Daniel Fano, au revoir et merci

Par Pmalgachie @pmalgachie

Photo Les Carnets du Dessert de Lune

On croit que les amis ne vieillissent plus quand ils sont loin et qu'ils ne donnent de leurs nouvelles que par des livres. Ce n'est pas ainsi que fonctionne la vie, malheureusement, et la mort de Daniel Fano, lutin magnifique, vient de me le rappeler. Daniel était né en 1947, il s'intéressait à tout - ses articles consacrés à la littérature de jeunesse ont été des modèles du genre - et travaillait, dans ses fictions traversées de ce tout, manière hachis Parmentier goûteux, à faire naître des rires parfois tragiques. En souvenir ému, quelques moments de lecture...
Le privilège du fou (2005, Les Carnets du Dessert de Lune) Daniel Fano passe tout à la moulinette de collages audacieux d’où sourd la violence du monde. Les souvenirs jaillissent à la figure, images passées ou récentes, dialogues, musiques. Toutes les guerres sont là, celles qui ont été montrées en direct et celles que les films ont inventées. La pornographie naît moins des sexes exhibés que d’une horreur quotidienne avec laquelle, pourtant, il faut vivre. Alors, écrire serait une des rares armes utiles. Que l’auteur manie sur un rythme enlevé. C’est bien notre univers, il est reconnaissable. Mais il est aussi revisité par un œil lucide et amusé par ses propres peurs.
Sur les ruines de l’Europe (2006, Les Carnets du Dessert de Lune) Les collages étourdissants de Daniel Fano nous entraînent une fois de plus dans un tourbillon d’images. Images du monde contemporain, reflets d’une actualité plus ou moins récente. Images de cinéma, puisées à une vaste culture. Images littéraires, images inventées, le tout mixé à la manière d’un cocktail frappé. Le rythme est soutenu, les surprises explosent à chaque paragraphe. Ce condensé de réel monte à la tête dans une agréable ivresse. A consommer sans modération.
Ne vous inquiétez plus c’est la guerre (2015, Les Carnets du Dessert de Lune) Daniel Fano a construit un de ces nouveaux kaléidoscopes dont il a le secret, fragments du monde placés sous une lumière crue où se révèlent des personnages souvent connus. Les légendes sont tordues, le flux d’informations rythme les pages comme il rythme nos jours. Avec, à l’arrière-plan, une remarque qui suscite des questions : « On peut facilement transformer une information douteuse en vérité encyclopédique. » Le collage semble fait au hasard, mais il nous entraîne du côté de la lucidité où le bien et le mal se confondent dans des constructions qui nous dépassent. Du moins en apercevons-nous ici quelques saillies qui ont échappé à la globalité broyeuse de sens et qui fournissent matière au sourire autant qu’à la réflexion. La poésie de la juxtaposition suppose un travail précis de marqueterie et une tension qui ne se relâche jamais.
De la marchandise internationale (2017, Les Carnets du Dessert de Lune) Daniel Fano ratisse large et fait feu de tout bois. Entre collage d’influences précisées dans une note et imagination délirante, ses personnages inspirés de livres ou de films s’agitent dans le vaste bocal du monde. Cela a tout du thriller sans queue ni tête, on meurt souvent dans des circonstances atroces, la lutte est féroce. Le texte crépite, on croit entendre une vieille machine à écrire débiter les feuillets et hacher menu les phrases.
L’intercepteur de fantômes (2018, Traverse) B. Palmer trouveque Bruxelles a bien changé depuis trente ans. Les endroits qu’il hantait en compagnie de l’avant-garde artistique et littéraire de l’époque n’existent plus. Même ses complices de l’époque ont, pour la plupart, disparu. Dans une promenade géographique autant que temporelle, Marc Dachy revit le temps d’une fiction presque vraie accompagnée d’une version si réelle qu’on la croirait imaginée. Une évocation belle et puissante.
Bientôt la Convention des cannibales (2019, Les Carnets du Dessert de Lune) Une cinquantaine d’années à travers un joli monde, le nôtre, éparpillé façon puzzle. L’écriture tire dans les coins, le kaléidoscope tourne à une vitesse folle. Les corps sont transpercés, torturés, bien qu’ils jouissent parfois dans une frénésie propre à l’assassinat, réussi ou non. Il arrive que des agents doubles aux noms improbables ressuscitent pour réussir ce qu’ils ont raté la fois précédente. C’est leur destin.