R ATIER FIGEAC, centre de gravité de PROPELLER SYSTEMES d'UTC
AeroMorning : Mr Jean François CHANUT, vous êtes le Président de la société Ratier Figeac. Afin que nos lecteurs vous connaissent mieux, pouvez-vous vous présenter et préciser le parcours qui vous a mené à ce poste enviable de Président de Ratier Figeac ?
Jean François Chanut : J'ai grandi à la fois en France et aux Etats-Unis, je suis ingénieur de formation et ai exercé plus de 20 ans dans diverses sociétés aéronautiques développant des systèmes. .J'avais une passion pour l'avionique. Mon premier emploi a été chez Honeywell, ensuite chez d'autres sociétés de commandes de vols et de structures mécaniques en composite.
Tout cela m'a donné une bonne connaissance des systèmes et de la plupart des acteurs mondiaux, des marchés et des clients. J'ai rejoint UTC il y a 5 ans, aux " Propeller Systems " comme General Manager Ratier Figeac. Ce qui a impliqué de partager ma vie entre les USA et la France, d'être très familier avec les deux cultures, et de diriger 2 équipes distantes, différentes et agréables, d'avoir le souci du client, et de bénéficier d'une façon de travailler avec processus bien réglé et bien établi.
AeroMorning : Ratier Figeac présentait en 2018 un CA d'environ 300 M€ avec environ 1300 employés. Quelles sont les grands type activités de Ratier Figeac et quel pourcentage représentent-t-ils dans le total ?
Jean François Chanut : On a 4 axes de produits. Ratier Figeac est une entreprise française connue pour être le 1er fabricant mondial d'hélices, basée à Figeac. Ratier Figeac est le centre de gravité de l'entité " Propeller Systems " du groupe UTC dont elle fait partie. Cette entité " Propeller Systems " s'étend sur trois zones, à Figeac avec Ratier Figeac, au Maroc avec Ratier Figeac Maroc, et aux Etats Unis.
L'entité " Propeller Systems " totalise un chiffre d'affaires de 500 millions de dollars, issus pour la majeure partie de Ratier Figeac. 60% de ce chiffre d'affaires provient des hélices pour des avions civils ou militaires de forte puissance type A400M, les avions ATR qui sont des avions de transport régional de plus de 2000 chevaux.
La deuxième ligne de produits, qui représente 20% de l'activité représente le cockpit et la cabine, c'est à dire l'ensemble des équipements que les pilotes doivent utiliser pour contrôler les avions. Cette ligne de produits comprend les mini- manches que nous dessinons et fabriquons, les manettes de gaz et les pédaliers, qui servent à diriger et freiner l'appareil au sol.
Pour 10% de notre chiffre d'affaires, notre troisième ligne de produits, " THSA " (Trailing Edge Horizontal Stabilazer Actuator) c'est-à-dire le vérin de plan horizontal réglable. Ce plan horizontal rééquilibre l'avion en montée ou en descente et on le déplace en rotation au moyen d'un vérin, le THSA.
Et enfin notre quatrième ligne de produits se constitue de pièces d'hélicoptères pour Airbus Hélicoptères. Airbus dessine la pièce et nous en assurons la fabrication.
AeroMorning : Au même titre que Hamilton Sundstrand, Collins, Goodrich, Pratt et Whitney, Ratier fait partie du groupe UTC (United Technologies Corp). Y-a-t-il des avantages, que Ratier retire de cet appartenance à UTC en terme de recherche, complémentarité et synergies de produits, etc. Et si oui lesquels ?
Jean François Chanut : Ratier a été rattaché à UTC dès 1998. Il y a eu de très gros avantages pour Ratier Figeac puisqu'UTC a pu amener un soutien pour le développement de l'activité aéronautique. Ratier Figeac et Hamilton Standard ont fusionné en 1998 et c'est ça qui a créé " Propeller Systems ". Après la fusion, l'essentiel de l'activité a migré à Figeac, avec pour effet un gros développement économique de la région. Au-delà, ce qu'a amené UTC dans le fonctionnement de Ratier Figeac c'est un ensemble de méthodes de conception et de gestion, des processus bien définis, une demande d'exigence dans tous les domaines et à tous les niveaux. Le groupe a aidé Ratier Figeac à toujours faire mieux et tout le temps.
