Pendants d’Histoire
Naissance d’Adonis
Mort d’Adonis
Boucher, 1733, Casa-Museu Medeiros e Almeida, Lisbonne.
Dans ce pendant de jeunesse, Boucher se contente de juxtaposer les deux scènes, sans effet de symétrie particulier. L’enjeu est d‘illustrer avec précision le texte d’Ovide (Métamorphoses, livre X)
La Naissance d’Adonis
Adonis est le fils de la nymphe Myrrha avec son père Cinyras. Pour la punir de cet inceste, elle fut transformée en un arbuste de myhrre tandis qu’elle était enceinte.
« Lucine, dans sa bonté, s’arrêta près des branches souffrantes, approcha ses mains et prononça les mots de la délivrance. L’arbre se fend et livre à travers l’écorce éclatée son fardeau vivant : un bébé se met à vagir. Sur un lit d’herbes tendres, les Naïades le déposent et le parfument avec les larmes de sa mère. »
La belle femme couronnée de perles est donc Lucine, identifiée ici à Junon (d’où la présence du paon sur le rocher). De cet accouchement extraordinaire, Boucher ne retient avec bienséance que la fente du tronc.
La Mort d’Adonis
« Un jour, les chiens d’Adonis avaient suivi les traces claires d’un sanglier et l’avaient débusqué… Le sanglier farouche le poursuivit, lui plongea complètement ses défenses dans l’aine et le terrassa mourant sur le sable fauve. Cythérée, sur son char léger tiré par des cygnes ailés, traversait les airs et n’était pas encore arrivée à Chypre. De loin, elle reconnut les gémissements du mourant et inclina ses oiseaux blancs dans cette direction ;dès que, du haut du ciel, elle le vit sans vie et agitant son corps dans son propre sang, elle sauta à terre, déchira son corsage, s’arracha les cheveux, se frappa la poitrine de ses mains qui n’étaient pas faites pour ce rôle, et s’en prenant aux destins, elle dit : «…des témoignages de ma douleur subsisteront toujours, Adonis… ton sang sera métamorphosé en fleur. «
Là encore Boucher édulcore la scène de tous ses aspects malséants : le sanglier est évoqué par le seul épieu ; la plaie se limite à une entaille minuscule et la douleur de Vénus à une caresse mélancolique. Une colombe morte attire l’oeil sur la touffe de fleurs rouge.
Le vendeur de légumes
Boucher, vers 1735, Chrysler Museum of Art, Norfolk
Paysan pêchant
Boucher, vers 1735, The Frick Museum,Pittsburg
Ces deux grandes pastorales, en compagnie de deux plus petites, composaient une luxueuse décoration murale dont ni le commanditaire, ni le thème s’il y en avait un, ne nous sont aujourd’hui connus. Il est possible que les deux grands panneaux symbolisent la Terre (les légumes) et l’Eau.
Le pendant se justifie par la position symétrique du couple, à gauche et à droite d’une vallée et au pied d’un arbre en oblique, ainsi que par le thème de l’approvisionnement :
- à gauche le jeune vendeur propose ses carottes à la jeune fille, qui tient déjà un gros chou sur son ventre ;
- à droite une autre jeune fille est descendue depuis la maison à la rivière avec un panier, pour récupérer les poissons à la source.
La rencontre scabreuse des carottes, du choux et de la queue d’une casserole vide est innocentée, à gauche, par la présence de la marchande qui surveille la transaction. A droite, la jeune fille s’intéresse, au choix, à la canne à pêche, au poisson qui va mordre ou à la belle jambe qui taquine l’onde.
Tout en les édulcorant savamment, Boucher multiplie les sous-entendus et laisse la grivoiserie au spectateur.
La halte à La Source
Une Marche de Bohémiens ou Caravane dans le goût de B. di Castiglione (Return from Market)
Boucher, 1761, Museum of Fine Arts, Boston
La profusion des personnages et des objets rend difficilement lisible la structure en pendant.
Dans le premier tableau, la composition en V sépare une version profane du Repos pendant le fuite en Egypte, et une amourette entre un berger et une bergère.
Dans le second, la composition pyramidale, en V inversé, abrite une caravane d’hommes et de troupeaux qui s’écoule de droite à gauche. Au premier plan, un berger s’est précipité avec son bâton et son chien pour barrer le chemin à un âne qui s’est écarté du chemin.
Le plaisir de l’accumulation submerge ici la logique du pendant, qui voudrait opposer une scène statique et une scène dynamique mais ne réussit qu’à ajouter un grouillement à un autre.
A deux siècles d’écart, la surenchère visuelle et l’artificialité volontaire de Boucher préludent à la boulimie fellinienne.
