On sait qu'Henri Meilhac et Ludovic Halévy, habituels complices des succès d’Offenbach, se sont très librement inspirés d’une pièce de Prosper Mérimée, le Carrosse du Saint-Sacrement.
L'intrigue est mince comme la ficelle d'un string. Voyez un peu : à Lima, au Pérou, on célèbre la fête du vice-roi. La gaieté est de rigueur, police et courtisans y veillent. Le vice-roi, lui, essaie de se glisser incognito dans la foule pour sonder les reins et les cœurs. Il découvre ainsi la Périchole, une chanteuse des rues, qui s’est endormie, vaincue par la faim, en attendant son amant Piquillo. Coup de foudre immédiat, le vice-roi veut faire de la Périchole sa favorite. Elle accepte ou feint d’accepter, pour échapper à la famine. L’opéra-bouffe développe donc en trois actes les tribulations des amants victimes de la misère et de l'arbitraire et le chemin de Damas parcouru par le vice-roi, vaincu par l’amour.
Toute l’œuvre est à l’image de la première ouverture qui voit un thème mélancolique succéder brièvement à des notes légères, gaies et sautillantes. Et c’est l’art de la direction et des interprètes que de savoir passer de l’un à l’autre, sans heurts et sans donner la moindre impression de dispersion.
La mise en scène et la scénographie jouent habilement de l’ambiguïté de ce Pérou d’opérette, sous lequel perce un Second Empire que la peur d’une révolution fait trembler. Eric Chevalier règle au millimètre près un réjouissant divertissement assez kitch, coloré, bien huilé, plein de bonne humeur et de trépidation, au grain de folie très étudié, qui n'oublie toutefois jamais le côté grinçant, cynique même de l'ouvrage.
Côté chanteurs, la vedette de la soirée fut incontestablement Pierre Derhet qui campa un Péquillo tour à tour drôle et attendrissant et dont la voix avait tout pour séduire. Philippe Ermelier fit du vice-roi une sorte de géant débonnaire, un tyran de pacotille quelque peu dépassé par les évènements mais aux colères duquel on croyait vraiment, avec dans les dialogues parlés de réjouissantes intonations alla Bacquier... Il ressemble en plus au visqueux Raymond Souplex dans le film Caroline Chérie... Réjouissant…
Quant à Marie Karall, son enthousiasme est évident, mais l'abattage bien peu communicatif, même si la musicalité reste toujours parfaite. Belle émotion dans l’air de la lettre, abordé avec d’indicibles raffinements, mais la cocasserie le dispute rarement à l’ivresse. La voix de la comédienne ne passe pas la rampe, le chant, à dose homéopathique. Une Périchole trop sage, sans vertige, sans tourbillon, trop chic, pas assez choc.
Dans leurs rôles de composition, Enguerrand de Hys (Panatellas), Ugo Rabec (Honoyosa) et surtout Jean-Claude Calon, irrésistible vieux prisonnier, parfait comme toujours, véritable tornade théâtrale, firent montre d'une efficacité à toute épreuve. En Marquis de Tarapote, Alain Iltis tire habilement son épingle du jeu…
Pleines de vie et de chant pertinent, le quatuor de grisettes péruviennes, Ludivine Gombert, Roxane Chalard, Christine Craipeau et Marie Simoneau s'en donnent à cœur joie à coup de malices réglées.
Dans la fosse, Samuel Jean ne craint pas ici, et de belle manière, d’affirmer son goût pour un répertoire moins léger qu'il ne paraît. Il le défend avec conviction et compétence. Il laisse s’épanouir le rythme, la mélodie, soutient attentivement les chanteurs et conduit un convaincant Orchestre Régional Avignon-Provence avec ferveur et équilibre.
Les chœurs, admirablement réglés scéniquement, participent avec fougue à cette production roborative, parfait antidote contre la morosité du climat ambiant hexagonal. C'est un bien triste record que le Collectif féministe #NousToutes pour dénoncer les féminicides a annoncé ce week-end. 2019 aura vu plus de femmes tomber sous les coups de leurs conjoints que 2018. Un record dont évidemment tous nous se serions...