On a cumulé 2 cultures, celle de la satisfaction client et celle du désir de bien faire. C'est un des plus beaux mariages que je connaisse dans l'industrie aéronautique.
Aujourd'hui nous avons une complémentarité et des intérêts communs. Nous développons nos produits en fonction de l'évolution des technologies. Ainsi à la mécanique des hélices, ou aux équipements, on ajoute de plus en plus de l'électronique et du logiciel. L'avionique ouvre des perspectives et des possibilités de développement dans ces domaines.
Aeromorning : quels sont les axes majeurs de développement de Ratier FIgeac ? Comment Ratier Figeac aborde-t-il la tendance forte vers un avion plus vert ? Comment Ratier envisage de se positionner sur le marché UAM (Urban Air Mobility) qui devrait atteindre, selon certaines estimations la valeur de 10 à 20 milliard d'Eros en 2030 ?
Jean François Chanut : Nous avons plusieurs axes de développement. Evidemment les hélices est une zone majoritairement investie. Nous procédons depuis 4 ans à un développement de technologie en coopération avec la Direction Générale de l'Aviation Civile DGAC, sur un projet de plus de 11 millions d'euros. Et nous venons d'ajouter 30 millions d'euros à ce projet pour le développement des technologies d'hélices du futur. Cela selon deux directions, l'avion à hélices de plus forte puissance, et les hélices orientées vers des architectures avions à propulsion hybride électrique.
Un des projets de recherche ratier Figeac consiste à démontrer qu'on saurait remplacer sur un avion
Dash 8 régional un des deux moteurs turbopropulseur par un moteur électrique, ce qui implique aussi de combiner 2 énergies en parallèles.
Concernant la masse, la performance aérodynamique, et le bruit de nos hélices nous progressons et les hélices les plus récentes le montrent bien. La performance d'une hélice permet une empreinte carbone inférieure.
Pour le bruit extérieur réduire l'empreinte acoustique permet plus de confort pour le passager.Nous contribuons aux succès d'ATR et de l'A400M avec des hélices très puissantes, 11000 chevaux pour l'A400M, doté de l'hélice la plus moderne, la plus rapide, la plus efficace, une des seules à avoir été développée avec des pâles en composite.
Depuis les années 2000 on a aussi développé l'hélice NP2000 qui équipe les avions C130H Hercules par exemple.
Un point important à noter : un turbopropulseur apporte déjà un fort gain en empreinte carbone parce qu'un avion turbopropulseur (hélice entrainée par une turbine ou réacteur) est moins gourmand en carburant qu'un avion à réacteur (turbofan). On est chez Ratier Figeac intrinsèquement partisans d'une aviation moins polluante. C'est pour cela que nous continuons à développer les hélices.
On travaille aussi sur les systèmes de contrôle sur l'hélice, sur des matériaux nouveaux, plus légers, sur des composants nouveaux, etc.
AeroMorning : Sur la digitalization " end to end " et l'Iot (Internet of Things)
Dassaut Aviation, Boeing et Airbus adoptent le logiciel 3D Experience de Dassault Systems permettant de gérer un flot continu de données depuis le dessin jusqu'à la production et ensuite à l'après- vente. Il n'y a alors plus d'interface entre différents logiciels (celui du dessin, celui de la production et du pilotage des robots et celui de l'après-vente) mais un unique logiciel fluide en données. Siemens en propose aussi un utilisé par d'autres grands noms de l'aéronautique et de l'automobile.
L'IoT (Internet of Things) consiste à connecter des objets (équipements avions ou outillages de production) à Internet afin de suivre leur déplacement dans l'usine, leur état de fonctionnement, etc
Comment se situe Ratier vis-à-vis de la digitalisation " end to end " (du dessin à l'après-vente) et vis-à-vis de l'IoT ?
Jean François Chanut : Depuis longtemps nous avons intégré les méthodes digitales. On enclenche de A à Z depuis la conception jusqu'à l'après-vente en modélisant chaque étape. On fait ainsi la transition vers l'industrie 4.0 et on assure aussi le traitement de l'information en provenance de l'après-vente pour la maintenance prédictive.
Par exemple, nous travaillons sur une préconception utilisant Catia, connectée à une imprimante 3D pour réaliser une maquette physique, utilisable par la production pour validation.
Nous utilisons aussi le tournevis connecté qui enregistre les paramètres de serrages.
