Variations photographiques pour des amazones

Publié le 17 octobre 2019 par Aicasc @aica_sc

Dans le cadre de la campagne annuelle Octobre rose, instaurée en 1985 avec pour objectif de sensibiliser au dépistage du cancer du sein, l’association Projet Amazones présente une exposition photographique au Ministère de l’Outre – mer à partir du 18 octobre prochain. Une première édition de cette exposition  avait été dévoilée à Fort-de- France, il y a deux ans,  en octobre 2017.

Créée en octobre 2017, Projet Amazones est une association loi 1901, initiée et présidée par Alexandra Harnais afin d’informer, d’accompagner et d’améliorer les conditions de vie des femmes atteintes par un cancer en Outre –Mer.

Photo Kelly Sinnapah Mary

Le cancer du sein pousse à se poser la question de la féminité et de la beauté. Même après l’intervention chirurgicale, les femmes sont féminines et aspirent à le rester. Belles, hypnotiques, plurielles, insoumises, elles s’attaquent  aux tabous de la nudité féminine et de la cicatrice. Les cicatrices et les blessures font parties de soi. Elles peuvent devenir une force si on arrive à les assumer.

C’est ce que nous démontrent ces femmes qui ont posé  devant l’objectif de photographes de  Martinique et Guadeloupe :Gilles Elie Dit Cosaque,   Hélène Raffestin, Mario Gilbert, Micka M, Anaïs Verspan, Robert Charlotte, Georges-Emmanuel Arnaud, Shirley Rufin, Kelly Sinnapah Mary. Pour l’édition parisienne, de nouvelles photos ont rejoint une sélection de la première version foyalaise, celles d’Yvan Cimadure-Mery ainsi que de nouveaux portraits de Gilles Elie Dit Cosaque.

Photo Gilles Elie Dit Cosaque

Avec pudeur et courage, toutes témoignent de leur histoire.

Aborder la maladie et son traitement par le biais de la beauté et de la création artistique -entre autres,  puisqu’ Amazones développent de nombreux autres projets, des conférences, des ateliers, l’aménagement d’un espace  d’accueil, le Nid et une revue annuelle-  séduit par sa positivité inventive.

Photo Shirley Rufin

Comme l’explique Gilles Elie Dit Cosaque, photographe, réalisateur,  commissaire et scénographe de cette exposition parisienne, il s’agit avant tout d’une rencontre,  celle d’un artiste photographe et d’un modèle. Il s’agit  de recevoir une part d’histoire intime et  de réfléchir à la façon dont on peut la traduire au mieux. En ce sens on pourrait considérer que le portrait se fait à deux cerveaux et quatre yeux. Cette expérience humaine, car cela en est une, redonne à des femmes soumises à une épreuve psychique et physique, le pouvoir de dire avec leurs corps, de se réapproprier leur corps.

La scénographie conçue par Gilles Elie Dit Cosaque transforme le Salon  Delgrès du Ministère de l’Outre – mer en forêt moderne. Des structures – supports, toutes différentes,  en bois peint en rose accueillent les photographies, toutes du même format vertical pour renforcer la cohérence de l’ensemble mais aussi, comme des feuilles d’arbres,  de petits cartons roses avec une phrase commençant par demain écrite et  signée du prénom chaque amazone .

Chaque photographe a réalisé ses clichés en accord avec sa démarche personnelle et en dialogue approfondi avec son modèle. L’exposition présente donc plusieurs tendances de la photographie contemporaine. Et sa diversité est aussi l’un de ses points forts : présenter  la pluralité de la photographie contemporaine.

Photo Georges Emmanuel Arnaud

Il y a les portraits traditionnels, souvent des nus d’une  sobriété minimaliste de Robert Charlotte, Georges-Emanuel Arnaud, Gilles Elie Dit Cosaque. Sur les fonds neutres, noir ou blanc, les figures deviennent plus puissantes puisque toute l’attention est concentrée sur les modèles.

Photo Gilles Elie dit Cosaque

Avec le light painting, Gilles Elie Dit Cosaque nimbe le visage d’un autre de ses modèles d’un halo lumineux.

Certaines photographies insèrent le modèle dans des décors oniriques, baroques dans le droit fil d’une esthétique publicitaire ou religieuse. Ce sont des photomontages chez Kelly Sinnapah Mary et   Hélène Raffestin. Cette dernière crée une image symbolique et graphique où telle la Victoire de Samothrace, la déesse Niké, vue de dos, une femme  ailée, s’apprête à prendre son envol après la victoire sur l’ennemi, l’épée encore à la main.  La cicatrice n’est pas dissimulée, mais mise en avant, surlignée en  rose. C’est une image contemporaine mais qui renvoie à la tradition classique de l’allégorie et aux images pieuses en dentelle ajourée, les canivets.

Photo Hélènne Raffestin

Ce sont  des mises en scènes photographiées, notamment par Mario Gilbert mais aussi  Gilles Cazenave qui figurait dans l’exposition de Fort – de – France. Tout est alors prévu en amont pour construire le décor. Parfois des  collaborateurs interviennent, comme Florence Edmond qui a créé une époustouflante  robe en or dont la couleur a juste été densifiée en postproduction par Mario Gilbert. Cependant, pour son nouveau portrait de l’amazone en rose, couverture de la revue 2019, Mario Gilbert  a manifestement pratiqué le photomontage.

Photo Mario Gilbert

C’est dans un autoportrait masqué en milieu naturel tropical qu’Anaïs Vespan se met en scène.

Shirley Rufin métamorphose le corps, désamorce le tabou de la nudité et  transforme son modèle en silhouette de lumière et de couleurs. Des papillons portent aujourd’hui le nom des premières amazones de la mythologie,  Marpesa et Lempeto.  Shirley.  les choisit comme titres de ses œuvres car elle trouve que cette idée  d’éclore, de s’échapper du cocon, de renaître est tout à fait  cohérente par rapport au projet artistique.

Nymphalidae lampeto SHIRLEY RUFIN
un des trois panneaux du tryptique

Toutes les femmes photographiées disent qu’elles se sentent révélées comme elles ne se sont jamais vues.

Photo Mario Gilbert

Le concept original et audacieux : la transmutation de la souffrance en beauté, le rapport dialogique avec les modèles, la diversité photographique,  la scénographie inventive fondent la réussite de cette exposition.

Photo Anaïs Verspan

Dominique Brebion