Cette semaine, les femmes sont à l’honneur et pour une fois, je ne parle pas de Marlène La Sorcière Bien Barrée : grâce à deux interventions sur deux sujets pourtant fort différents, deux femmes auront créé une jolie paire de polémiques dont les médias et les réseaux sociaux sont friands.
La pôle position de la polémique médiatique est actuellement détenue par une certaine Julie Graziani qui nous aura servi une belle saillie lors d’un de ces énièmes débats-télévisés, ces équivalents modernes de discussions de cafés du commerce où apéritifs alcoolisés et cacahuètes salées sont désavantageusement oubliés au douteux profit de sujets souvent moisis et d’invités improbables aux savoirs approximatifs.
Cette fois-ci, c’est donc une chroniqueuse de LCI, apparemment habituée des raccourcis verbaux expéditifs, qui a déclenché une homérique polémique franco-française : tout part d’un reportage montrant une femme se plaignant à Emmanuel Macron de sa situation économique fort tendue, alors qu’elle n’est qu’au SMIC et doit nourrir deux enfants. Réagissant à ces informations, la chroniqueuse du plateau de « 24h Pujadas » enchaîne en s’interrogeant ainsi :
« Qu’est-ce qu’elle a fait pour se retrouver au Smic ? Est-ce qu’elle a bien travaillé à l’école ? Est-ce qu’elle a suivi des études ? Et puis si on est au Smic, il ne faut peut-être pas divorcer dans ces cas-là… »
Il n’aura pas fallu longtemps pour que cette répartie déclenche une magnifique vague d’indignation à la fois sur le plateau, dans les médias et sur les réseaux sociaux dont la production habituelle d’indignation de synthèse et d’élevage a rapidement cédé le pas devant l’indignation naturelle élevée en plein air, qui s’est immédiatement égaillée partout.
Et malgré la réponse plus argumentée et plus nuancée de la chroniqueuse devant le tsunami de hurlements, la polémique n’a pas désenflé.
Au passage, notons que ceci est fort pratique : cela masque complètement le fait que la détresse de la mère de deux enfants s’adressait d’abord à Emmanuel Macron, qui bénéficie maintenant d’un magnifique écran de fumée lui laissant amplement le temps de préparer sa réponse médiatique dans un avenir proche et choisi avec soin.
Pendant ce temps, Graziani pagaye de plus en plus vigoureusement contre un torrent de réponses acrimonieuses dont on se doute qu’il finira par l’emporter dans un petit chplouf misérable, …
… Et alors même qu’une autre chroniqueuse la rejoint dans ses petits mouvements frénétiques pour ne pas disparaître dans le flot tumultueux des polémiques médiatiques.
Car pendant que la chroniqueuse de LCI déclenchait un séisme de force 8, une confrère journaliste en faisait autant sur un autre plateau, celui de CNews : pour l’ex-journaliste de Charlie Hebdo Zineb El Rhazoui, devant les montées de violence observées ces dernières semaines dans les banlieues (et que j’évoquais dernièrement ici), « il faut que la police tire à balles réelles ».
Horreur et stupéfaction sur le plateau : les invités et les animateurs / chroniqueurs / journalistes / troubadours n’en reviennent pas et s’écrient tous en chœur que sortir ça, en Rrrrépublique FrrRrrançaise, c’est abominable, et qu’on frôle pour ainsi dire le retour aux heures les plus sombres de notre Histoire.
Il n’y a maintenant plus de doute : à voir ces polémiques se développer, le pays a courageusement choisi la fragilité, le renoncement et une forme de lâcheté élevée au rang de vertu.
Oh certes oui, les termes choisis par nos deux polémistes (volontaires ou non) sont terribles. Oh certes oui, relier ainsi situation économique et divorce ne pouvait que déclencher une violente réaction de rejet. Oh certes oui, expliquer de but en blanc que la police doit tirer dans le tas ne peut que provoquer des réactions ébahies ou de consternation.
Le souci est que, dans le fond, les deux messages – qui ne sont absolument passés à cause de cette forme déplorable – n’en sont pas moins indispensables.
