L’édition 2020, présentée à Paris, sera montagneuse, de ses premiers jours jusqu’à son avant-dernière étape. Les organisateurs misent de nouveau sur l’audace.
Une singulière engeance nous invite toujours, chaque année, à la prospection impatiente et déjà au supplément d’âme que l’imagination enivre. Comme les contes pour enfants, la présentation du Tour de France reste une fabrique mythologique au capital symbolique jamais démenti. Et cette année, nous sommes servis. Autant par la prise de risque des organisateurs – rendons-leur grâce – que par l’ampleur des difficultés que le peloton aura à endurer. La Grande Boucle, entre Nice le 27 juin et les Champs-Élysées le 19 juillet (1), cheminera en effet par les cinq massifs montagneux de l’Hexagone, escaladera 29 ascensions ou cols, imposera un contre-la-montre individuel dans les rampes de La Planche-des-Belles-Filles à la veille de l’arrivée et comportera une étape inédite entre les îles d’Oléron et de Ré, situées au large de La Rochelle. Un tracé musclé, nerveux, dynamique, montagneux, qui ne laissera place à aucun répit dès le premier jour. Pour comprendre l’entr’aperçu du modèle en ampleur, comme une signature de l’audace, il suffit de se figurer ce que peuvent receler d’exigence deux informations caractéristiques : les Géants de la route devront affronter quatre mille mètres de dénivelé dès la deuxième étape dans le haut pays niçois, avant de s’étriper lors d’une arrivée au sommet, dès le quatrième jour, à Orcières-Merlette…
Témoin de l’état d’esprit de franche innovation, le col de la Loze, «toit» du Tour planté à 2 304 mètres. «Le prototype du col du XXIe siècle!» s’enthousiasme le directeur de l’épreuve, Christian Prudhomme, emballé par cette nouvelle «route», plutôt une piste hallucinante de 7 kilomètres réservée aux vélos, récemment bitumée au-dessus de la station savoyarde de Méribel. Dans cette succession de ruptures de pentes, brutales à chaque contrefort, les purs grimpeurs régneront en anachorètes du genre, tout comme, probablement, lors de la double ascension et l’arrivée au sommet du Grand Colombier, le Géant du Jura devenu un «classique» depuis 2012.
Durant la présentation, à Paris, il y avait du beau monde côté prétendants, et un intérêt parfois apeuré pour un parcours atypique qui casse un peu plus les normes et projette, espérons-le, une sorte de continuation de ce que nous avons vécu d’immense lors de l’édition 2019. Le tenant du titre, le Colombien Egan Bernal, montrait des yeux de gamin envieux – il n’a que 22 ans –, comme s’il traversait encore la sidération de l’exploit: «Gagner le Tour, c’est un peu comme une drogue.» Notre héros national Julian Alaphilippe, lui, affichait un sourire aussi vaste que son tempérament: «Je suis emballé!» riait-il. Quant à Thibaut Pinot, «martyr» de juillet, il répétait: «Je suis pressé d’y être. J’y serai… et à fond.» À croire que les blessures physiques et morales ne résistent jamais à l’impatience du Tour. Ne manquaient au festin qu’Eddy Merckx et Raymond Poulidor, l’un blessé à la tête en raison d’une chute de vélo (sic), l’autre épuisé. À l’heure de rêves anticipés à la mesure de nos chers Illustres, nous pensions évidemment à eux. Une question d’engeance, sans doute.
(1) Le Tour 2020 sera avancé d’une semaine par rapport aux éditions précédentes en raison des jeux Olympiques de Tokyo.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 16 octobre 2019.]