquiétait du sort fait à la poésie et se demandait que faire pour y contrevenir : " Notre monde, le monde informe des réseaux de communications le monde lié, ne communique rien. Rien = clichés, humeurs, confidences, fake news. Dans le travail poétique, au contraire, l'expérience cherche ses propres formes, ses rythmes sensibles. On veut trouver des équivalents verbaux justes à ce qui, des vies, est mal nommé, mal pensé, non encore nommé. "
À la fois sérieux et joyeux, le sommaire livrait ces " équivalents " qui entremêlent " pensée ", " ironie " et " gai savoir ". " Extraits " du " Journal 2017 " de Verheggen, " Sonnets " indésirables de Prigent, " Moches z'heures " de Boutibonnes " et autres piétinements de Le Pillouër, partie d'une conférence en croix, croisée et croisement de Novarina (" L'esprit respire "), récit parcouru de chemins de traverse où se perdre de Frontier (" Démonstration "), proses " sonnantes et trébuchantes " de Clémens (" La mort existe pas "), prose insistante et jaillissante de Pennequin (" Que veut le vent "). " La poésie c'est le retour à l'état sauvage de sa propre personne ", écrit ce dernier. " Une façon animale de prendre de la hauteur. Prendre de la hauteur puis pour le mettre en pièce s'abattre sur tout ce qui nous parle. "
La parution récente (septembre 2019) d'un numéro 33, intitulé L'Almanach, prolonge ce " retour " de TXT. Comité renouvelé - les " historiques " ont laissé la place à Bruno Fern, Typhaine Garnier et Yoan Thommerel ; sommaire accueillant d'anciens et de nouveaux contributeurs (Aldo Qureshi, Benoît Toqué, Jean-Christophe Ozanne, Jean-Pierre Bobillot...). Différente de la précédente, cette livraison multiplie les élaborations formelles, où " ce qui nous parle " est désillusionné, élaborations ponctuées des pages d'un faux almanach enrichi de petites annonces et de rubriques variées (" Le coin des poètes ", " Célébrage ", " Performage ", " Conseil pratique ", " Courrier du cœur ").
L'éditorial du numéro 32 demandait à ses lecteurs d'être attentifs aux " gestes d'art " qui, " comme des secousses ", communiquent des " respirations ", des " chances de déliaison ". Une note de bas de page signalait l'allusion à Walter Benjamin, dont l'entièreté du propos était rapportée : " Dans la distraction, l'œuvre d'art crée de la secousse et même le cas échéant n'est rien que le prétexte à un comportement actif des sujets. " On peut sans se tromper lire dans ces mots de Benjamin l'ambition de TXT nouvelle formule.
Secouer, délier, être le prétexte de..., dans le refus de..., au nom de..., sans souci du performatif, loin du spectaculaire.
Droit de réponse inventif.
Expression intarissable d'une " liberté polémique dans la modernité " (Verheggen).
Olivier Penot-Lacassagne
TXT, n° 32, 2018, 95 p. ; TXT, n° 33, septembre 2019, 143 p. (éditions Nous)