Pour la vérification qualité pendant l'assemblage, on superpose notamment le dessin Catia avec une image réelle pour identifier une erreur potentielle. (Réalité augmentée = Image réelle + image théorique)
On développe aussi la connexion Internet : la plupart du parc de production est équipé et connecté.
AeroMorning : En provenance du monde informatique et de sociétés comme Google, Apple, Facebook et se développant dans le monde manufacturier, on parle de plus en plus de travail collaboratif, d' " entreprise libérée ", de méthodes " Agiles " susceptibles de libérer le potentiel créateur de chacun et d'attirer la nouvelle génération plus soucieuse de qualité de vie au travail. Quelle est la position de Ratier Figeac sur ces méthodes ?
Jean François Chanut : Ce qui fait notre succès c'est nos employés, fiers d'appartenir à notre société parce que nous mettons l'humain au cœur de notre métier.
Une des bases de la culture Ratier Figeac est le travail en équipe. Nous concevons la conception et la production autour de l'opérateur. Tout le système productif est là pour supporter l'opérateur. La méthode de production est lean.
Un autre élément montrant l'humain au cœur de notre métier est la qualité de vie au travail, le partage des mêmes valeurs, la vie au sein d'un écrin vert de nature qui incite à ce que nos produits préservent cette nature où qu'ils soient.
Par exemple, nous prévoyons un nouveau bâtiment pour plus de 100 ingénieurs. Ce bâtiment va se trouver à côté des pâles composites. Le processus de chauffage de la résine génère beaucoup de chaleur qui est souvent perdue au refroidissement de la pièce en composite. Nos équipes d'elles-mêmes ont eu l'idée de récupérer cette énergie pour le nouveau bâtiment. Je suis fier de ce genre de comportement de nos équipes soucieuses de l'environnement.
Un autre gros volet humain chez Ratier Figeac : attirer et garder de nouveaux talents pour développer de nouvelles technologies et rendre nos produits plus efficaces.
AeroMorning : Il y a une tendance lourde et aussi légale vers l'égalité homme /femme. Mr Chanut, pouvez-vous nous parler de la situation Ratier Figeac à ce sujet et quels sont vos motifs de satisfaction et les points que vous souhaiteriez améliorer ?
Jean François Chanut : Nous avons moins de 20% de femmes et nous communiquons avec les lycées (localement le lycée Champollion) et écoles d'ingénieurs et de techniciens pour attirer plus de femmes.
Lors des rencontres de la Mécanic Vallée (Aux confins de l'Aveyron, du Lot et de la Lozère, 200 entreprises de mécanique) Ratier Figeac a invité le lycée Champollion (club de robotique) pour concevoir et fabriquer des robots dans une compétition nationale.
Dans ce club, plus de la moitié sont des femmes. A la question " qu'est-ce qui vous a fait venir ? ". La réponse fut de gérer un projet de A a Z.
Dans les industries, même si on reste parfois sur des valeurs historiques, aujourd'hui il y a de la place pour tout le monde et tous les talents et il faut le communiquer dans les colloques et les lycées nationaux.
Un autre exemple : Ratier Figeac a une filiale au Maroc, équipements en grandes séries qui comporte 40% de femmes.
AeroMorning : Beaucoup de sociétés délocalisent pour des raisons très variées comme des raisons de coûts, pour bénéficier d'autres talents, pour réduire leurs risques liés à un unique site de conception ou de réalisation, etc Pouvez-vous nous parler de l'implantation Ratier Figeac au Maroc de ces points de vues?
Jean François Chanut : Nous avons une belle expérience au Maroc depuis 7 ans (2012) : un des bijoux de notre système productif Ratier Figeac, ouvert pour contrer la concurrence et gagner de nouveaux marchés comme Airbus, etc...
A Figeac, nous continuons à investir et à former pour l'innovation, la conception, la validation de nouvelles technologies, nous fabriquons lorsque les systèmes de production demandent une technicité supérieure. Les cadences sont plutôt faibles.
Dans le cadre des équipements de cockpit où la part de l'assemblage est importante ou lorsque les cadences sont importantes nous privilégions notre outil productif au Maroc.
L'équilibre consiste à trouver le meilleur là où il se trouve, sans impacter le développement de nos produits. La formule est gagnante et appréciée de nos clients. Nos équipes qui fabriquent les mini-manches Airbus depuis les usines du Maroc ont eu 0 défaut depuis 4 ans.
Nadia Didelot pour AeroMorning