Chroniques de l’ordinaire bordelais. Épisode 326

Publié le 28 octobre 2019 par Antropologia

« Ils ont tué le chien pour faire de l’art ? » ou l‘horreur exposée aux enfants

L’exposition de sculptures est au-delà du macabre, elle est satanique, maléfique, tout est sang et nuit, mort, douleur, torture, cadavres bien réels, ossements, intimidation, agression, menace, mauvais sorts, une dame à côté de moi murmure : « Vaudou ». Je suis choquée, animaux morts, postures affreuses, tenues liturgiques détournées, diables, créatures de cauchemar, antre des pires sorcières. Tout le Mal du monde.

Je sors du restaurant, quelle idée d’être entrée ici, j’en ai l’estomac tout retourné, prête à vomir. Je vais fuir.

Mais voilà un essaim d’enfants, je comprends, une classe de sixième, je ne peux plus m’enfuir et les laisser seuls dans cet enfer, j’attends, je vais les aider à passer le cap, un enseignant reste toujours enseignant.

J’écoute devant le grand chien empaillé transformé en idole barbare sous un dais saignant.

Trois beaux enfants blessés, les yeux incrédules, inquiets, perdus, me posent cette question qui les hante déjà : « Ils ont tué le chien pour faire de l’art ? »

Vite, j’explique, non, le grand Patou- Setter empaillé a dû être acheté aux Puces, c’était sans doute un chien adoré de ses maîtres, tellement regretté à sa mort qu’ils l’ont porté chez le taxidermiste pour qu’il reste toujours auprès d’eux et puis les maîtres sont morts aussi et tout a été jeté ou donné aux brocanteurs…Et l’artiste l’a acheté pour s’en servir comme cela. Les enfants respirent. Ce chien aimé a été heureux. Il n’est pas mort pour du prétendu art. Ouf.

« Et les autres animaux, c’est la même chose ? On a vu des lapins, des écureuils, des sangliers, …» me voilà assaillie, ils se raccrochent à moi avec leurs visages si purs et candides. « Madame, vous n’êtes pas de l’exposition alors ? » Ah non, je suis comme vous, aussi choquée que vous. Ils respirent, un peu soulagés. Je me fais l’effet d’être une bouée de sauvetage.

Ce soir ils feront peut-être moins de cauchemars. Je ne sais pas si les professeurs les auront tous débriefés. Moi j’ai essayé. Et je ferai des cauchemars.

Thérèse Marsan

Octobre 2019