Une découverte insolite permise à l’occasion des journées du patrimoine cette année encore, avec pour guide l’architecte émérite et passionné Bertrand Ahier. En effet, organisée par Gares et Connexions, la visite nous permet de découvrir tour à tour, la gare depuis l’extérieur, puis de s’attarder sur les détails intérieurs pour finalement terminer en beauté par les coulisses inédites. Accueillis par Laurence Glever elle-même, directrice des gares du Centre Val-de-Loire, nous avions la certitude d’être entre de bonnes mains.
Brossons le contexte historique depuis l’extérieur…
En nous plaçant face à la gare, à l’extérieur, nous disposons d’un point de vue parfait pour comprendre la topographie de l’époque.
A la fin du 19e siècle, il existe deux gares dans cette partie sud de la ville, où on ne trouve que des champs et des maraîchages. La première nommée l’Embarcadère construite en 1846 sur l’actuelle place du Général Leclerc, fait partie de la ligne Paris-Orléans et elle est exploitée par la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans.
La seconde appelée la Gare de Vendée, date de 1875, et se situe près de l’actuel Boulevard Heurteloup. Elle dessert Les Sables-d’Olonne et elle est exploitée par la Compagnie des chemins de fer de la Vendée. Or à la fin du siècle, pour remédier au manque d’intermodalité entre les deux gares il est demandé à l’architecte Victor Laloux de réfléchir à leur réfection. En 1909, la Poste érige le bureau ci-dessous sur le terrain de la gare de Vendée.
L’architecte tourangeau à qui la ville doit aussi la place Jean Jaurès actuelle, l’hôtel de ville et Basilique Saint-Martin de Tours, propose de travailler sur cet espace en proposant une nouvelle pièce urbaine plus fonctionnelle réunissant les deux gares. Il souhaite ainsi s’inscrire dans le sillage des Beaux-Arts en créant une pièce qui reprend leurs canons : l’architecture, la sculpture et la peinture.
La spécificité architecturale de la gare de Tours
La gare actuelle est construite très rapidement, en seulement deux ans, entre 1896 et 1898. L’intermodalité proposée est désormais la plus réduite en France : entre le tram et le hall de la gare on ne compte que 9 mètres. Un percement de l’aile ouest a été effectué pour relier les trains à la station de tram dessinée par l’agence RCP et aussi Daniel Buren. Ce vestibule a été inventé, car il n’y avait ici que des bureaux. L’intérieur a été reconfiguré et les oeuvres de Daniel Buren ont été installées. Elles amènent un peu plus de focales, de lumière et de couleurs.
C’est aussi la seule gare de France où on remarque deux grandes halles juxtaposées, qui représentent les deux réseaux. Toutes deux sont faites en métal sur 172 mètres de long par 36 mètre de large chacune, qui permettent aux gens de circuler abrités de la pluie, qui est apparue tout de suite comme beaucoup plus fonctionnelle. Des bâtiments encadrants en pierre de Chauvigny qui est une pierre très dure (contrairement au tuffeau) 70 mètres de long par 9 mètres de large, ils comptent 4 niveaux, donc ça fait plus de 10 000 mètres carrés de surface de plancher et cela représente 10 à 12 000 mètres carrés si on prend les éléments de structure métallique, avec à peu près 8 000 mètres carrés de verrière. C’est énorme et cela amène beaucoup de lumière car on compte 4 tympans et la lumière zénithale.
Cela donne une impression très lumineuse, aérienne pour une gare qui est innovante, car elle a été pensée de manière très moderne à l’époque.
Victor Laloux se fait accompagner d’un ingénieur qui a travaillé sur les structures qui sont tellement fines, que quand les travaux de rénovation ont été effectués il y a 7 ou 8 ans, les bureaux de contrôle ont interdit de réparer dans l’état dans lequel la structure avait été construite. Elle avait été pensée à l’époque de façon avant-gardiste vraiment en état limite (c’est-à-dire au minimum de la structure). Il a fallu les renforcer depuis.
C’est dire qu’ils avaient été audacieux à l’époque. Le style architectural de Victor Laloux est néo-classique composite.
La sculpture qui accueille en gare de Tours
C’est de l’extérieur en observant la gare que l’on remarque la présence de quatre allégories sculptées assises sur la façade, sur les 4 pylônes qui nous font alors face. Chacune représente une ville : Limoges, on peut par interprétation penser que les cruches sont faites en porcelaine, Bordeaux avec une ancre de marine, Toulouse et même Nantes avec les tonneaux. Il s’agit des villes desservies par le Paris-Orléans qui a récupéré les deux compagnies de l’époque.
Fonctionnellement ça marchait très bien, les gens arrivaient en calèche ou en diligence ils se faisaient déposer ou récupérer à l’abri, ils pouvaient entrer dans la partie publique de la gare à droite, ensuite il y avait un petit barreau constitué de kiosques en bois transversaux qui filtraient le passage et qui permettaient aux gens de s’asseoir dans des salles d’attente de première, deuxième et troisième classe. Puis on entrait dans l’espace purement ferroviaire.
