Les éditions La Coopérative publient Journal de Belfort de Béatrice Douvre.
J’ai des sentiers de vent sur le visage, des rougeurs lorsque j’adore, me pénètrent des gestes d’ignorance et de bonté. Quelquefois j’agonise d’espérance, je guette la peur des membres froids. Folie de la détresse, extrémité du rire, je suis masquée. J’ignore mes combes malheureuses, mes entrailles fleuries. Un monde me détient comme la griffe à la proie facile, agneau innocent sur la paille sanglante. Quelqu’un porte mes pas car je n’ai pas de preuve, le sable est insouillé quand la mer se retire. L’oiseau permet le vent de sa fugue rapide. J’entends des orchestres rêver, des symphonies se taire, des voix sombrer. J’ai l’âge transparent d’achever mon néant. La jeune fille redevient. Je n’ai pas d’avenir, les rues pâles où les bruits roulent comme des cerceaux de vent sonore. J’ai le mystère du mal-aimé, le sexe fauché par la pudeur. Je porte en moi l’éclair noir d’exister au fond de la folie des ventres humectés. Son jet me rassure comme une mort apprise.
Je me souviens d’une bouche réelle et je pleure dans la ville, la parole arrêtée à deux pierres de la source.
*
Muraille du rien fondateur. Lèvres belles aux gamelles
abreuvées. Je dormirai sur des paillasses molles, lentement
alanguie, doucement préférée. Là, les jardins seront clos,
les chandelles immenses de clarté.
J’augmente et je vois ma pierre se taire, les prairies
s’émailler de scories vertes et noires, les étangs s’étendre
de saphirs.
Je regarde un petit drôle danser sur les galets, avant
de dormir.
Agonise propre de porphyre.
Nuit des extrémités extrêmes, des pôles.
Un géant noir bleu m’octroie l’aumône, je lui rends
des pierreries de neige.
Ta peau sculptée dans la roche nuageuse, ton front calciné,
tes yeux de pauvre.
Michel, aux instants de cuivre lent et de tombeau, tu
es l’enfant qui parle aux nuits dans des milliers de larmes.
L’eau trouble des frontons et les palais de feuilles.
La vasque des fruits clairs, puits de semence heureuse.
Ta soif. Ton reflet et tes deux paumes pures. La porte
descellée mène aux lampes des corps inconnus, sans regards,
une main dans la main de personne.
Achever sur une science incrédule, le ciel écartelé,
l’étoile des murmures, veinée de moire en moire.
Elle file au bord, de moire en moire.
*
Attente parmi les palmes
Emplies de baisers roux
Dont la splendeur étonne
Béatrice Douvre, Journal de Belfort, la Coopérative, 2019, 184 p., 20€
Présentation du livre sur le site de l’éditeur : « Dès la parution de son Œuvre poétique en 2000, Béatrice Douvre (22 avril 1967 – 19 juillet 1994), qui n’aura publié de son vivant que quelques dizaines de textes dans des revues, a été reconnue comme l’une des personnalités marquantes de sa génération. Ses poèmes sont hantés par le mal dont elle souffrait, l’anorexie, contre lequel elle ne cessa de lutter jusqu’à sa mort, à vingt-sept ans. »
Textes choisis par Isabelle Baladine Howald