Le matin
Je suis dans le métro, deuxième wagon, je suis prête à attaquer ma journée de travail.
En vrai je suis au radar. J’ai l’impression d’être là, bien présente dans cette rame, debout en train de filer droit vers mon boulot. Et en même temps, je me sens fatiguée, au point que si je ferme les yeux, j’ai peur qu’un long battement de cils plus tard, je les rouvre 45 minutes après au terminus de la ligne.
Le métro s’arrête dans une station. Un couple s’embrasse. J’en vois souvent le matin, échanger un baiser avant la journée de travail. Il y a ceux qui font ça rapidement. Un petit « Smooch » du bout des lèvres et chacun part vers sa mission du jour. Il y a ce baiser où l’un des deux appuie longuement avec intention sur les lèvres de l’autre, pendant que cet autre, finisse par rouvrir doucement les yeux en regardant discrètement, mais sûrement le panneau horaire. Il y a ceux qui se parlent, échangent, se sourient, se prennent dans les bras, s’embrassent et se laissent. L’un des deux finit toujours par se retourner pour regarder l’autre partir.
Mais ce couple là, je me dis qu’il y a quelque chose de différent dans leur baiser. C’est intense, profond.
Mélancolique.
Ce n’est pas un au revoir, ça ressemble à un adieu.
Ils se décollent, ils se disent quelques mots. Ils se tiennent les mains.
Elle, les cheveux noirs, un blouson, un jean, et un t-shirt beaucoup trop grands, avec un énorme sac à dos.
Lui, une petite sacoche, les cheveux bien coiffés, un blouson, un pantalon, sombres et ajustés, des petites chaussures de ville.
Il s’éloigne d’elle et se dirige doucement, la tête baissée vers la porte fermée de la rame, je vois que son visage semble marqué, très marqué.
Pendant ce moment, il ne la voit pas, mais peut-être qu’il sent qu’elle le regarde, l’air soucieux. Une tristesse qui pointe par moment dans son expression et en même temps ce regard, son regard, plein d’affection.
Il se retourne vers elle, elle change d’expression et lui fait un petit sourire timide et cligne des yeux de manière appuyée comme pour lui dire : vas-y.
Je le vois devant la porte de la rame, il lève la main pour appuyer sur le bouton. Il marque un temps d’arrêt. Il prend une grande inspiration, expire et le regard baissé, il appuie sur le bouton.
Je me dis : oh oui, c’est vrai, c’est dur parfois de rentrer dans ce métro tous les matins. C’est la jungle.
Il rentre. On entend le signal sonore. Les portes se referment.
Le métro repart doucement. Il lève la tête et la regarde. Elle lui fait un petit signe de tête avec ce petit sourire. Et puis soudain, l’air plus grave, elle lui fait de nouveau un battement appuyé de cils. J’ai l’impression qu’elle lui dit : ça va aller mon chéri, ça va aller. Je ne sais pas si elle parle d’elle, de lui, d’eux.
Il la regarde jusqu’au bout, jusqu’à ce que le métro s’engage dans le tunnel et qu’on la perde de vue.
Tenant sa sacoche, les épaules toujours voûtées, il relève un peu la tête. Il commence à parler : Mesdames et messieurs, je suis désolé de vous déranger, mais voilà, moi et ma compagne avons passé la nuit dehors, c’est dur, si vous avez une petite pièce, un ticket restaurant ou de la nourriture pour nous aider, je me permets de passer parmi vous.
Merci.
Merci.