Ainsi, nonobstant l’histoire spécifique de cette mère de famille en difficultés qui, comme beaucoup de Français, a sans doute subi un douloureux accident de la vie, rappeler que l’État n’a pas pour mission de venir en aide à tous et à chacun reste un message que plus aucun Français ne semble supporter sans immédiatement fondre en larmes ou sans péter un câble en hurlant « droits acquis », « solidarité », « filet de sécurité » et tout le tralala habituel.
Dans un monde normal (celui d’un nombre croissant de pays, du reste), l’État s’occupe d’abord du régalien, c’est-à-dire de la sécurité de ses citoyens, d’une justice efficace et d’une armée en bon ordre. Moyennant quoi, les charges faibles, les taxes peu élevées et les impôts modérés libèrent l’économie et enrichissent toute la population.
Le Français a choisi l’autre voie, celle qui ne mène jamais au repas gratuit : ponctionné de toutes parts, taxés comme un animal, tondu, corvéable à merci, il s’attend niaisement à ce qu’en face correspondent des services publics qui lui permettent, justement, de parer au pire, de constituer ce fameux filet de sécurité pour les plus pauvres. Et malgré une réalité qui lui vole dans le museau à chaque minute, dans laquelle plus il est tondu, et plus l’État le traite comme un pourceau, malgré une dégradation de tous les services publics alors que jamais, dans son Histoire, il n’a payé autant en dîmes, gabelles, accises, octrois et ponctions, malgré tout ça, il réclame toujours plus d’État.
Et lorsqu’on a l’impudence de lui faire remarquer que c’est précisément cette attitude qui provoque les problèmes dont il se plaint, … On déclenche une tempête.
De la même façon, lorsqu’on rappelle l’évidence pourtant essentielle que la force doit rester à la Loi, que ses représentants sont armés précisément pour cela, et qu’une situation d’embuscade dans laquelle on se retrouve sous des tirs de mortier, d’artifices, voire de cocktails molotov (quitte à rester cramer dans son véhicule en feu) justifie amplement par le surnombre des attaquants une réponse armée, le Français se rebiffe : impossible de remettre en cause un vivrensemble (qui n’existe pas, n’a jamais existé et ne risque pas d’exister vu la tendance actuelle), impossible d’imaginer un policier faire feu !
Le Français des médias, celui qui s’indigne sur les plateaux, qui bouillonne sur les réseaux sociaux a complètement perdu le sens des réalités. Pire : même devant les constats imputrescibles d’un délitement complet de certaines zones, même devant l’évidence du pourrissement complet du pays par un trop-plein d’État obèse qui gangrène maintenant tout ce qu’il touche, il refuse mordicus qu’on lui rappelle cette réalité.
La France de ces médias, de ces plateaux, de ces réseaux sociaux est une France douce, molle, gentille qui a les moyens infinis de venir en aide à tout le monde, quelles qu’en soient les raisons.
Cette France bienveillante et chaleureuse ne recule devant aucune nouvelle chance (même après 124 récidives – la 125ème chance sera la bonne, c’est sûr) pour chacun de ses ressortissants – à l’exception sans doute des mâles blancs cis de plus de 35 ans, faut pas déconner.
Cette France solidaire et compréhensive saura se mettre en quatre, en huit, que dis-je en dix-mille façon puzzle s’il le faut pour ne surtout pas décevoir un peu plus des jeunes déçus, ces petites bandes de canaillous d’imbéciles irresponsables, ces sauvageons un peu délicats à recadrer.
Pour cette France-là, l’inversion des valeurs est telle qu’il en devient choquant de demander à des policiers de « tirer à balles réelles », ce qui est pourtant la définition même de leur métier de base qui n’a jamais été de faire intermédiaire de relations sociales, tampon-buvard d’émotions citadines ou que sais-je encore.
Pour cette France-là qui a basculé du côté mou de la force, la forme prime sur tout, le fond sur rien.
La France a un incroyable talent : celui de transformer des évidences en polémiques. Ce n’est pas ça qui la sortira de l’ornière. Au contraire, même.
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