Berlin, le mur, 30 ans. Que se passait-il le 8 novembre 89 ?

Publié le 08 novembre 2019 par Pierre Thivolet @pierrethivolet

Et pendant ce temps-là, le chancelier Helmut Kohl était en Pologne...


Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
Que se passait-il à Berlin-Est le 8 novembre 1989, 24 heures avant l’ouverture du mur ? Rien. Correspondant de TF1, nous avions obtenu un visa, officiellement pour « couvrir » les réunions du comité central du Parti communiste qui deux semaines auparavant avait remplacé Erich Honecker par Egon Krenz. Nous avions pris nos quartiers à l’Hôtel Metropol, sur Friedrichstrasse, en plein centre de Berlin-Est. A l’époque le centre de Berlin, côté Est était comme une excroissance dans Berlin-Ouest, une vitrine avec des musées, quelques bâtiments historiques reconstruits, l’ambassade soviétique, immense, faisant presque face à la Porte de Brandebourg, que l’on voyait depuis les barrières, mais qui était en zone interdite, le no man’s land du mur, et puis des ministères et le siège du gouvernement. Après 17 heures, il n’y avait plus personne, la vie à Berlin-Est, était plutôt plus au nord, à partir de Prenzlauer Berg, qui avait la réputation d’être un quartier un peu bohême, et où l’on rencontrait des artistes, des écrivains, des militants des droits de l’homme, enfin il n’y en avait pas beaucoup. Quand on commençait à être trop critique, au mieux on était expulsé vers l’ouest, au pire, emprisonné. Nous étions donc dans un « palace » selon les normes est-allemandes, en fait une sorte de grande barre de béton, sinistre, où toutes les chambres étaient équipées de micros de la Stasi, la police secrète, et qui nous était imposée par les autorités. Comme nous était imposée la conversion de Deutschmarks en Marks est-allemand, une monnaie sans valeur, non reconvertible. Tout visiteur étranger était considéré comme une vache à devises, alors une équipe de télé…Nous avions installé notre banc de montage dans une chambre et le sujet de notre reportage portait sur les travailleurs immigrés, pardon invités, vietnamiens. Parce que l’Allemagne de l’Est manquait de main d’œuvre et elle commençait à en faire venir des pays « frères » communistes. Des accords d’Etat à Etat, la main d’œuvre très encadrée, était parquée dans des tours HLM à la périphérie des villes. Pour ces reportages, nous avions un peu circulé en Allemagne de l’Est, jusqu’à Karl-Marx Stadt - qui a retrouvé aujourd’hui son nom d’avant le communisme - Chemnitz. En flash reviennent ces images d’un pays triste, brouillardeux, dès l’automne et les premiers froids ; un épais voile jaunâtre dû à la pollution du chauffage au lignite, recouvrait tout le pays. Des villes encore marquées par les destructions de la guerre, comme Dresde, capitale de la Saxe, l’ancienne Florence de l’Elbe. En dehors du Zwinger, de l’Opéra, et de l’Eglise du Palais, c’était surtout des plaques de béton et des gravats. Et partout des tuyaux de gaz ou de chauffage parcourant les villes et les villages à 2 mètres au-dessus du sol, des installations industrielles rouillées. En fait ce pays présenté comme le bon élève, l’exemple de la réussite économique du bloc communiste, était au bord de la faillite. Une faillite qui allait être précipitée par ce qui allait se produire le lendemain. Mais le 8 novembre, personne n’en savait rien. Et le soir nous sommes allés dîner - là aussi pas le choix - au restaurant « gastronomique » de l’hôtel. Pour le régime et la chaîne nationale d’hôtels pour étrangers Interhotels, « gastronomique » cela signifiait cher, et avec des plats aux noms français, comme le « vol au vent ». Je ne sais pas pourquoi, mais cela semblait être le comble du bon goût, on le retrouvait  partout, mais on était très loin de top chef. Et puis bien sûr, il y avait une autre fierté du régime, le « Rotkäppchen », le petit chaperon rouge, un mousseux écoeurant. Là aussi on était très loin du champagne. C’est donc en traînant des pieds que nous nous sommes rendus le lendemain , 9 novembre, vers 17 heures, à la conférence de presse de Günter Schabowsky, le porte-parole du comité central. Nous avions rendez-vous avec l’Histoire, mais personne, même pas lui, n’était au courant… 
Et l’on écoute la déjantée Nina Hagen, une chanteuse berlinoise de l’Est, exilée à l’Ouest, qui chante Berlin ist dufte, Haupstadt des DDR, presqu’intraduisible pour qui n’est pas berlinois. Allez rocke Nina ! https://youtu.be/RI4GT0CWOGw