Macron, ou la fin de l’État.
Impuissance. À la vérité, une phrase tourne dans la tête du bloc-noteur depuis des jours et des jours, telle une obsession. Elle date du 8 octobre, lorsque Mac Macron rendit hommage aux victimes de l’attaque terroriste de la préfecture de police de Paris. Il expliqua aux Français que, dans le combat à mener contre l’islamisme radicalisé, «les institutions seules ne suffiront pas», avant d’appeler de ses vœux une «société de vigilance». Bien sûr, nous nous étions braqués immédiatement sur cette supposée «société de vigilance», nouveau concept théorisé par l’exécutif qui laisse pour le moins songeur tant la frontière demeure ténue entre la « vigilance » et l’appel à la délation permanente et collectivement organisée –tous «surveillants», tous «surveillés»–, comme si la possibilité de dénonciation sur des critères flous ne risquait pas d’empiéter sur les libertés publiques jusqu’à se muer en suspicion généralisée… Ne sous-estimons pas le danger. Mais, au-delà de la surréaliste et impraticable injonction faite aux citoyens de se montrer «vigilants», la phrase «les institutions seules ne suffiront pas» mérite qu’on y revienne. Si Mac Macron promet de «mener le combat sans relâche, de renforcer les moyens humains, technologiques et juridiques, d’agir à la racine, à l’aide d’un gouvernement mobilisé avec méthode et détermination», l’appel à la vigilance, comme par défaut, sinon impuissance avouée, sonne comme un aveu que n’importe quel républicain digne de ce nom devrait se refuser d’entendre. Mac Macron précise d’ailleurs: «L’administration seule et tous les services de l’État ne sauraient venir à bout de l’hydre islamiste.» Soit. La société tout entière est bel et bien concernée. Mais de quel «État» parle-t-il, s’il n’en est lui-même le «chef»? La portée de ces mots n’a l’air de rien, pourtant, elle témoigne d’un malaise profond qui ne nous dit rien de bon.
À l’évidence, le message pourrait être ainsi interprété: je ne peux pas grand-chose, je compte sur vous. Cela ne vous rappelle rien? «L’État ne peut pas tout», la fameuse phrase de Lionel Jospin, qui, toutefois, évoquait à l’époque le sort d’une entreprise privée, Michelin. À raison, nous nous étions alors insurgés contre la logique même de ce raisonnement fataliste. Cette fois, c’est beaucoup plus grave: ne s’agit-il pas d’un sujet régalien par définition? Symboliquement, Mac Macron nous laisse croire que l’État – ce qu’il en reste, donc – ne peut plus promettre la sécurité. Terrible conclusion. Comme si «la» politique et «le» politique n’existerait plus et que l’État n’avait d’autre valeur que celle d’une coquille vide. Certains ont le droit de le penser. Nous ne sommes pas obligés de l’acter!
Marchepied. À la moitié de son mandat, Mac Macron réalise un virage assez exceptionnel, dont il convient de prendre la mesure. Lui qui vantait durant sa campagne présidentielle une «société de la bienveillance», voilà qu’il vante et assume désormais la «société de vigilance», témoignant d’une faiblesse coupable assez impropre avec l’idée que nous pouvons imaginer de sa fonction – dans le cadre du moins de cette Ve République dont il revendique, paradoxe, la verticalité. Ne plaisantons pas avec les conséquences, car c’est au moment précis de notre histoire où la défiance à l’égard des institutions et de la parole publique est au plus haut qu’un prince-président propose à la société civile de se substituer aux prérogatives de l’État qu’il administre. On croit rêver. Chers citoyens,ayez peur, surtout ayez peur, cultivez vos peurs… mais démerdez-vous! L’autre jour, un commentateur déclarait: «Ce discours aurait pu être dit par Marine Le Pen.» Les mots comptent, en effet. Et certaines phrases créent des ruptures. Mac Macron stigmatise une partie de la population française suspectée d’abriter «l’ennemi de l’intérieur», tout en appelant à la délation, et en même temps il réduit l’État à un niveau subalterne. Le prétendu rempart contre l’extrême droite en est le marchepied.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 25 octobre 2019.]