J’ai des rapports très ambigus avec la mort, je ne la réalise pas, ou du moins que très rarement, je me pose évidemment des questions existentielles que se posent la plupart des humains, l’enfer existe-t-il ? Le paradis ? La vie après la mort n’est pas qu’un leurre pour nous obliger à mieux nous comporter le temps de notre séjour sur terre ?
J’ai perdu il y a beaucoup d’années mon grand père des suites d’une prostate, il a séjourné à l’hôpital pendant très longtemps et sa mort raisonnait plus comme une évidence qu’autre chose, j’étais adolescente, j’ai eu mal, j’ai pleuré évidemment mais sans plus.
Aussi loin que je me souvienne je n’ai jamais perdu un proche, je vous explique : je n’ai jamais perdu quelqu’un que je côtoyais de manière régulière, peu importe un collègue ou une amie et je me suis toujours estimée très chanceuse pour ça.
La mort m’effraie, sa perspective m’angoisse par ce que je n’ai aucune réponse la concernant, je ne sais pas ce que c’est, je sais juste que les organes lâchent, le cœur arrête de battre, on ne respire plus et …………. Voilà tout ce que je sais de la mort, en tout cas quand je l’envisage.
Il y a quelques mois, nous avons organisé avec des amis un petit trip dans la forêt du Mayombe , dans une cascade pour être précise. Nous y sommes allés pour un weekend, j’avais prévu parler de cette virée dans d’autres circonstances, pas pour vous relater la mort d’un ami. Bref continuons, donc je disais que nous y sommes allés pour un weekend et c’est comme ça que j’ai connu Berger, avant ce jour je l’ai vu près de 5 fois dans l’entreprise dans laquelle je faisais mon stage en arrivant à pointe noire, sans plus je ne le connaissais que de ses cheveux, tout le monde vous le dira, il avait des cheveux, beaucoup !
Bref, lors de notre séjour à kimbakala nous avons décidé de visiter une autre cascade pas très loin de là où nous étions, seulement le parcours s’est avéré très dangereux et trop risqué pour les peureux que nous étions, nous avons donc rebroussé chemin dès que les choses ont commencé à se corser à l’exception de ……. Berger bien sûr et d’un ami que j’avais invité. Ils étaient les wakandais de la bande, ils y sont allés avec les deux guides, se sont baignés dans une magnifique cascade pendant presqu’une heure pendant que nous nous faisions un sang d’encre pour eux ne sachant pas ce qui leur était arrivé. Voilà le souvenir le plus fou que j’ai de Berger, un aventurier dans l’âme qui avait un sourire ayant le chic d’illuminer le visage des autres. Après ce trip, nous nous sommes revus quelques fois au centre social où nous faisons le sport, un sourire, un salut et on s’oubliait le temps d’une période. Tout le temps que j’évoquais les souvenirs de kimbakala, le visage de Berger revenait comme par magie comme s’il était le socle de cette aventure, il l’était pour moi, sa soif de découverte en tout cas, il était allé à la source de la cascade pendant que nous hésitions à mettre un pied devant l’autre, au lac vert il s’est précipité à atteindre des hauteurs effrayantes par je ne sais quels moyens.
Il y a deux semaines, je scrollais mon mur quand je suis tombée sur une photo rendant hommage à Berger, j’ai ri, j’ai eu peur et j’ai cru voir une de ces stupides blagues: désillusion totale quand je vais sur son mur trouver des hommages lui étant dédiés. Je laisse 2 3 messages à des amis communs et ce que j’apprends me plonge dans une mélancolie qui m’empêchera de fermer l’œil toute cette nuit là : il est mort noyé, lors d’une expédition pas très loin du genre qu’on a organisé il y a des mois et qui a favorisé notre rencontre. Je vous épargne les détails. Je crois que sur l’instant je n’ai pas réalisé ce qui se passait, peut être à cause des conditions, je me suis vu dans le Mayombe, je nous ai vu dans cette cascade et j’ai eu peur, il aurait pu perdre sa vie dans les eaux claires dans lesquelles nous nous sommes aventurés tantôt.
La mort de mon grand père raisonnait plus comme une évidence je l’ai dit, j’aurai compris qu’il soit fauché par un véhicule ou mort lors d’un crash, la noyade me parait si absurde, si bizarre si invraisemblable, je l’ai connu dans l’eau, j’ai vu son rire éclatant derrière un visage ruisselant d’eau de source, savoir que cette même eau l’a emporté m’a mise hors de moi. Benja a fait la conversation avec mois pendant des heures le soir même, on s’est offusquées, on a blâmé, on a émis des hypothèses mais on a été incapable d’affronter la réalité, la mort d’un ami. Je me suis rendue 3 fois à la veillée, la dernière était particulièrement douloureuse, ici au Congo les veillées sont toute une culture, on célèbre le mort, on l’honore une fois l’âme rendue. On loue des groupes électrogènes, des baffles, des tentes, on met du satin luisant un peu partout, on imprime en grand sa photo et on l’attache, c’est comme ça, pas autrement, je vous épargne d’autres détails, le genre de détails qui confirment comme la mort de l’être.
La vérité est que la mort de Berger m’a affectée plus qu’elle ne le devrait en réalité et j’en suis étonnée à ce jour, est ce la proximité de l’âge ? Les circonstances de sa mort qui sont quasiment les mêmes que celles de notre rencontre ? Je n’en sais trop rien, je ne peux en vouloir à personne, je ne peux blâmer personne. Ce soir quand j’ai réalisé la mort de Berger j’ai pensé à l’homme, à cette petite discussion charmante dans la petite bassine de la cascade où il m’expliquait comment les roches se déplacent dans le temps, comment les volcans se forment etc….
A la question qu’as-tu fais comme études, il me répondait par-dessus son visage couvert d’eau de source : géologie (je crois, mes souvenirs sont flous), j’ai encore été plus attirée par cet ami, un genre d’amour sain pour une personne qui frisait l’innocence à 26 ans.
De berger je ne garde pas seulement une âme belle (je n’ai d’ailleurs pas la prétention de la connaitre), par contre de lui je garde le goût aigre des safous achetés, le gout amer de ces bières sirotées à kimbakala après une bonne baignade dans une eau bordée de pierres glissantes, de lui je garde cet homme qui a fait griller nos ailes de poulet pendant qu’on se la coulait douce au milieu de cette géante forêt, un sourire éclatant.
Ce sourire …………
Je vais terminer par le sourire de Berger et ce n’est pas anodin, l’on dit souvent des gens, être fait par leur sourire, Berger incarnait vraiment cette maxime, il ouvrait grand sa bouche et souriait tout simplement, un sourire vrai et honnête, beau et innocent, abstrait et parlant, l’homme était calme, son sourire le faisait, littéralement.
La mort des êtres aimés, proches ou belles est la seule chose qui remplit de manière impressionnante le fossé entre nous et la mort.
Je ne suis pas restée vide l’ami, j’ai des souvenirs qui m’inonde, le seul problème maintenant est d’y faire face.
A toi Berger, pour toi l’ami !