Est-ce vous
qui comprendrez pourquoi,
serein, sous une tempête de sarcasmes,
au dîner des années futures
j’apporte mon âme sur un plateau?
Larme inutile coulant
de la joue mal rasée des places,
je suis peut-être
Le dernier poète.
Vous avez vu
comme se balance
Entre les allées de briques
le visage strié de l’ennui pendu,
tandis que sur le cou écumeux
des rivières bondissantes,
les ponts tordent leurs bras de pierre.
Le ciel pleure
avec bruit,
sans retenue,
et le petit nuage
a au coin de la bouche,
une grimace fripée,
comme une femme dans l’attente d’un enfant
à qui dieu aurait jeté un idiot bancroche.
De ses doigts enflés couverts de poils roux,
le soleil vous a épuisé de caresses,
importun comme un bourdon.
Vos âmes sont asservies de baisers.
Moi, intrépide,
je porte aux siècles ma haine des rayons du jour;
l’âme tendue comme un nerf de cuivre,
je suis l’empereur des lampes.
Venez à moi,
vous tous
qui avez déchiré le silence,
qui hurlez,
le cou serré dans les nœuds coulants de midi.
Mes paroles,
simples comme un mugissement,
vous révéleront
nos âmes nouvelles,
bourdonnantes
comme l’arc électrique.
De mes doigts je n’ai qu’à toucher vos têtes,
et il vous poussera
des lèvres
faites pour d’énormes baisers
et une langue
que tous les peuples comprendront.
Mais moi, avec mon âme boitillante,
je m’en irai vers mon trône
sous les voûtes usées, trouées d’étoiles.
Je m’allongerai,
lumineux,
revêtu de paresse,
sur une couche moelleuse de vrai fumier,
et doucement,
baisant les genoux des traverses,
la roue d’une locomotive étreindra mon cou.
1913
Vladimir Maïakovski
Traduit du russe par Claude Friou
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