Fin 2018, la Loi Alimentation est votée. Elle ne satisfait personne, tout le monde sait qu’elle va très probablement avoir des effets pervers, mais peu importe : les parlementaires, bien trop idéologues, la votent quand même.
Le débat était en effet tranché dès le début puisqu’il s’agissait pour le législateur d’intervenir pour stopper la guerre des prix et redonner du pouvoir d’achat aux agriculteurs, tout simplement parce que l’État a toujours été efficace lorsqu’il s’agit d’intervenir (mais si !), qu’il a toujours mis en place des lois pertinentes lorsqu’il s’agit de réguler les prix (mais si !) et qu’il a toujours montré du discernement lorsqu’il s’agit de donner du pouvoir d’achat à l’un ou à l’autre (mais si !). Et puis pour les députés, il est toujours plus simple de faire du gros signalement vertuel dodu plutôt qu’un peu de pédagogie et expliquer pourquoi leur énième intervention dans le domaine allait provoquer des catastrophes.
Baste, passons : la loi votée, quelques mois s’écoulent et tout se déroule comme prévu, c’est-à-dire mal.
C’est ainsi qu’en février de cette année, les premiers effets de bords néfastes commencent à se voir : le prix de certaines denrées augmente assez mécaniquement. Le pouvoir d’achat des agriculteurs, qui auraient dû bénéficier de cette hausse des prix, ne bouge pas d’un iota. C’est un échec.
Arrive le mois de juin et avec lui l’amer constat qu’en plus d’une hausse de certains prix, l’interdiction de certaines formes de promotions (qui permettent d’écouler des stocks à prix négociés) aboutit à fragiliser des PME dont le modèle d’affaire dépend étroitement de cette forme de ventes. Bref : aux agriculteurs qui ne voient pas leur pouvoir d’achat augmenter, aux consommateurs qui voient le prix de certains de leurs produits augmenter, il faut ajouter certaines entreprises maintenant en difficulté à cause de cette loi. L’échec, déjà lamentable, se fait cuisant.
À ce point de l’histoire, n’importe quel gouvernement un tant soit peu responsable aurait rapidement rétropédalé pour annuler ce fatras législatif dont l’expérimentation grandeur réelle tourne aussi rapidement au vinaigre.
Rassurez-vous : après l’inévitable parcours législatif qui permet la mise en place d’une loi mal torchée écrite avec les pieds par une brochette d’incompétents suite à des pressions de lobbies ridicules qui aboutit à des effets aussi prévisibles qu’indésirables, il est absolument hors de question de se remettre en question. Nous sommes en France, après tout.Pourtant, les protestations des entreprises, menacées de fermeture par ces mesures idiotes, sont bien remontées à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui a été obligée de consentir à certaines dérogations pour sauvegarde quelques emplois (une fois n’est pas coutume). Et si ce comportement d’une rare clémence vous étonne, ne paniquez pas : la loi est destinée à rester encore jusqu’en 2020 et d’ici là, Bercy et ses minions pourraient amplement changer leur fusil d’épaule si l’odeur de la viande fraîche se faisait trop insistante sur leur museau délicat.
Pourtant, les protestations des agriculteurs, qui n’ont pas touché un rond de plus, sont bien remontées dans les différentes tubulures administratives que le pays choie de toutes ses forces. Pourtant, des enquêtes viennent maintenant confirmer ce que tous les observateurs un tant soit peu neutres avaient déjà remarqué : flûte et zut, toute cette opération n’a pas du tout profité à ceux qu’on visait d’emblée (les agriculteurs). Pire, tout indique à présent que ce sont les distributeurs qui ont largement bénéficié de cette loi et de la hausse des prix qu’elle a induit.
Autrement dit et comme le remarque finalement l’UFC Que Choisir dans une récente enquête, c’est la grande distribution qui récupère l’essentiel du bénéfice de ces hausses.
En somme, cet échec prévisible est devenu un échec total qui persiste depuis des mois et des mois, sans que ni les administrations, ni le gouvernement, ne semblent décidés à annuler au plus vite cette « expérimentation » d’ores et déjà désastreuse.
Le pompon est cependant atteint lorsqu’on découvre que, devant ce constat effarant, les syndicats agricoles, Confédération Paysanne notamment, réclament au gouvernement – je cite – « l’abandon immédiat » du relèvement du SRP et l’instauration d’un « véritable rééquilibrage » des négociations en faveur des acteurs agricoles.
Apparemment, l’intervention des chiens législatifs dans le jeu de quilles agricoles n’a pas suffi pour cette confédération : s’il semble entendu pour elle qu’il faille arrêter les âneries de la loi actuelle, il n’est pas dit qu’en relançant le bastringue d’un nouvel interventionnisme millimétré on n’arrive pas, enfin, à ce miraculeux rééquilibrage que tous attendent dans lequel les producteurs sont grassement payés, les distributeurs font une marge décente et les consommateurs trouvent des petits prix joliment adaptés à leur pouvoir d’achat microdosé.
Il est assez stupéfiant de constater que, dans ce pays, lorsqu’encore une fois et malgré la multiplication d’avertissements, on aboutit à une déroute cuisante et parfaitement prévue, certains ne renoncent toujours ni à la fin (une régulation complètement chimérique des prix par l’État), ni aux moyens (coercitifs en l’espèce).
Cette Loi Alimentation, sa déroute ahurissante parce que prévisible et coûteuse, et les réactions qu’elle entraîne maintenant sont une excellente démonstration de cet esprit français actuel qui pourrit absolument tout dans le pays et qui impose que tout problème ne trouve sa solution que dans l’État, la loi et l’usage de la force de certains groupes sur d’autres.
C’est ce même esprit qui impose qu’une fois un dispositif en place, jamais le gouvernement, l’État ou les administrations ne feront marche arrière, même devant l’échec patent.
C’est encore cet esprit qui refuse obstinément de tenir compte des bilans, des analyses des échecs et des retours d’expérience. Personne ne veut avoir à assumer l’idée même qu’une erreur ait pu être commise. La loi ne sera donc jamais annulée, elle sera amendée, triturée et noyée sous d’autres textes, décrets et correctifs ce qui permettra de transformer ce furoncle en Frankenstein législatif putride qu’on lâchera dans la nature, charge aux citoyens de s’en accommoder.
C’est cet esprit, mélange d’arrogance, d’entêtement crétin et d’idéologie collectiviste s’infiltrant dans tous les domaines qui permet d’affirmer que ce pays est foutu.
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