La direction de SWIFT[1] n’a pas résisté longtemps à la pression des États-Unis et a décidé de déconnecter de son système la Banque centrale d’Iran et d’autres organismes financiers visés par les sanctions américaines. Selon Anatoly Aksakov, président du comité parlementaire russe sur les marchés financiers, des perspectives de rapprochements sont maintenant en discussion avec la Chine, l’Iran et la Turquie, ainsi que plusieurs autres pays, pour l’interconnexion des systèmes. Sachant que la Chine a son propre système interne et d’autres pays construisent aussi le leur. Si les États-Unis ont utilisé SWIFT comme « arme » dans leur politique étrangère, force est de constater que SWIFT n’est finalement qu’un code et un système de messagerie crypté. En réaction à la pression américaine, La Russie et la Chine écrit leur propre code.
Ainsi, le SPFS de la Russie[2] gagne des clients et semble galvaniser des intentions d’indépendance en Iran (10.2018), en Chine(09.2018) ,en Turquie (10.2019), en Inde(10.2019), et même au Vietnam(10.2019) tout dernièrement ainsi qu’ auprès d’autres proches partenaires commerciaux encore non effectifs. Principalement en remettant en perspective ceci au regard de ce que représentent les pays partenaires au sein d’organisations telles que le Forum Economique d’Astana réunissant les principaux pays d’Eurasie et leurs partenaires respectifs donc étendu. Ceux d’Asie avec l’APEC (Asie-Pacific Economic Cooperation) avec le Forum de Vladivostok, ou encore les regions ACP (African Carabean and Pacific) et plus récemment les partenaires du continent africain réunis dernièrement à Sochi.
Ironie de la « déSWIFTisation »
Les nouvelles sanctions américaines de 2018 contre la Russie ont fait réapparaître le risque d’une escalade pouvant potentiellement aboutir, en cas de tension maximale, à une déconnexion totale de l’ensemble des banques de Russie des systèmes internationaux de cartes Visa et Masterard. A titre de réponse, dès l’été 2014 les autorités russes ont lancé le projet du Système National des Cartes de Paiements appelle NSPK (Nationalnaya Systema Platyojnikh Kart) grâce auquel une carte bancaire nationale portant le nom de MIR. Point important : le plastique de la carte, la puce, tout comme le protocole de cryptage de la puce sont à 100% de fabrication russe. Un système national des cartes permet de pallier à une potentielle déconnexion des systèmes internationaux de Cartes Visa et Mastercard en assurant ainsi la continuité de toutes les opérations cartes sur le sol de la Fédération de Russie, Crimée inclue.
Non seulement la carte MIR est reliée au système informatique du NSPK, mais les opérateurs Visa et Mastercard ont accepté eux aussi d’y rattacher leurs cartes émises par l’ensemble des banques situées en Fédération de Russie. Or, ça n’était pas garanti dès le départ… Et l’Etat russe a dû les informer d’une énorme caution à payer en cas de refus de connexion au NSPK. Ne restait alors que l’option de se connecter… Ou bien de quitter la Fédération de Russie ! Ce que Visa et Mastercard n’ont pas fait. Autrement dit, en cas de déconnexion totale des banques russes des systèmes informatiques Visa et Mastercard, les cartes Visa et Mastercard distribuées par les banques situées en Fédération de Russie continueront à fonctionner normalement sur le sol de la Fédération de Russie. Mieux encore : les filiales russes des sociétés Visa et Mastercard paient désormais des droits au système NSPK pour bénéficier du fonctionnement opérationnel de leurs cartes émises en Russie.
Toutefois, MIR avait comme désavantage de ne pas être utilisable alors à l’étranger, ni sur un site internet relié à une banque située en dehors de Russie. C’est la limite du système qui est conforme à son principe de départ d’être une carte nationale au même titre que China Union Pay, le système national des cartes de paiement Chinois. Mais le développement à l’international de la carte est lancé à l’instar de China Union Pay, puisque le NSPK commence à produire des cartes dites de « co-branding » ou « co-badgées » avec des opérateurs étrangers comme Japan Credit Bureau à la suite de l’accord signé en Juillet 2015, ou encore avec « Union Pay » signé en Septembre 2016.
