C’est l’automne et avec la chute des feuilles, les châtaignes et les premiers frimas arrivent inévitablement les mouvements sociaux bien mûrs que la gréviculture française produit maintenant avec une régularité et une qualité reconnues dans le monde entier (qui nous envie assez peu).
Admirons au passage la récolte un peu particulière de cette année puisqu’au contraire des épisodes gréviculteurs précédents, cette période d’absence totale de services publics (ferroviaires dans le cas qui nous occupe) ne se traduira pas par une perte de salaire pour les cheminots : grâce à l’habile utilisation du joker « Droit de Retrait », nos petits malins vont pouvoir repasser par la case départ, toucher leur salaire et continuer comme si de rien n’était, sous les applaudissements de la presse qui se gardera bien de stigmatiser ce beau monde.
Pourtant, il y aurait de quoi dire puisque, sous prétexte de se protéger d’un danger grave et imminent provoqué par l’absence de contrôleurs dans chaque train, voilà nos braves cheminots syndiqués d’une entreprise sous perfusion publique massive qui refusent de faire leur travail : pour eux, l’accident d’un TER mercredi dernier, ayant fait plusieurs blessés dont un conducteur de train, était l’accident de trop dans la mesure où il n’y avait pas de contrôleur à bord.
Pourtant, tout le monde sait que le contrôleur de train est un véritable grigri institutionnel permettant d’écarter le mauvais sort et d’éviter que les voies ne soient trop maraboutées. Sans lui, des accidents se produisent qui sont sans rapport avec l’état lamentable du réseau dont je faisais déjà part dans de nombreux billets précédents.
Bref, les Français se sont une nouvelle fois fait sauvagement inopinés surprendre par un mouvement social surprise inopiné qui a rapidement paralysé la capitale, désorganisé une partie du territoire et mis un bordel monstre dans le planning de tout le pays alors que – ceci est une coïncidence totale – les vacances commençaient pour la zone A.
Il va de soi que le mouvement, subtilement commencé ce vendredi de départs en vacances, continue de plus belle le samedi afin de garantir qu’un maximum de contribuables usagers Français sera touché : la notion de sévices publics n’a jamais été aussi appropriée que lorsqu’on parle de la SNCF.
Cette absence de toute concertation, de tout préavis et la tentative de faire passer ce mouvement pour un droit de retrait agace la direction de la SNCF. Guillaume Pépy, l’excuse actuellement en charge du mammouth gangrené, s’est d’ailleurs offusqué de la façon cavalière dont les événements se sont déroulés : serrant un peu ses petits poings, entre deux systoles pas trop fortes, il envisage presque fermement le recours à une action judiciaire.
On retrouve la même tendance à hausser du menton chez Gérard Philippe (ce serait apparemment le Premier ministre en France actuellement) : pour lui, cet arrêt de travail sauvage serait un «détournement du droit de retrait» et tout ceci ne saurait continuer sans avoir des répercussions légales, scrogneugneu.
Et pour une fois, tant pour Pépy que pour Philippe, force est de constater qu’ils ont raison de souligner le caractère parfaitement illégal de l’action menée par les cheminots de l’entreprise : le droit de retrait supposerait un danger grave et immédiat pour les conducteurs de trains.
Or, soit l’on considère que l’état général du réseau, la déliquescence de la gestion de personnel de la société et le laxisme général qui entourent la sécurité de la SNCF sont bel et bien en cause, et dans ce cas, les cheminots devraient avoir fait usage de ce droit de retrait depuis littéralement des lustres (au moins quatre, ce qui nous ferait au moins 20 ans). Un tel retard à l’allumage – 20 ans !- pour les cheminots doit alors être porté à leur débit, compte tenu du nombre d’accidents graves ayant provoqué des morts sur les 20 dernières années. Faire alors les malins maintenant démontre rétrospectivement leur extraordinaire laxisme avec la sécurité et un magnifique foutage de gueule vis-à-vis des clients.
Inversement, on peut aussi considérer que les rapports qui s’entassent et pointent justement ces dérives lamentables sont de grosses exagérations. La situation de jeudi n’était alors pas différente de celle de vendredi, ce qui impose alors de voir ces mouvements pour ce qu’ils sont : une simple grève sauvage, parfaitement illégale, d’une certaine catégorie de personnels pour qui la sécurité n’est pas et n’a jamais été ici qu’un prétexte pour obtenir un levier de négociation politico-économique, ce qui ramène l’ensemble de ce mouvement à des considérations bassement terre-à-terre.
Ceci établi, il faudra pourtant faire notre deuil de voir toute action ferme de la part du gouvernement ou de la direction de la SNCF : eh oui, après des années de sélections rigoureuses d’énarques écouillés, de politiciens hontectomisés dès le plus jeune âge, après des générations à laisser les médias éructer leurs âneries collectivistes à la tête du Français moyen, plus personne n’a la moindre idée sur ce qu’il conviendrait de faire pour redresser la barre.
La SNCF est maintenant une synthèse dramatique de ce qui se fait de pire en termes de « management à la française » (qui est au management efficace ce que la cuisine anglaise est à la cuisine gastronomique), pour laquelle la position monopolistique aura permis de cultiver des avantages et des privilèges inouïs, la transformant de fait en petit État dans l’État devenu maintenant absolument incontrôlable.
Le monopole du rail aura permis à l’entreprise de s’enkyster à une position indéboulonnable du paysage économique et politique français, position qui lui a permis de réclamer toujours plus (de moyens, de salaires, d’avantages) sans même faire mine d’offrir un meilleur service.
Et alors qu’approchent les discussions sur une éventuelle réformette des retraites (dont tout indique qu’elle va se transformer en mise à la retraite de la réforme) qui auraient poussé l’idée ô combien iconoclaste d’une vraie égalité entre cotisants du public et ceux du privé (hérésie, horreur, abomination, ultranéolibéralisme que toute cette égalité gluante !), on comprend sans mal que ce mouvement inique et illégal vise surtout à montrer, une nouvelle fois, le pouvoir de nuisance de la SNCF.
Seulement voilà : petit-à-petit, les Français se réveillent à cette dure réalité que cette entreprise n’est plus guère que ce seul pouvoir de nuisance.
Jadis, il y avait encore l’opportunité de prendre un train, parfois rapide, pour des tarifs modiques. Cette histoire sent de plus en plus la naphtaline : pannes à répétitions, incidents plus ou moins graves, grèves et mouvements sociaux de plus en plus inopinés, services qui se dégradent visiblement, tarifs illisibles, dettes abyssales, … Si l’on y ajoute que même ceux qui ne prennent jamais le train le paient une fortune, la photo commerciale ne correspond plus du tout à la réalité de terrain et ressemble de plus en plus à une arnaque du tiers-monde.
Comme tant de fois auparavant, les mouvements sociaux de la SNCF illustrent fort bien la volonté farouche d’une partie du pays d’échapper à toute réforme, toute remise à plat pour essayer de sortir le pays de l’ornière. En face, l’absence de tout courage du gouvernement, la médiocrité cultivée des dirigeants garantissent que non seulement, la SNCF ne sera jamais remise sur le bon rail, mais qu’en plus, toute réforme de cette entreprise ou du système social qu’elle parasite vicieusement sera méticuleusement enterrée.
Ce pays est foutu.
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