publient Poésies de Hans Faverey,
important poète néerlandais (1933-1990)
non encore traduit en français.
Horloge, vaisseau du désert
Le vaisseau du désert :
telle est la montre.
Je préfèrerais me défaire
de la montre, et faire
naufrage sur une page
qui me ramène dans la bonne voie,
que de renoncer au désert
parce que possédais une montre.
Cela commence ainsi, et doit rester
si longtemps, trop longtemps commencé.
La répétition aigrie règne ;
triomphe dans un dur fleurissement
des plus sauvages. Dans la répétition
se montre l’infructueux,
se découvre l’immobilité.
Ainsi une aubépine
faite avec amour ;
une telle amante, la main
encore sur le pied de vigne,
dégelée à mort
Comme aucune guêpe
1 dirige à présent quelque chose comme
un dard vers 2, qui n’en est pas
une non plus, bien que les deux
soient encore des points sur la même ligne,
dans le même paysage,
où l’on n’aime jamais se rendre,
quand on n’a rien à y faire
et rien à en attendre.
D’abord il n’y eut rien.
Ensuite, il y eu plus que quelque chose.
Puis il se révéla en rester trop ;
enfin, il ne me restait
plus rien. Le début
de la fin ;
c’est pas tout ça.
Ce qui aurait pu exister
de ces choses, a existé,
ou aurait pu exister.
Ou s’est étouffé dans le silence ;
ou n’a jamais existé.
En plein milieu d’un jour clair.
Sur toutes les façades rougit la rouille.
L’evergreen fleurit ;
le cactus pousse aussi.
J’entends bruire la mer.
Le temps presse.
Le temps est court.
Si demain le vendredi 13
tombe un 29 février,
un pendu accroché par les poignets,
les chevilles ou le cou peut aussi
pouvoir inviter le bourreau à danser.
Mir nix : dir nix
Ne rien tirer d’une chose.
Ne pas pouvoir sentir quelqu’un.
As-tu réponse à la mer ?
A-t-elle réponse à la mer ?
Presqu’aussitôt les yeux que tu trouves beaux
sont en quartz fumé, le quartz
qui t’aime bien part en fumée.
N’avoir rien tiré d’une chose.
Ne jamais avoir à aller nulle part.
Ne rien pouvoir oublier.
Faire rien de rien.
Dir nix : mir nix.
Bien plus tard peut-être,
quand mot et porte-manteaux
auront depuis longtemps fané,
et que la mouche à merde,
fleurira avec vigueur –
verdâtre avec un souvenir
de bleu, et que la réalité
lentement sera remontée :
un scaphandre avec encore
quelqu’un dedans ; si toi ou moi
voulons relire ceci : pour savoir
ce que ça dit, disait ou ce qu’il y aura.
Le désert, aveugle
monotone mélodieux,
habitant une île
aux oreilles de renard
Avec le cé de cité
cette même cécité est presque
ce cyprès sous lequel je me tiens,
attendant que le schubertinage
s’arrête. Souvent un désert
est encore plus dur à passer à gué
qu’une mer. Aucune abeillle
ne choisit jamais une rose séchée.
Sous la mer non plus on ne trouve
de ces poutres.
Hans Favery, Poésies, traduit du néerlandais (Pays-Bas) par Kim Andringa, Éric Suchère & Erik Lindner, Préface d’Erik Lindner, Editions Vies Parallèles, 2019, 672 pages, 30€, 2019, pp. 279 à 286.
Hans Faverey est né en 1933 à Paramaribo, capitale du Surinam alors colonie des Pays-Bas, et décédé à Amsterdam en 1990. À l'âge de cinq ans, il émigre aux Pays-Bas, sans son père qu'il ne reverra que peu de temps avant sa mort. Pendant la guerre, il échappera de peu à la mort. Il travaillera comme psychologue clinicien à l'université de Leyde. Il se mariera avec Lela Zeckovi, une poète yougoslave. Travailleur infatigable qui ne cessait de revenir et revenir encore sur la moindre parcelle de chacun de ses poèmes, il ne publiera que 9 recueils de poésie. Ce n'est qu'à partir de son troisième, Chrysanthèmes, Rameurs, que son travail attirera l'attention d'une critique peu étendue mais admirative. D'abord considérée comme hermétique (ses premiers poèmes furent systématiquement refusés par nombre de revues), sa poésie a peu à peu gagné en popularité. Aujourd'hui, il est unanimement considéré, à côté de Gerrit Kouwenaar et Lucebert, comme l'un des poètes néerlandais les plus importants du vingtième siècle. Étudiée un peu partout à travers le monde, son oeuvre est traduite dans une vingtaine de langues.
Lecteur curieux et attentif de la poésie de son temps (il connaissait remarquablement bien les poésies française, américaine ou asiatiques), Hans Faverey a composé (littéralement composé) une œuvre aussi exigeante qu’originale. À l’écart des écoles esthétiques il a lentement construit un monument à la littérature. Alors qu’elle était depuis longtemps admirée, traduite et étudiée en de nombreuses langues, il manquait à cette œuvre essentielle une traduction française ambitieuse. Avec ces Œuvres complètes, c’est bien l’une des œuvres majeures de la poésie du vingtième siècle que nous vous proposons de découvrir. (Note de l’éditeur)