Pan et Syrinx Alphée et Aréthuse
Boucher, vers 1761, Collection privée
Plastiquement, le pendant oppose le ciel et la terre, un trio avec deux femmes à un trio avec deux hommes, un nu féminin de dos et de face. Dans chacun, un fleuve s’échappe d’une urne renversée.
Mythologiquement,
« ces tableaux illustrent deux épisodes des Métamorphoses d’Ovide et racontent les assauts malheureux de deux dieux sur d’innocentes nymphes dont ils étaient épris. » Le tableau de gauche « décrit les mésaventures du dieu Pan… né moitié homme, moitié bouc. Les nymphes se moquaient de lui pour son aspect ridicule et disgracieux. Il s’éprit de la nymphe Syrinx, l’une des compagnes de Diane, et la poursuivit. Au moment où celle-ci allait succomber, le Dieu fleuve Ladon la prit sous sa protection (Boucher le représente menaçant Pan de son doigt rageur) et la transforma en roseaux afin qu’elle échappe à Pan. Dans un épisode suivant Pan lia des roseaux en souvenir de la nymphe, créant un instrument qui porte son nom. » [1]
Le tableau de droite montre la légende du fleuve Alphée. Celui-ci
» tomba amoureux de la nymphe des bois Aréthuse qui se baignait dans ses eaux. Souhaitant échapper aux pressantes avances d’Alphée, la jeune nymphe appela Diane à son secours. La déesse intervint et transforma la nymphe en nuage au moment où le dieu allait la saisir. »[1]
Jupiter transformé en Diane pour surprendre Callisto Angélique et Médor
Boucher, 1765, Metropolitan Museum of Arts, New York
Mis à part la complémentarité désormais classique entre le nu de dos et le nu de face, et la présence dans les deux tableaux d’un lourd manteau de fourrure tâchetée, complété d’un carquois rouge, quel peut être le thème commun qui justifie ces deux pendants ?
A gauche, l’aigle indique aux connaisseurs que la jeune femme en fourrure, au front marqué d’un minuscule croissant de Lune, n’est pas vraiment Diane chasseresse, mais Jupiter ayant pris les traits de Diane pour câliner la nymphe Callisto (une chasseresse elle-aussi comme l’indique son carquois). On sait en effet que les nymphes farouches ne l’étaient pas pour cette très jalouse déesse.
A droite c’est d’un autre chasseur qu’il s’agit : Médor, amoureux d’Angélique.
« Le parallélisme des deux toiles renforce l’hypothèse selon laquelle dans « Angélique et Médor » Boucher n’a pas représenté le moment traditionnel, lorsque Médor, après avoir obtenu les dernières faveurs d’Angélique, grave son triomphe sur le bois d’un arbre, mais le moment des préliminaires, lorsqu’il s’apprête à lui ôter sa fleur.… Le geste de Médor se comprend mieux par référence aux codes iconographiques de la peinture libertine roccoco : Médor détache une guirlande ou une couronne de roses, signifiant la défloration d’Angélique. » (analyse de S.Lojkine dans UtPictura [2])
Un fois décodé, le thème est donc celui des préliminaires amoureux et de la montée du désir, comme l’indique le putto agitant frénétiquement des torches enflammées en haut de chacun des pendants.
Pendants avec couple
Le joueur de flageolet
Boucher, 1746, Localisation inconnue [3]
Pensent-t-ils au raisin ?
Boucher, 1747, Arts Institute, Chicago
Dans ces pendants exposés au salon de 1747, il s’agit d’illustrer deux scènes de la pantomime de Charles-Siméon Favart, Les Vendanges de Tempé. [3]
Dans la scène 5, le Jeune Berger joue du flageolet pour Lisette, instrument très apprécié des jeunes filles comme le souligne cette chanson de l’époque :
« Le seul Flageolet de Colin,
Fait nôtre symphonie,
S’il enjouoit soir & matin,
Que je serois ravie » [6]
Dans la scène 6, le Jeune Berger et Lisette se nourrissent de raisin, toujours en compagnie d’un jeune enfant qui ne figure pas dans la pantomime, rajouté à titre décoratif comme les moutons et le chien.
La couronne accordée au berger Les mangeurs de raisin
Boucher, 1749, Wallace Collection
Dans cette reprise du même thème, le flageolet a laissé place à une cornemuse de belle taille, et l’enfant purement décoratif a été remplacé, dans les deux tableaux, par un tiers plus substantiel :
- à gauche par une jeune promeneuse qui décerne sa couronne de fleurs, de manière quelque peu intrusive à en juger par la moue de la bergère (offrir sa couronne étant ce qui se fait de plus direct en vocabulaire rococo) ;
- à droite par un jeune homme qui fait semblant de dormir, tout en jetant un oeil sous son chapeau.