Ces cartes cobadgées permettent un fonctionnement des cartes MIR à l’étranger dans les principaux lieux touristiques et les grandes villes, sur le modèle d’Union Pay utilisable lui aussi par les touristes Chinois à l’étranger. Il existe plusieurs pays dans le monde disposant aussi de leur propre système national des cartes de paiement, « China Union Pay » étant le plus connu d’entre tous, mais aussi le Japon qui utilise en interne le système appelé JCB, ou encore l’Inde avec son système national de cartes NPCI, (National Payments Corporation of India ), créé en 2008. Aujourd’hui au sein des BRICS[3] il n’est pas prévu d’en faire un système commun, mais plutôt de signer des accords de « co-branding » entre les différents systèmes nationaux de cartes pour développer une utilisation réciproque. Les pays envisagent de connecter les plateformes à l’aide d’un système de passerelles en transcodant les messages du format initial en format final.
Un autre axe de développement est l’internationalisation de MIR via des systèmes de paiements électronique à l’image de l’accord récemment signé entre le NSPK et Samsung qui va permettre l’utilisation de la carte MIR au sein du système de paiement électronique Samsung Pay. C’est également le cas avec AliPay et WeChatPay (qui effectuent des transactions sans frais) pour lesquels il ne serait pas étonnant que des mesures de rétorsions leur soient appliques visant à garantir la suprématie US comme ces derniers s’en étaient chargés il y a plusieurs mois envers Huawei dans l’impitoyable guerre commerciale sino-américaine.
La MIR-isation
Cette consolidation des relations[4] entre Moscou et Pékin, enrichie par e dialogue noué avec d’autres acteurs sulfureux pour Washington, signifie un nouveau monde à la fois multipolaire alimenté par du commerce bilatéral, mais par différents centres névralgiques monétaires « Les États-Unis manipulent leur monnaie, le dollar, et l’utilise comme un outil pour exercer des pressions lorsqu’ils veulent punir quelqu’un », a déclaré le Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov.
Le plan budgétaire russe 2020 permet aux prêts étrangers de s’élever à 3 trillions de dollars, le gouvernement cherchant des obligations dans des devises différentes du dollar. Alors que les « obligations Panda » seraient déjà en gestation, l’espoir n’en est pas moins tombé sur les vastes réserves d’or de la Russie, qui devraient amortir la volatilité potentielle des prix du pétrole. Répondant aux questions des journalistes en marge d’une réunion du FMI et de la Banque mondiale, le Ministre russe des Finances, Anton Siluanov a souligné qu’en raison de l’impact des sanctions américaines sur le marché de la dette souveraine du pays, Moscou a créé l’infrastructure pour utiliser le yuan et l’euro pour les prêts alors que la Russie est déjà le premier pays acheteur d’or physique.
La dédollarisation en marche
Après les invectives lancées par Donald Trump contre le Pakistan à propos du non-respect de ses engagements concernant la lutte contre le terrorisme, la banque centrale du Pakistan annonçait qu’elle n’utiliserait désormais plus le dollar américain pour ses transactions internationales, mais se tournerait vers le yuan chinois. Quatre mois plus tard, en réponse aux injonctions de l’administration étasunienne concernant le nucléaire iranien, l’Union Européenne semblait amorcer un changement de comportement en annonçant qu’elle allait utiliser sa propre devise, afin de continuer à commercer avec l’Iran pour ce qui est du pétrole. Mais cette initiative européenne d’émancipation n’a pas duré bien longtemps…
De leur côté, Moscou et Pékin ont annoncé un plan pour utiliser leurs propres monnaies nationales dans le commerce bilatéral. A titre de comparaison, depuis l’investiture de Trump, le billet vert[5] a été utilisé dans près de 90% des transactions internationales. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé à environ deux tiers, selon Shabbir Razvi, le directeur d’International Finance Solutions Associates. Comme L’économiste Peter Schiff l’a récemment déclaré : je pense que le monde est en train d’essayer de dédollariser.”
La guerre des devises
Selon Kay Van Petersen, macro-stratège mondial chez Saxo Capital Markets, basé à Singapour, « La conséquence inattendue de la lutte des États-Unis sur plusieurs fronts est que le monde a besoin d’une alternative au dollar américain pour le commerce et les transferts. Au contraire, la guerre commerciale va conduire à redoubler d’efforts sur le déploiement structurel du yuan pour faire écho à ce thème de l’internationalisation. » En 2014, La Chine a relié le marché boursier de Hong Kong à la Bourse de Shanghai, et en 2016, a commencé à permettre aux étrangers d’investir dans les marchés financiers de la Chine continentale. Les autorités chinoises ont également lancé des contrats « or » libellés en yuan sur les Bourses de Hong Kong et de Dubaï, ainsi que de nouveaux contrats pétroliers à terme « petro-yuan » sur la bourse internationale de l’énergie de Shanghai des mars 2008.
