C’était la première fois que je me tenais si calmement posté, dans l’espérance d’une rencontre. Je ne me reconnaissais pas ! Jusqu’alors, j’avais couru de la Yakoutie à la Seine-et-Oise, obéissant à trois principes :L’imprévu ne venant jamais à soi, il faut le traquer partout.Le mouvement féconde l’inspiration.L’ennui court moins vite qu’un homme pressé.Et le voici à découvrir les vertus de l’attente, de la patience, de ne pas savoir si le but du voyage – observer la panthère des neiges – sera atteint. Il n’en est pas prêt pour autant, comme le fut Peter Matthiessen, auteur d’un livre qui porte presque le même titre, Le léopard des neiges, à se satisfaire d’un échec : « Au cours de son séjour au Népal en 1973, Peter Matthiessen n’avait jamais vu la panthère. À qui lui demandait s’il l’avait rencontrée, il répondait : « Non ! N’est-ce pas merveilleux ? » Eh bien non my dear Peter ! ce n’était pas « merveilleux ». Je ne comprenais point qu’on pût se féliciter des déconvenues. C’était une pirouette de l’esprit. Je voulais voir la panthère, j’étais venu pour elle. » Sylvain Tesson, au cœur de la nature, se sent observé par elle, tenu à l’œil – et pas seulement par une panthère. « Les bêtes sont des gardiens de square, l’homme y joue au cerceau en se croyant le roi. C’était une découverte. Elle n’était pas désagréable. Je savais désormais que je n’étais pas seul. » La nature de cette nature, si j’ose dire, est d’être là même quand le regard inexpérimenté n’y discerne rien, ou pas grand-chose. Et, dans l’affût qui devrait être non seulement le « mode opératoire » du chasseur (pas celui qui tue, à qui s’en prend plusieurs fois l’auteur, plutôt celui qui regarde pour ne capturer que des images) mais aussi « un style de vie ». Tout étant dans le Tao (et réciproquement, dirait un écho après lequel on se demanderait si cela a été mal entendu ou, au contraire, bien compris), il suffit d’ouvrir le livre que Sylvain Tesson a emporté. « Agit sans rien attendre. Je me demandais : « attendre, n’est-ce pas déjà agir ? » L’affût n’était-il pas une forme d’action puisqu’il laissait libre voie aux pensées et à l’espoir ? Dans ce cas, la Voie du Tao aurait recommandé de ne rien attendre de l’attente, pensée qui m’aidait à accepter de demeurer là, assis dans la poussière. » Rien d’un roman, donc, mais un beau livre, qui vaut le détour par les grottes gelées d’où l’on observera le monde autrement.