Le joueur de flageolet
Boucher, 1766, Collection privée
Dans cette reprise tardive, on retrouve toujours les mêmes ingrédients, mais présentés de manière plus directe : le flageolet frôle visuellement la couronne, tandis que la calebasse du berger entreprend le chapeau de la donzelle dont le pied, en se posant sur celui du garçon, concrétise ces métaphores inventives.
Revenons en arrière : en 1748, Boucher a réalisé une série de trois tableaux pour un certain Monsieur Perinet, complété en 1750 par un quatrième, connu seulement aujourd’hui par une gravure. Il s’agit de quatre situations mettant en scène un berger et une bergère et dont au moins trois semblent inspirés de la même pantomime ([3], note 73). La chronologie des scènes n’a rien d’évident, nous en proposons une, basée sur le vocabulaire galant très précis dont Boucher s’était fait une spécialité.
Les titres entre parenthèses sont ceux du Salon de 1750.
Le panier mystérieux (Le Sommeil d’une Bergère, à laquelle un Rustaud apport des Fleurs de la part de son Berger)
Boucher, 1748, National Gallery of Victoria, Australie
L’agréable leçon (Un Berger qui montre à jouer de la Flûte à sa Bergère)
Boucher, 1748, National Gallery of Victoria, Australie
A gauche, l’émissaire du berger (et non le berger lui-même) va déposer sur la robe de la fille endormie un panier de fleurs, parmi lesquelles un mot d’amour est caché. Acceptée par le chien fidèle, cette intrusion tout en douceur fait honneur au messager, qui montre de la main droite le panier intact et de sa main gauche un rondin prometteur. [4]
A droite, les deux amoureux sont physiquement rapprochés, appuyées contre deux troncs en V à l’image de leur union. Les métaphores se précisent : la fille apprend à jouer du pipeau tout en effleurant le bâton du berger, lequel taquine, sur le sol, le cercle de la couronne de fleurs. Le panier posé au bord du talus est bien prêt de verser, dilapidant en un instant les fleurs de la virginité.
Le bouc du premier plan regarde le spectateur d’un air entendu.
Quant à la « Fontana de la verita », avec son lion en garde et sa fente horizontale, elle est sans doute une réminiscence de la Bocca della Verita, à Rome, sensée mordre les menteurs qui y introduisent la main. Ou autre.
Le berger récompensé (Un Berger accordant sa Musette auprès de sa Bergère)
Boucher, 1748, gravure de Gaillard
Les amans surpris dans les bleds
Boucher, 1750, gravure de Gaillard
A gauche, la jeune fille récompense par une couronne de fleurs le jeune vacher méritant (le panier est désormais rempli d’oeufs). La cornemuse et la couronne, manipulés pour l’instant par chacun, constituent d’heureux prémisses qui ne demandent qu’à se complémenter à nouveau.
Dans le dernier tableau de la série, le chien joue un tout autre rôle que dans le premier : il vient de débusquer le couple allongé dans les blés, tandis qu’un moissonneur, armé de sa faucille, donne à la pastorale une conclusion amusante et castratrice. [5]
A partir du pendant de 1748….
… Boucher va décliner une nouvelle histoire, en variant les personnages :
La lettre d’amour
Boucher, 1750, National Gallery of Art, Washington
Le sommeil interrompu
Boucher, 1750, Metropolitan Museum, New York
Le couple éveillé, sous l’égide du lion débonnaire, est passé maintenant à gauche, et se compose de deux filles : l’une est toute songeuse, tenant dans sa main la lettre d’amour encore cachetée, que sa confidente vient de détacher du cou de la colombe.
La jeune fille endormie est maintenant passée à droite. Elle tient encore le ruban bleu de la colombe, sous l’arbre et sous la cage vide, à côté d’une cabane de branchages. Elle porte pratiquement les mêmes vêtements, plus un ruban bleu dans les cheveux. Venant du fond et du colombier, l’auteur de la lettre refait le trajet du courrier et vient maintenant accomplir le rêve de la belle, en chair et en os, une paille dans la main droite et un rondin, comme il se doit, dans la gauche.
Le départ du courrier
Boucher, 1765, Metropolitan Museum
L’arrivée du courrier
Boucher, 1765, gravure de Jacques Firmin Beauvarlet
Au Salon de 1765, Boucher reprendra le même thème dans une série de quatre tableaux, dont seul le premier a été conservé :
- Acte I : assis à côté du colombier, le berger indique à la colombe, de manière fort peu réaliste, la direction de la destinataire.
