Emil Botta – Post ludum

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Rends-toi, poésie, aux chênes de garde, au plus haut point
et transmets-leur le salut d’un ami qui n’est plus rien.
Prie les oiseaux de se taire, ils m’ont rendu fou,
je fus de leur pépiement plus que soûl.

Passe cette nuit, poésie, voir mes proches dans leur sommeil,
embrasse-les sur le front, chuchotez un peu ensemble.
Dis-leur que j’ai fermé la dernière page du cahier
et gagné la compassion des pierres et des rochers.

À ma mère, poésie, dis de me pardonner,
je suis une mauvaise graine, de celles qu’il faut vomir ;
de toutes leurs larmes j’ai essoré ses yeux,
et cousu ses lèvres d’un fil de soupirs.

À mon frère, poésie, dis que je n’ai pas été l’ange qu’il a pu croire,
que mon coeur est châtiment, blâme et coups de fouet.
Les pensées cruelles et sauvages dont je fus le jouet
me valent un long sommeil crématoire.

À mes amoureuses, dis que je ne les ai pas aimées,
que je n’ai eu de goût que pour les échappées.
La vie fut pour moi comme un chapeau, comme un verre
où mélanger les dés du sort.

Au chat blond, s’il y peut comprendre goutte,
dis que sa paresse à la mienne ressemble toute.
Lumière dorée qui flânait au jardin, rare et nonchalant,
qu’il me pardonne, à moi qui ne fus qu’un ciel décadent.

Après quoi,
poésie,
ne reviens plus jamais ici,
ce couple que nous faisons n’est pas noble ;
notre alliance est rompue,
disparais, poésie, à jamais de ma vue.

*

Post ludum

Poezie, sa te duci la stejarii de straja in cel mai inaintat post
si spune-le dragi salutari de la unul care a fost.
Roaga paserile sa taca, m-au innebunit,
am ametit de atata ciripit.

poezie, sa treci noaptea prin somnul celor ai mei,
saruta-i pe frunte, discuta in soapta cu ei,
spune-le ca am incheiat din caiet ultima fila
si ca imi plang si pietrele de mila.

poezie, spune mamei sa ma ierte, sunt o poama rea,
pe care o arunca cine musca din ea;
lacrimi din ochi ca dintr-um burete i-am stors,
firul oftarii pe buze s-a tors.

poezie, spune fratelui meu ca n-am fost inger, cum poate credea,
ca mi-e inima pedeapsa, mustrare, nuia.
si de gandurile crude care m-au batut foarte salbatec
mi-e un somn de jaratec.

spune iubitelor mele: el nu v-a iubit,
el, zapacindu-va, s-a zapacit.
viata i-a fost ca un pahar
in care amesteci al intamplarii zar.

apoi,
sa nu te mai intorci, poezie!
nu facem o nobila pereche noi doi;
alianta noastra e sfarmata
si as vrea, poezie, sa nu te mai vad niciodata!

***

Emil Botta (1911-1977)Întunecatul April (Avril sombre) (1937) – L’aurore me trouvera les bras croisés (Hochroth, Paris, 2013) – Traduit du roumain par Nicolas Cavaillès.