On continue à investir la vie de Cédric Le Penven, recueil après recueil comme des strates viscérales et des sédiments d’émotions. Cette fois, ce sont les arbres fruitiers qui sont au centre du recueil : pruniers, cerisiers, figuiers, abricotiers, pommiers, poiriers… Le verger comme un personnage à part entière. Deux pans dans les activités du poète : d’abord celui de cueilleur au service du cousin, de l’ouvrier agricole, parmi d’autres, dans une sorte de collectivité apparente, où chacun s’isole chez son arbre et au cœur de ses fruits à cueillir durant les mois d’été, et ensuite, le restant de l’année, celui de l’arboriculteur amateur possédant son propre verger et s’y rendant matin et soir, à la fois greffeur, guérisseur et ami, en dehors du travail de professeur. La prose de Cédric Le Penven est particulièrement poétique, puisqu’il décrit par le menu tous les gestes techniques qu’il fait, certes, mais il ne se contente pas de cet aspect guide ou recette qui serait froid, voire ennuyeux, il y apporte toute sa sensibilité et sa sensualité qui confèrent à sa description sentiments, impressions, réflexions et vie. Il sait imager son ouvrage et souvent achever sa page sur un vers définitif comme un aphorisme.
L’atrabilaire s’exprime au-dessus d’un évier propre
En un mot, c’est le style, cette façon bien à lui de raconter ses tâches et ses jours, qui rendent enrichissant et passionnant le nouveau recueil de celui qui avoue :
tu vois bien que ce verger ne donne pas de fruits
mais alimente les gestes de celui qui esquive sa propre conscience
Cédric Le Penven, Verger, éditions Unes, 2019, 80 p., 16€
Jacques Morin
Extrait :
« j'attends depuis dix jours que les greffes prennent
ces élastiques, ce mastic, ces greffons préparés avec soin
me semblent un bricolage ridicule ce matin
Prométhée et Sisyphe ont été punis pour moins que ça
je mérite cette étrangeté qui me poursuit depuis plusieurs
mois. Je vais dans des librairies, des classes, j'explique
que mon dernier livre m'a réconcilié avec moi-même
et les inflexions de cette voix arborant sa quiétude ne
me ressemblent pas »
(page 57)