- Acte II : la lettre arrive, très attendue par la jeune fille et le chien
- Acte III : la jeune fille lit la lettre à sa confidente
- Acte IV : les amoureux se rencontrent
L’école de l’amitié L’école de l’amour
Boucher, 1760, Staatliche Kunsthalle, Karlsruhe
Commandés en 1760 par Caroline Luise, margravine de Bade, ces deux pendants, pots-pourris des pastorales de Boucher, donnent une bonne idée des deux tableaux perdus du salon de 1765.Côté Amitié, la statue de l’Amour fourrage dans son carquois tandis que la jeune fille en robe blanche lit à sa confidente le mot doux qu’elle a reçu : à remarquer, à gauche de la statue, un enfant en chair et en os qui épie les demoisellesCôté Amour, les deux statues miment la posture des deux amants. La même jeune fille en robe blanche, alanguie, assiste à la cueillette de la rose – autrement dit de sa propre virginité, tandis que la houlette du berger, posée sur un tissu bouillonnant, dit la chose d’une autre manière.
Pendants solo : femme-femme
Le sommeil de Vénus Vénus se parant des attributs de Junon
Boucher, 1738, musée Jacquemart André
Ces deux dessus de porte exposent, dans un intérieur nuit et un extérieur jour, un nu allongé, les deux jambes parallèles, vu de dos et vu de face.
Lorsque Vénus a déposé ses perles, c’est un très jeune femme qui dort, une enfant attendrissante auprès de laquelle l’Amour s’ennuie, tâtant la pointe inutile de sa flèche.
Lorsque Vénus est réveillée dans son char, c’est une impudique qui ôte ses voiles, agite ses perles au bec d’un paon turgescent, et que l’Amour tente vainement de rhabiller d’un drapé rose en renouant un ruban bleu.
Le triomphe de Vénus La toilette de Vénus
Boucher, 1743, Musée de l’Ermitage, Saint Petersbourg
Fille de la vague, Vénus vogue commodément, tirée par deux dauphins et annoncée par deux tritons sonnant leur conque. Elle s’est tournée de profil par rapport au sens de la marche, de manière à nous faire admirer son dos potelé et sa cuisse puissante tout en nous observant du coin de l’oeil.
A terre, elle est assise entre un miroir et une table de toilette sur laquelle est ouverte sa cassette à bijoux. Une servante choisit le collier de perles approprié. A ses pieds, un amour renoue la faveur rose de sa sandale. Des fleurs sont tombés sur la pierre. Un couple de colombes se bécote, en attendant de tirer le char, sur lequel le carquois est déjà préparé.
Ces deux pendants luxueux ont été déclinés ensuite en une série de paires moins complexes, mais fonctionnant toujours sur l’opposition entre un nu de dos et un nu de face, dans deux décors contrastés.
Bacchante (Erigone) jouant du flageolet Vénus endormie
Boucher, 1763, musée des Beaux-Arts Pouchkine,Moscou
Le pendant expose, sur la terre et au ciel, un nu allongé, la jambe droite posée sur la gauche, vu de dos et vu de face,
Dans les bois, la Bacchante joue, couchée sur une peau de léopard, tandis que les amours se disputent des grappes à coup de thyrses.
Dans le ciel, le char est à l’arrêt et des amours jouent avec les deux colombes qui le tirent avec un ruban bleu. D’autres volettent pour ombrager avec un tissu bleu, la tête de Vénus qui dort.
Références : [1] Notice de Christies : http://www.christies.com/lotfinder/lot/francois-boucher-alphee-et-arethuse-et-pan-4121181-details.aspx?from=salesummery&intobjectid=4121181&sid=9c7cdc20-9d17-4178-a974-9abf14f62115 [2] http://utpictura18.univ-montp3.fr/GenerateurNotice.php?numnotice=A1612 [3] Photographie tirée de l’article de base sur les références théâtrales dans l’oeuvre de Boucher : Laing Alastair, Coignard Jerôme. Boucher et la pastorale peinte. In: Revue de l’Art, 1986, n°73. pp. 55-64 http://www.persee.fr/doc/rvart_0035-1326_1986_num_73_1_347582 [4] Images en haute resolution : http://www.ngv.vic.gov.au/explore/collection/work/3804/
http://www.ngv.vic.gov.au/explore/collection/work/3803/ [5] Histoire du pendant : http://www.ngv.vic.gov.au/essay/love-among-the-ruins-two-pastorals-by-francois-boucher/ [6] Chansons nouvelles, sur differens sujets, composeés sur des airs connus, L. Foubert, 1738