En raccourci, le roman de Silvia Ricci Lempen se déroule à rebours de juin 2012 à janvier 1911. Plus précisément, il raconte cinq histoires de jeunes femmes (voire jeunes filles), sur un siècle de temps, en commençant par la période la plus récente:
- Federica à Glasgow de mars à juin 2012;
- Sabine à Lausanne, de juillet 1988 à juin 1989;
- Gabrielle à Niort, Saint-Jean d'Angély et Genève, d'octobre 1961 à septembre 1965;
- Clara à Bellinzona, Lugano et Genève, de juillet 1928 à mars 1936;
- Anna à Carpineto Romano et Rome, de janvier 1911 à juin 1917.
Ce roman est la fresque de cinq générations de jeunes femmes, qui n'ont pas de lien biologique entre elles mais qui ont un lien en quelque sorte spirituel, c'est-à-dire plus fort.
Federica connaît Sabine, qui connaît Gabrielle, qui connaît Clara, qui connaît Anna. Ce sont donc cinq histoires qui s'emboîtent les unes dans les autres pour n'en faire plus qu'une.
L'auteure restitue savamment l'évolution de la condition féminine au cours d'une centaine d'années, avec des protagonistes qui rompent chacune avec les moeurs de leur temps et avec leur famille.
Non seulement les époques mais les lieux y ont de l'importance parce que les moeurs ne sont de toute façon pas tout à fait les mêmes en Écosse, en France, en Suisse ou en Italie.
Il y est question non seulement d'amours, parfois interdites, ou d'amitiés, mais aussi de conditions sociales et de réputations à tenir, ou encore de la place qu'occupent la religion, les guerres ou les troubles dans les vies.
Il y est aussi question de rêves, qui sont parfois plus vrais que la réalité et qui ne sont pas l'exclusivité des nuits d'Anna, laquelle les consigne par écrit pour qu'ils ne soient pas perdus et ne subsistent pas dans sa seule mémoire.
La couverture du livre représente une oeuvre d'Aloïse Corbaz, Grande cantatrice Lilas Goergens, qui correspond à la description qu'en fait l'auteure à plusieurs reprises dans le roman. Le choix de cette oeuvre n'est donc pas fortuit:
- Federica l'a vue, une nuit, en rêve, après en avoir mémorisé l'affiche dans le bureau de Sabine ;
- Gabrielle et Sabine l'ont découverte ensemble à la Fondation de l'Art Brut à Lausanne;
- Clara en a admiré, sur le mur de la cuisine, le dessin exécuté par le mari d'Anna, d'après un rêve de celle-ci, dessin qu'elle a colorié de mémoire, bien après.
Comme il s'agit d'une femme, aux épaules d'athlète, avec une bouche en forme de fraise et deux amandes bleues à la place du regard, n'est-ce pas l'image d'une femme majestueuse, avec sa robe rouge?
En tout cas Sabine confirme à Federica que l'artiste folle qui l'a peinte avait la manie de la grandeur, qui est mieux que celle de la petitesse. Ce qui ne pouvait qu'inspirer et faire rêver les héroïnes de ce roman.
Francis Richard
Les rêves d'Anna, Silvia Ricci Lempen, 408 pages, Éditions d'En Bas
Livres précédents:
Un homme tragique, L'Aire bleue (2014)
Ne neige-t-il pas aussi blanc chaque hiver ?, Éditions d'En Bas (2013)