Clément Pansaers – L’apologie de la paresse

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

VIV

Le merle moud une valse lente, cadence le pas
de l’immolé à la magnificence qui s’emmène…
… Échine en serpe…
… Voici le hamac aux mollesses d’aisance.
Viens flotter dans le fluide,
qui roucoule.
Les chatons aux arbres gazouillent.
L’herbe bourdonne. L’espace hennit…
Paresse ! Paresse !

… Canicule !
Le lait tourne en fromage
Esclave écrasé sous la crainte.
Mais la rouille recuite donne luisances d’huile.
Et tu seras une belle bête, souple et féline.

… Ton ventre est vide ?
-— Catafalque calfeutré !
Pourquoi ne pas guider ta faim.
Ta main droite est une fourche,
ta gauche une serre.
Et tu n’est même pas rapace.
… Simple détritus, habillé de haillons de bienséances.
saupoudrés de copeaux de politesses.

… Plèbe ?
Vois, carnassier caduc.
A la prairie, les ruminants bondissent en festons de fête.
Au champ de betteraves.
les vertébrés primates tombent en déconfiture.
Et les épines chantent les funérailles lubriques.

… Esclave ?
Hâve hirsute —
A la prairie,
il Y a des abris et des fontaines.
A midi,
les bœufs sont garés au soleil,
alors qu’au champ, la voix du bâton beugle :
— Crève ! —
Comprends cette antinomie apparente.
— (Le moineau fiente au vol et l’hirondelle happe).
— A la prairie le capital rumine.
Au champ la crapule crève…

… Vivre ?
Ta vieillesse est un crime.
Étends-toi et paresse…
L’espace saigne la misère.
la rajeunit aux frôlements de ses ailes.

… Révolte ?
Ta démarche déhanchée est la révolte du crime, déguisée.
… La vie est lente au chômeur ?
Les chevaux pâturent la prairie.
Il y aura abondance de champignons.

… Quoi ?
Tu es si près de l’idéal de ton ventre
et tu préfères graisser les engrenages.
Il n’y a que le chauffeur qui se crève à l’automobilisme.
Le voyageur fainéante
et jouit du contraste luxurieux :
la lenteur qui dompte la vitesse !

… Paresse !
L’eau est fluide
— La lumière liquide.
Le contraire de la vieille vérité est vrai.

… Viens registre d’erreurs.
Ta pensée est en-dessous de la moyenne.
La joie de vivre tient lieu de pensée.
Tes omoplates sont des timbales.
Ta colonne vertébrale est un violoncelle.
Faisons un peu de musique !

… Bouffon ?
Arlequin, inlassable, bouffonne.
Il a la diarrhée du mensonge.
Et voilà que chaque spectateur
lui apporte une chaise percée…
Et Arlequin, toujours bouffon, sélectionne en souriant —
(la chair choisit dans ce que l’idée apporte).
Et ma malice sombre brille d’ardeur victorieuse.

… Il pleut ?
La terre aussi se fatigue d’un soleil pérennel.
Les alouettes montent et la pluie tombe.
Et la pluie chante la cantate des alouettes.

… Écoute…
Gras grasseyement des grenouilles lubriques
à l’étang
et au-dessus le sanglot de la hulotte.

… Quoi ? Ton encéphale te colle au crâne !
Prends ta tête.
Et secoue — silencieusement.

… Moi, pharmacien ?
Bien secouer.
Le kaléidoscope est édifiant.
Tu y verras la topographie
de tous les tumultes autochtones,
le rêve réalisé
de toutes les tolérances intolérables.

… Boue ?
Épouvantail à la vermine.
Te souviens-tu du goût délicieux de l’anguille,
retirée de la vase de l’étang, —
concentrant les essences aromatiques innombrables de la forêt aux quatre saisons ?
Mais tu pleures la graisse de ton péritoine.
Sache, que les porcs s’allongent dans la boue et s’engraissent.

… Je paresse…
Le fier mutisme indifférent du poisson dans l’eau.
La silencieuse insouciance de l’escargot sous la feuillée.
Je sens les arômes de la miellée…
Les arbres déambulent.
Le soleil broute l’herbe.

… Mystère ?
Musée de Misères —
Les pierres pensent.
Ce que tu n’arrives pas à comprendre !

1917

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Clément Pansaers (1885-1922)L’apologie de la paresse (Editions Ça Ira !, Anvers, 1921) (Allia, 1986)