Saïd Hayden Briscoe, chef de la division Asie-Pacifique du revenu fixe chez UBS Asset Management : « Nous pensons maintenant que ces pays, producteurs de pétrole, qui vendent du pétrole dans ces contrats et sont payés en yuans, commencent à recycler leurs profits dans les obligations du gouvernement chinois, et cela va continuer pendant des décennies ». Pékin et Moscou prennent en compte e fait que l’Amérique a utilisé le dollar pour contrôler le monde, en mettant en place un nouveau type de « Gold standard 2.0 ». Ils veulent se distancer de ce contrôle. En outre, il est bon de noter que la grande majorité des gens en Asie considère l’or comme supérieur à la richesse de papier (crédit) accumulé par le monde occidental.
La Chine met en place une alternative à l’établissement post- Bretton Woods :
- Avec l’annonce du prix du pétrole en yuan.
- En utilisant un contrat à terme adossé à l’or à Shanghai.
- Par la création de la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures (BAII) ainsi que la nouvelle banque de développement,
De l’or au Sukuk
Pour permettre aux pays africains de régler leurs contrats de constructions de nouvelles infrastructures, qui représentent chaque année 54 milliards de dollars (51 milliards d’euros, en 2016), il faut sans cesse trouver de nouveaux modes de financement. Les institutions internationales couvrent les deux tiers des projets (Banque mondiale, FMI, Banque africaine de développement, etc.), mais d’autres formes se développent, notamment à l’initiative de la Chine.
Un véhicule d’investissement a depuis le vent en poupe : la finance islamique. Mi-novembre 2016, le Sichuan Development Financial Leasing & Co a annoncé qu’il allait vendre 300 millions de dollars de « Sukuk » via « Silk Routes Capital ». Un fonds créé sur mesure à Singapour, piloté par des Chinois et une équipe de financiers internationaux. Le terme « Sukuk » désigne dans le droit musulman un certificat d’investissement conforme à la « Charia » et donc des produits financiers et des transactions qui respectent les principes d’interdiction de l’usure et de la spéculation. Au total, ce fonds devrait à terme proposer un milliard de dollars de ces obligations islamiques et servira de véhicule financier pour la Chine dans les pays musulmans où le « Sukuk » est privilégié. C’est le cas notamment au Moyen-Orient et en Afrique. Une première pour la Chine dans ce domaine.
« La Chine, via Hongkong et Singapour, cherche à se positionner comme une place financière de premier choix pour la finance islamique et à capitaliser ainsi sur la croissance des liens commerciaux entre la Chine, le Moyen-Orient et le continent africain. Les Etats asiatiques et africains veulent attirer les investisseurs musulmans extérieurs qui avaient plutôt tendance jusqu’à présent à investir en Europe ou aux Etats-Unis », nous explique le consultant Philippe Djemis, spécialiste de la Chine-Afrique. Ce nouveau projet chinois s’inscrit dans le dessein plus vaste de cette nouvelle route de la soie (BRI) qui traverse l’Asie du Sud, l’Eurasie et descend vers le continent africain. Les fonds chinois autorisés à investir à l’étranger ont le vent en poupe depuis la naissance de ce projet pharaonique et les sommes investies ont plus que quadruplé entre janvier et fin septembre 2016 pour atteindre 2,6 milliards de dollars.
Les sommes investies dans les fonds respectant la loi islamique ont augmenté de 28 % cette année entre janvier et novembre et la Chine s’y intéresse de plus en plus. Selon les projections du cabinet Ernst & Young, les émissions de Sukuk pourraient tripler d’ici à 2017, pour atteindre 720 milliards de dollars. Au total, le marché de la finance islamique pèse 2 100 milliards de dollars, selon la dernière note publiée par l’agence de notation américaine Standard & Poor’s.
Le Fonds de développement Chine-Afrique (CADFund) et la Banque islamique de développement (IDB) ont signé cette année à Pékin un premier accord qui permettra à la Chine d’investir plus massivement dans ce domaine. Les banques chinoises, telles ICBC et Bank of China, sont déjà en embuscade, mais le principal vecteur d’investissement sera la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB). Cette structure, initiée par la Chine, suscite une vive méfiance des Etats-Unis. La BAII, dont les statuts fondateurs ont été signés en juin 2015, vise à financer des projets d’infrastructures dont les investissements font cruellement défaut. Sur ses 57 membres fondateurs, une vingtaine sont des pays occidentaux, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, et on compte pour l’instant deux pays africains, l’Egypte et l’Afrique du Sud. L’Arabie saoudite et l’AIIB sont actuellement en train de négocier la mise en place de financements islamiques.
