Quand l'obstacle devient moyen

Publié le 24 octobre 2019 par Anargala


Souvent, je me plains de "ne pas pouvoir pratiquer assez" : pas assez de méditation, de calme, de retraite, de silence, pas assez de yoga, de jeûne... et ainsi de suite. De manière générale, la vie et ses affaires m'apparaît comme un obstacle à la réalisation spirituelle, un voile qui cache mon essence, le Soi (âtmâ). 

Mais la Reconnaissance est justement une voie qui reconnait dans les "obstacles" des possibilités (upapati, upâya). Comment ? En reconnaissant que je suis la présence en laquelle tout se présente, non comme des reflets dans un miroir, mais comme des vagues dans l'océan : tout ce qui apparaît, c'est moi, présence infinie, qui apparaît ainsi. Pourquoi ? Parce que je le désire. Et cela, ce n'est pas un dogme, mais une donnée de l'expérience universelle, commune, ordinaire, pour n'importe quel être doué de conscience, c'est-à-dire pour n'importe quel être vivant. Le monde, c'est moi, essence de lumière consciente, en train de me manifester et de me réaliser ainsi.

C'est ce que suggère, à la manière du poète (dhvanyâ, litt. "par écho", par résonance), ce verset d'Outpala Déva : 

bhaktānāṃ bhavadadvaitasiddhyai kā nopapattayaḥ &

tadasiddhyai nikṛṣṭānāṃ kāni nāvaraṇāni vā //

"Pour tes amoureux,
tout sert à réaliser la non-dualité avec toi.
Mais pour les vulgaires,
tout cache ta réalisation !"

ou, plus littéralement,


"Pour ceux qui participent [à toi],
quelles ne sont les possibilités
pour réaliser la non-dualité avec toi ?
Pour ceux qui te rejettent,
quelles ne sont les obstacles
à ta réalisation ?"

Outpala Déva, Hymnes à Shiva, I, 15

Ici, le mot siddhi, traduit par "réalisation" signifie aussi "manifestation". C'est-à-dire que la clé de la réalisation spirituelle (siddhi), c'est de reconnaître que la conscience est la cause de la manifestation (siddhi) de tout. Ainsi les expériences ordinaires deviennent des possibilités de réalisation.

Autrement, aucune réalisation spirituelle n'est possible. Même si vous êtes un yogi parfait qui arrive à tenir sur la tête sans les bras, même si vous ne mangez que des légumes crus et que vous pouvez rester des heures durant dans le plus parfait samâdhi, vous perdrez tout cela quand l'activité reviendra. Et elle reviendra. Pourquoi ? Parce que la conscience - le Soi - est activité. Purifier ses habitudes, son inconscient, n'est possible que dans une certaine mesure, car la conscience EST mouvement, spanda.
La seule issue est donc de reconnaître la réalisation de soi dans le mouvement : je suis comme l'océan en mouvement, toutes les vagues sont mes vagues. 

Et ça n'est pas un dogme, mais un fait d'expérience ; c'est l'expérience. Mais d'ordinaire, je n'y prête pas attention. Je n'y "participe" pas. C'est cela, la bhakti. Et le yoga, c'est orienter son attention vers cela, vers la conscience-désir-vibration, vers l'océan.

Si je sais m'en souvenir, alors je ne me sentirai plus jamais en manque de méditation ou de toute autre pratique. Tout sera méditation, tout sera yoga, retraite et ascèse. Pour de vrai.