La présence de la peinture dans la gare : détails pour changer notre observation quotidienne
On est donc dans une gare très aérienne avec ses 17 mètres de hauteur, avec des points d’appuis tous les huit mètres, renforcée par des tirants métalliques que l’on voit à peine. Nous nous dirigeons vers le côté gauche de la gare, en laissant l’entrée dans notre dos.
En tant que compagnies commerciales, les compagnies voulaient faire la promotion des destinations, en faisant rêver les voyageurs. L’artiste Simas a réalisé 9 oeuvres, et de l’autre côté, nous trouvons 9 autres oeuvres produites les ateliers Digoin qui sont des maîtres céramistes situés près de Paris. La particularité de ces deux oeuvres, les unes ont été fabriquées en Alsace-Lorraine, et les autres faites par des alsaciens et des lorrains qui avaient fui leurs régions envahies par les allemands. Nous étions alors dans une situation tendue en Europe, que l’art a transcendé jusqu’à la guerre de 14-18.
Si nous regardons la représentation picturale d’Arcachon, qui est emblématique parce qu’elle est à la croisée des styles artistiques, à la fin du 19e siècle, on avait le post-impressionnisme, le fauvisme, et le début de l’art nouveau. Quand on regarde ce tableau, on reconnaît Arcachon, avec le bon cadrage mais la nature est quelques peu réinventée avec ces fougères fantasmagoriques dans lesquelles on remarque le coup de fouet de l’Art Nouveau. Sur le Pont de Cahors ou à Amboise, on voit que l’artiste prend des risques et s’essaie au pré-cubisme, puis à Luchon au style japonisant : le Mont d’Or pourrait être le Mont Fuji. Il faisait rêver les gens, pour les faire voyager dans des destinations lointaines.
En observant les oeuvres de l’autre côté, en revanche on peut noter la différence entre le travail d’un artiste qui prend des risques (comme nous l’avons vu du côté gauche avec Simas) et le travail d’un atelier de céramistes qui s’attache plus à faire ressortir le côté pittoresque et anecdotique des scènes de vie. Sur le tableau des Menhirs d’Erdeven, on voit cet aspect avec ce jeune breton qui conte fleurette à une jeune fille en s’appuyant sur le menhir. C’est plutôt statique.
A côté, à Saint-Jean-de-Luz, on peut voir la différence avec une oeuvre de Simas, qui a fait quelque chose de beaucoup plus dynamique : on est presque dans l’Art Nouveau, avec du japonisme complet, des ciels soyeux, des sols irisés, des nuages stylisés, et au sol on pourrait croire qu’il y a la mer avec de l’écume. En fait il s’agit d’une réinterprétation de la roche, qui est en fait très sombre. C’est très beau, mais ce n’est pas la réalité, il s’agit d’une traduction du regard du peintre, où il transcende ce qu’il a vu, pour donner envie de s’y rendre. On remarque le trait gras avec le bleu japonais, qui vient souligner les contours, définir les lignes. Les personnages sont des femmes de la Belle Époque, des élégantes, qui contemplent la mer un peu agitée. On remarque aussi le noir et le blanc comme le yin et le yang qui sont omniprésents par touches un peu sur chaque tableau.
Pour le dernier tableau, Fontarrabie c’est de l’autre côté de la frontière française, c’est Ontarabia au pays basque espagnol. On remarque d’ailleurs le panneau dans le tableau. Encore une fois, c’est une vision du peintre que l’on retrouve, la réalité est un peu plus austère. Il s’agit en effet d’une forteresse de Philippe IV, qui est un roi espagnol qui voulait protéger son pays contre les français qui étaient à quelques kilomètres derrière. On retrouve ici comme dans une photographie, un premier plan flou et un arrière-plan avec une focale très précise. On y voit une scène de rue très animée, alors qu’en réalité c’est assez vide. On retrouve le trait bleuté au premier plan, et on a l’impression d’y voir de l’hyperréalisme comme une photo qui a été solarisée. Simas faisait prenait des risques, essayait des choses et explorait des dimensions, qui étaient très innovantes pour l’époque. Et surtout Fontarrabie, c’était plein sud, comme les quais des trains dans le prolongement. Ce tableau était presque comme un panneau indicateur.
Dans les coulisses de la gare : l’horloge
En nous déplaçant à nouveau vers l’entrée de la gare, nous apercevons une porte dérobée, près des photomatons. Ici donc, nous grimpons avec précaution pour nous trouver exactement derrière l’horloge. C’est un spectacle assez émouvant car tout est encore dans son jus.
Prenons de la hauteur : sur le toit de la gare de Tours
Précédé par notre guide des coulisses, nous pénétrons cette fois dans la partie réservée qui donne accès aux bureaux de la SNCF. Nous montons ainsi pour accéder au toit. Ici nous pouvons observer les sculptures d’un autre angle et nous pouvons remarquer les ornements placés dans les coins. D’ici le point de vue diffère, tout est un peu ralenti, et nous laissons libre cours à la contemplation…