Peut-être que la terre flotte,
je ne sais pas.
Peut-être que les étoiles sont des bouts de papier
découpés par des ciseaux géants,
je ne sais pas.
Peut-être que la lune est une larme gelée,
je ne sais pas.
Peut-être que Dieu n’est qu’une voix profonde
que les sourds entendent,
je ne sais pas.
Peut-être que je ne suis personne.
C’est vrai, j’ai un corps
et ne peux m’en échapper.
Je voudrais m’envoler hors de ma tête,
mais c’est hors de question.
Il est écrit sur la tablette du destin
que je suis coincée ici sous cette forme humaine.
Cela étant le cas,
je voudrais attirer l’attention sur mon problème.
Il y a un animal en moi,
qui s’agrippe à mon coeur,
un énorme crabe.
Les médecins de Boston
ont jeté l’éponge.
Ils ont essayé les scalpels,
les aiguilles, les gaz toxiques et autres.
Le crabe reste.
C’est un poids énorme.
J’essaie de l’oublier, de vaquer à mes occupations,
de faire cuire du brocoli, d’ouvrir et de refermer des livres,
de me brosser les dents et de lacer mes chaussures.
J’ai essayé de prier
mais j’ai beau prier, le crabe s’agrippe toujours plus fort
et la douleur grandit.
Un jour j’ai fait un rêve,
peut-être était-ce un rêve,
que le crabe était mon ignorance de Dieu.
Mais qui suis-je pour croire aux rêves ?
*
The Poet Of Ignorance
Perhaps the earth is floating,
I do not know.
Perhaps the stars are little paper cutups
made by some giant scissors,
I do not know.
Perhaps the moon is a frozen tear,
I do not know.
Perhaps God is only a deep voice
heard by the deaf,
I do not know.
Perhaps I am no one.
True, I have a body
and I cannot escape from it.
I would like to fly out of my head,
but that is out of the question.
It is written on the tablet of destiny
that I am stuck here in this human form.
That being the case
I would like to call attention to my problem.
There is an animal inside me,
clutching fast to my heart,
a huge crab.
The doctors of Boston
have thrown up their hands.
They have tried scalpels,
needles, poison gasses and the like.
The crab remains.
It is a great weight.
I try to forget it, go about my business,
cook the broccoli, open and shut books,
brush my teeth and tie my shoes.
I have tried prayer
but as I pray the crab grips harder
and the pain enlarges.
I had a dream once,
perhaps it was a dream,
that the crab was my ignorance of God.
But who am I to believe in dreams?
***
Anne Sexton (1928-1974) – The Awful Rowing Toward God (Houghton Mifflin Company, 1975) – Traduit de l’américain par Stéphane Chabrières.