La Chine n’est pas le seul pays asiatique à jeter son dévolu sur les obligations islamiques. La Malaisie et l’Indonésie, en tant que pays musulmans, sont déjà en pointe dans ce secteur. Mais il faut aussi compter sur le Japon, dont la filiale dans le Golfe de la banque Tokyo Mitsubishi propose déjà des services financiers respectant la charia. « Avec 23 millions de musulmans en Chine et une place prépondérante de l’Afrique dans sa diplomatie et son commerce extérieur, Pékin a donc les atouts pour devenir un acteur de premier choix dans la finance islamique », souligne le professeur Yi Ren Thang, de l’université Stellenbosch en Afrique du Sud.
La Blockchain comme panacée dans la recherche de souveraineté
Le discours de Xi Jinping lors d’une allocution prononcée le 31 octobre 2019 devant des membres du Politburo promouvant la blockchain, s’inscrit dans la stratégie de cyber-souveraineté, avec pour ambition de placer les nouvelles technologies au service du pouvoir : des contre-mesures aux habitudes étasuniennes en somme. Et c’est sans doute là où le bât blesse, être uses de ses propres armes via ses propres procédés. Un complément technologique de bonne augure afin de renforcer la transition financière initiée.
A l’image du Libra de Facebook, Pékin prépare sa crypto-monnaie. Cette technologie permet le stockage et l’échange sécurisés de valeurs (monnaie, actif, données…) sans besoin d’un tiers de confiance. Ce discours a déclenché un rebond des valeurs boursières liées à cette technologie. Le dirigeant a appelé la seconde économie mondiale à « accélérer ses efforts et investissements » pour « saisir les opportunités » de ce nouveau secteur, selon l’agence officielle Xinhua.
Ainsi, les réponses multimodales mises en place de façon à s’affranchir de la toute-puissance étatsunienne au travers de processus alternatifs galvanisant des intentions vers d’autres tropismes, n’ont de pertinence que si elles s’articulent de façon globales et conjointes. Cette forme multidimensionnelle de contre-attaque se rattache à une stratégie d’ampleur globale qui ne saurait être viable sans ces multiples composants savamment orchestrés :
- La parallelisation des actions de dédollarisation.
- La diversification des supports ou adossement à des valeurs propres.
- La décorrélation des emprunts jusqu’ à la migration vers d’autres champs novateurs tels que la Blockchain ou leurs combinaisons…
Cela nous laisse à penser, que la finance – ou la guerre économique totale – a encore de beaux jours devant elle. Aussi devient-il important de nous questionner du positionnement européen et particulièrement de la France face à ses propres intentions dans ces virages fondamentaux.
Alexandre Schmitt
[1] Le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique scrute les paiements effectués en dollar américains (USD) à travers le système interbancaire SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). SWIFT est un système international qui fournit des services de messagerie standardisée et de transfert interbancaire ainsi que des interfaces à plus de 10.800 institutions dans près de 200 pays. En 2018, le montant des commissions SWIFT s’élevait à 200 milliards de dollars.
[2] Au cours de la crise du rouble de 2014/15, la Russie a annoncé à la suite des sanctions américaines et européennes conséquentes au dossier ukrainien, qu’elle commencerait à mettre en place un système de transfert financier électronique interne alternatif. La Russie de calmer les ardeurs des Etats-Unis d’Amérique en laissant planer des mesures de rétorsions potentilles dans le domaine spatial pour temporiser jusqu’ à ce que le système alternatif soit opérationnel.
Ce système russe de transfert de messages financiers SPFS (Система передачи финансовых сообщений), fonctionne désormais non seulement en Russie, mais aussi couvre toute la région CEI (Communauté des Etats Indépendants) et gère ainsi les données de transfert financier de la majorité des institutions russes.
[3] Les pays BRICS représentent 40% de la population mondiale. Ce sont des zones économiques en plus forte croissance démographique, et elles représentent environ 23 pour cent du produit intérieur mondial.
[4] Cette nouvelle alliance sino-russe s’affirme aussi symboliquement lors des Russian Army Games, équivalent des jeux olympiques, dans leur version martiale, ou plus sérieusement à travers la multiplication et multiplicité des exercices militaires conjoints interarmées.
[5] Lorsque l’administration Nixon a découplé le dollar américain de l’étalon-or, les États-Unis ont négocié un accord avec l’Arabie Saoudite pour acheter du pétrole. Ils ont offert au Royaume une aide militaire et de l’équipement en échange d’un accord pour que ce pays investisse une partie de ses revenus tirés du pétrodollar dans les bons du Trésor américains. L’Arabie Saoudite détenait 164,9 milliards de dollars américains de dette du gouvernement américain à la fin de juin de cette année-là.
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