En cette période de rentrée, les impôts constituent un marronnier médiatique. C'est pourquoi, après de nombreux billets sur la politique monétaire et la fausse bonne nouvelle de la baisse du chômage, j'ai souhaité aborder la fiscalité sous un angle plus original. Il sera ainsi question aujourd'hui de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires, mais surtout de redistribution, car cette fonction assez récente de l'impôt est souvent mal comprise. Une fois n'est pas coutume, nous allons nous appuyer sur les statistiques glissées par les services du ministre du budget dans nos déclarations d'impôts...
Les prélèvements obligatoires
De façon simple, les prélèvements obligatoires sont constitués de l’ensemble des impôts, taxes fiscales et cotisations sociales prélevés par les administrations publiques et les institutions européennes. Dans le détail, ils se répartissent de la sorte :
[ Source : https://www.aquoiserventmesimpots.gouv.fr ]
Dans le très joli feuillet que les impôts vous ont fait parvenir, on lit que "contrairement aux idées reçues, les impôts sur le revenu ne représentent que 7 % du total des impôts et taxes payées par les Français". Sans la marque du pluriel à impôt, on aurait pu concéder une facilité de langage du gouvernement, mais évoquer les "impôts sur le revenu" est volontairement tendancieux. En effet, dès que l'on parle d'impôt sur le revenu, on pense d'emblée à la déclaration que chaque ménage fait une fois par an et qui représente bien 7 % des prélèvements obligatoires.
Mais il existe un autre impôt sur le revenu, qui trop souvent est occulté dans les débats puisque non lié au budget de l'État : la CSG. Créée au début des années 1990, la contribution sociale généralisée (CSG) est un impôt proportionnel - c'est-à-dire que son taux est le même pour tous les niveaux de revenus (flat tax) - destiné à la Sécurité sociale, prélevé sur les salaires, les primes, les pensions de retraite, les revenus du patrimoine, les allocations-chômage, etc. De sorte que c'est bien à l'ensemble (IR+CSG) que devrait se rattacher l'expression "impôts sur le revenu".
Dépenses publiques et prélèvements obligatoires
Il ne s'agit pas pour moi de jouer sur des nuances sémantiques (taxes, redevances, prélèvements,...), mais juste de rappeler que les prélèvements obligatoires servent à financer les dépenses publiques, en particulier les retraites, l’assurance maladie et l’Éducation nationale, qui en représentent plus de 55 % :
[ Source : https://www.aquoiserventmesimpots.gouv.fr ]
Alors certes, d'aucuns affirmeront que les dépenses publiques sont trop élevées :
[ Source : Eurostat ]
Mais les administrations publiques ne s’enrichissent pas elles-mêmes en dépensant, au contraire elles contribuent à augmenter la capacité de production de richesses futures de l’ensemble de l’économie par des investissements porteurs, des subventions bienvenues ou des dotations suffisantes. Autrement dit, les dépenses publiques de l'État n'ont rien à voir avec les dépenses d'un ménage comme certains s'échinent à le répéter ; elles sont avant tout le fruit d'un compromis social entre des citoyens qui veulent œuvrer à l'intérêt général. S'il n'est alors pas exclu de s’interroger sur leur nature et leur efficacité, il faut néanmoins se garder de vouloir les couper à tout prix, sous peine de plonger l'économie dans un tourbillon récessif. Et pourtant, la réforme des retraites montrent que c'est le (mauvais) chemin qui est pris...
La redistribution
La redistribution consiste pour l'État et la Sécurité sociale à effectuer des transferts monétaires ou en nature vers les ménages dans le cadre d'un objectif de justice sociale. Assez curieusement, le gouvernement communique énormément ces dernières semaines sur ce que les économistes appellent la redistribution verticale, celle qui doit servir à réduire les inégalités (la redistribution horizontale couvre les risques sociaux), comme si la crise des gilets jaunes avait laissé plus de stigmates qu'on ne le pensait... Il est vrai qu'Alexis Spire, sociologue et directeur de recherches au CNRS, avait rappelé dans une interview au Monde que les Français ont l'impression de ne plus en avoir pour leur argent avec tous ces services publics qui disparaissent de la carte, et que nombre d'entre eux pensent que leur argent sert juste à financer les dépenses de luxe de la caste dirigeante !
Dès lors, pour tenter de redorer le blason, on lit sur le feuillet évoqué plus haut que "les prestations sociales (prestations familiales, allocations logement, minima sociaux et prime d’activité) contribuent pour deux tiers de la réduction des inégalités, et l’impôt progressif sur le revenu pour un tiers". On y lit également que "les impôts et prestations sociales augmentent de plus de deux tiers le niveau de vie des 20 % des foyers les plus modestes, et diminuent d’un cinquième celui des 20 % les plus aisés. Avant impôts et prestations sociales, le niveau de vie des 20 % des ménages les plus aisés est huit fois supérieur à celui des 20 % des ménages les plus modestes. Après redistribution, il est quatre fois plus élevé".
[ Source : https://www.aquoiserventmesimpots.gouv.fr ]
Enfin, il est même question de pauvreté : "notre système redistributif permet également de réduire significativement le taux de pauvreté : celui-ci s’établit aujourd’hui à 14 %, contre 17 % en moyenne dans l’Union européenne, mais atteindrait 22 % en l’absence de redistribution". C'est entièrement vrai et l'on s'étonne qu'un gouvernement qui semblait peu concerné par ces questions il y a tout juste un an, en arrive désormais à chanter les louanges de l'État social français qui coûte pourtant un pognon de dingue selon Emmanuel macron ! Le lecteur intéressé pourra du reste lire ici mon analyse détaillée sur la pauvreté.
En définitive, d'aucuns se réjouiront que le gouvernement fasse l'éloge de l'État social et de la redistribution verticale. Mais cela ne doit pas faire oublier que l'impôt est d'abord levé pour des questions civiques comme le rappelle l'article 13 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés".
Or l'évasion fiscale (même chez les politiciens) et les cadeaux plus ou moins explicitement faits aux plus riches, ont participé de déliter ce bel idéal civique de l'impôt au profit d'un prélèvement obligatoire contrepartie d'un service public rendu. Ce glissement n'est pas que philosophique, au contraire il dénote le passage d'un État-nation à un État-entreprise, ce qui va de pair avec la transformation du citoyen-contribuable en usager-client, ce dernier se contentant de faire un stupide calcul coût-bénéfice pour sa petite personne. Est-ce le progrès version Macron ?