Plus prudent que Lucie Cauwe, j’ai attendu les dernières sélections pour établir mes
pronostics et lancer des affirmations sans preuves, nuancées de quelques doutes
qui m’offriront opportunément des positions de repli…
Le Grand Prix du
roman de l’Académie française sera attribué ce jeudi, dans l’après-midi. Ce
qui aurait offert aux journalistes littéraires travaillant pour des journaux ne
paraissant pas le 1er novembre tout le temps nécessaire à la
réflexion si, l’époque ayant changé, il ne fallait maintenant réagir au quart
de tour pour la version en ligne des mêmes journaux.
Donc, je me précipiterai, comme d’autres, pour saluer
l’audace de l’Académie française qui aura couronné Jour de courage, de Brigitte Giraud (Flammarion), le seul roman de
la sélection qui assume à la fois son sujet et sa forme, sans être aussi
bouleversant qu’il le voudrait. Mais, l’audace n’étant pas la caractéristique
la plus répandue à l’Académie française, celle-ci risque d’en afficher une
fausse avec L’île du dernier homme (Albin
Michel), de Bruno de Cessole. Cela parle de terrorisme, c’est dans l’air du
temps, mais ce n’est qu’à moitié réussi. Quant à Civizations (Grasset), de Laurent Binet, comme il est plus qu’à
moitié raté, je ne m’y attarderai pas.
Après ce premier acte, à moins qu’il s’agisse d’un prologue,
la journée de lundi va retenir l’attention des éditeurs, des imprimeurs, des
commentateurs et même de quelques écrivains et écrivaines – celles et ceux dont
les noms se trouvent encore sur les listes du Goncourt et du Renaudot.
Le Goncourt devrait aller, mais n’ira pas, à Jean-Paul
Dubois dont j’ai adoré le roman, Tous les
hommes n’habitent pas le monde de la même façon (L’Olivier). Car Amélie
Nothomb, j’ai déjà expliqué pourquoi, sera la lauréate, cent ans après Marcel Proust,
pour Soif (Albin Michel). Jean-Luc
Coatalem (La part du fils, Stock) et
Olivier Rolin (Extérieur monde,
Gallimard) n’ont aucune chance, sauf si, cela s’est déjà vu, aucun des deux
livres favoris ne parvenant à la majorité, des votes se reportaient sur l’un
des deux autres. Hypothèse peu vraisemblable néanmoins.
Au Renaudot, je vais faire un choix de copinage, car je
serais « trop » content si Abdourahman A. Waberi recevait le
prix avec son élégant Pourquoi tu danses
quand tu marches ? (Lattès), mais l’affection que j’ai pour lui ne
m’empêche pas de mesurer la faiblesse de sa position stratégique par rapport
aux quatre autres ouvrages. Parmi lesquels, d’ailleurs, je suis bien en peine
de distinguer un véritable premier choix tel que l’entendrait le jury.
Peut-être le roman de Jean-Luc Coatalem, La
part du fils (Stock), bénéficie-t-il d’un léger avantage. Quoique, si l’on
procède par élimination, il devrait s’imposer. Comme Waberi, Jean-Noël Orengo
n’a pas écrit son meilleur livre avec Les
jungles rouges (Grasset). La Maison
(Flammarion), d’Emma Becker, est un ouvrage assez déplaisant par certains
aspects. Et Le bal des folles (Albin
Michel), le premier roman de Victoria Mas, n’est pas tout à fait aussi réussi
qu’on le clame un peu partout.
Mardi, le Femina
entre en piste. Si les seules vertus littéraires étaient prises en compte, il y
aurait un lauréat évident, Alexis Ragougneau avec Opus 77 (Viviane Hamy) – je dois néanmoins préciser que je
n’ai pas lu le roman de Luc Lang, La
tentation (Stock). Tous des autres ont davantage de qualités que de défauts
– cette sélection est une des plus belles de la saison – et il ne dépend donc
que de la personnalité des lectrices du jury de parvenir à imposer un autre
nom. La sensibilité de Dominique Barbéris (Un
dimanche à Ville-d’Avray, Arléa), la puissance évocatrice de Michaël
Ferrier (Scrabble, Mercure de France,
qui mériterait bien un spécial copinage aussi), le charme fou de Sylvain
Prudhomme (Par les routes,
L’Arbalète-Gallimard) ou la violence de Monica Sabolo (Eden, Gallimard) ont des arguments.
Comme je n’ai pas lu assez des titres sélectionnés pour le
Prix Décembre (jeudi), je passe mon
tour. Mais je ne serais pas triste si Sofia Aouine l’obtenait avec Rhapsodie des oubliés (La Martinière),
un beau roman habité par une langue rebelle.
Vendredi, le(s) Médicis
ne m’ont pas facilité la tâche en zappant l’étape (pourtant tacitement
contractuelle, si j’ose dire) de la dernière sélection. Malgré l’abondance de
biens, je décide que Santiago H. Amigorena recevra le prix du roman
français pour Le ghetto intérieur
(P.O.L.).
Et les essais, et les romans étrangers, me direz-vous ?
Il me manque trop de lectures, surtout côté essais, mais je veux bien me
mouiller côté étranger. Dommage que je n’ai pas d’espions dans la place, car
ils sont très probablement déjà attribués…
Le Femina pour Girl (traduit par Aude de Saint-Loup et
Pierre-Emmanuel Dauzat, Sabine Wespieser), d’Edna O’Brien et le Médicis à Ordesa (traduit par Isabelle Gugnon, Sous-Sol), ça vous va ?
Si les résultats ne sont
pas conformes aux prévisions ou ne rejoignent pas vos goûts, les réclamations
sont à faire auprès des jurys eux-mêmes. Non, pas ici, car je n’y suis pour
rien.